POURQUOI L’OPUS DEI EST-IL NÉ ?

Voudriez-vous expliquer la mission principale et les objectifs de l’Opus Dei ? Sur quels précédents fondez-vous vos idées concernant l’Association ? Ou l’Opus Dei est-il une chose unique, entièrement nouvelle dans l’Église et la chrétienté ? Peut-on le comparer aux ordres religieux et aux instituts séculiers ou encore aux associations catholiques, du genre, par exemple, de la Holy Name Society, des Chevaliers de Colomb, du Christopher Movement, etc. ?

L’Opus Dei se propose d’encourager des gens qui appartiennent à toutes les classes de la société à vivre la plénitude de la vie chrétienne au sein du monde. Autrement dit, l’Opus Dei entend aider les personnes qui vivent dans le monde – le citoyen ordinaire, l’homme de la rue – à mener une vie pleinement chrétienne, sans pour autant modifier leur mode normal d’existence, ni leur travail habituel, ni leurs rêves et aspirations.

Et donc, pour reprendre une phrase que j’écrivais il y a de nombreuses années, on peut dire que l’Opus Dei est à la fois ancien et nouveau comme l’Évangile. Il s’agit de rappeler aux chrétiens les paroles merveilleuses qu’on lit dans la Genèse : Dieu a créé l’homme pour qu’il travaille. Nous avons fixé les yeux sur l’exemple du Christ, qui a passé la quasi totalité de sa vie terrestre à travailler comme artisan dans un village. Le travail n’est pas seulement une des plus hautes valeurs humaines et le moyen par lequel les hommes doivent contribuer au progrès de la société : c’est encore un chemin de sanctification.

À quelles autres organisations pourrions-nous comparer l’Opus Dei ? Il n’est pas facile de répondre à cette question, car si l’on tente de comparer entre elles des organisations qui ont des buts spirituels, on court le risque de ne retenir que des traits extérieurs ou des appellations juridiques et d’oublier ce qu’il y a de plus important : l’esprit qui leur donne vie et raison d’être.

Je me bornerai à vous dire, par rapport aux organisations que vous avec mentionnées, que l’Opus Dei est très éloigné des ordres religieux et des instituts séculiers et plus proche des institutions telles que la Holy Name Society.

L’Opus Dei est une organisation internationale de laïcs, dont font aussi partie des prêtres séculiers (une minorité très faible comparativement au nombre total des membres). Ses membres sont des gens qui vivent dans le monde, où ils exercent une profession ou un métier. Lorsqu’ils viennent à l’Opus Dei, ils n’abandonnent pas ce travail, mais, au contraire, ils cherchent une aide spirituelle afin de sanctifier ce travail habituel qu’ils transforment, en outre, en moyen de se sanctifier ou d’aider les autres à se sanctifier. Ils ne changent pas d’état – ils restent célibataires, mariés, veufs ou ils restent prêtres s’ils le sont, – mais ils s’appliquent à servir Dieu et les autres hommes au sein même de cet état. L’Opus Dei n’exige ni vœux ni promesses. Ce qu’il demande à ses membres, c’est de s’efforcer, au milieu des déficiences et des erreurs inhérentes à toute vie humaine, de pratiquer les vertus humaines et chrétiennes, et de se savoir enfants de Dieu.

Si l’on tient absolument à faire une comparaison pour comprendre l’Opus Dei, le plus simple est de songer à la vie des premiers chrétiens. Ils vivaient à fond leur vocation chrétienne ; ils recherchaient sérieusement la sainteté à laquelle ils étaient appelés par le fait, simple et sublime, du baptême. Ils ne se distinguaient pas extérieurement des autres citoyens. Les membres de l’Opus Dei sont des citoyens ordinaires ; ils accomplissent un travail ordinaire ; ils vivent au milieu du monde, y étant ce qu’ils sont : des citoyens chrétiens qui entendent satisfaire pleinement aux exigences de leur foi.

Permettez-moi d’insister sur le point des instituts séculiers. J’ai lu l’étude d’un canoniste connu, le Dr Julian Herranz, où il est affirmé que certains de ces instituts sont secrets et que beaucoup d’autres s’identifient pratiquement aux ordres religieux – on y porte un habit, on y abandonne le travail professionnel pour se consacrer aux mêmes buts que les religieux, etc. – au point que les membres ne voient aucun inconvénient à se considérer eux-mêmes comme des religieux. Quelle est votre pensée à ce sujet ?

L’étude sur les instituts séculiers à laquelle vous faites allusion a été, en effet, largement diffusée parmi les spécialistes. Le Dr Herranz y exprime, sous sa responsabilité personnelle, une thèse bien documentée ; et quant aux conclusions de cette étude, je préfère garder le silence.

Tout ce que je puis dire, c’est que la façon dont ces instituts procèdent n’a rien à voir avec celle de l’Opus Dei, qui n’est ni secret ni comparable en rien, par son travail et par la vie de ses membres, à un ordre religieux, car dans l’Opus Dei il n’y a, comme je viens de le préciser, que des citoyens ordinaires égaux aux autres citoyens, qui exercent librement toutes les professions et toutes les tâches honnêtes de l’homme .

Pouvez-vous me dire comment, depuis ses origines, l’Opus Dei s’est développé et a évolué, dans son caractère tout comme dans ses objectifs, au cours de cette période qui coïncide avec l’énorme changement dont nous sommes témoins au sein de l’Église elle-même ?

Dès le départ, le seul objectif de l’Opus Dei a été celui que je viens de vous indiquer : faire en sorte qu’il y ait, au milieu du monde, des hommes et des femmes de toutes races et de toutes conditions sociales, qui s’efforcent d’aimer et de servir Dieu et leurs semblables dans et par le travail ordinaire. Dès le début de l’Œuvre, en 1928, j’ai prêché que la sainteté n’est pas réservée à des privilégiés, mais que tous les chemins de la terre peuvent être divins : tous les états, toutes les professions, toutes les tâches honnêtes. Les implications de ce message sont nombreuses et l’expérience, au cours de la vie de l’Œuvre, m’a permis de les connaître de plus en plus profondément et avec toujours plus de nuances. L’Œuvre, modeste à sa naissance, s’est fortifiée normalement, d’une manière graduelle et progressive, comme grandit tout organisme vivant, tout ce qui se développe dans l’histoire.

Mais son objectif et sa raison d’être n’ont pas changé et ne changeront pas, quelque transformation que puisse subir la société, le message de l’Opus Dei étant que l’on peut se sanctifier dans n’importe quel travail honnête, quelles que soient les circonstances où on l’accomplit.

Aujourd’hui font partie de l’Œuvre des gens de toutes professions : non seulement des médecins, des avocats, des ingénieurs et des artistes, mais encore des maçons, des mineurs, des paysans ; et de n’importe quel métier : depuis les metteurs en scène de cinéma et les pilotes d’avion à réaction jusqu’aux spécialistes de la haute coiffure. Pour les membres de l’Opus Dei, se mettre au goût du jour, comprendre le monde moderne, est une chose naturelle et instinctive, étant donné qu’ils vivent aux côtés des autres citoyens et qu’avec ces autres citoyens et au même titre qu’eux ils créent ce monde et contribuent à sa modernité.

L’esprit de notre Œuvre étant tel, nous nous sommes réjouis, vous le comprendrez, d’entendre le Concile déclarer solennellement que l’Église ne rejette ni le monde où elle vit, ni son progrès, ni son développement, mais qu’elle le comprend et qu’elle l’aime. Au surplus, une caractéristique essentielle de la spiritualité dans laquelle s’efforcent de vivre – depuis près de quarante ans – les membres de l’Œuvre, est de se savoir, à la fois, partie intégrante de l’Église et partie intégrante de l’État, chacun assumant donc pleinement, et en toute liberté, sa responsabilité individuelle de chrétien et de citoyen.

Pourriez-vous nous indiquer les différences qu’il y a entre la manière dont l’Opus Dei, en tant qu’association, remplit sa mission et celle dont les membres de l’Opus Dei, en tant qu’individus, remplissent la leur ? Par exemple, en vertu de quels critères est-il décidé qu’un projet sera plus favorablement réalisé par l’Association – un collège ou un centre de rencontres – ou par des individus – une entreprise d’édition ou de commerce ?

L’Opus Dei a pour activité principale de donner à ses membres, et aux personnes qui le désirent, les moyens spirituels nécessaires pour vivre dans le monde en bons chrétiens. Il leur fait connaître la doctrine du Christ, les enseignements de l’Église ; il leur insuffle une mentalité qui les amène à bien travailler par amour de Dieu et au service de tous les hommes. Il s’agit, en un mot, de se conduire en chrétien : en s’entendant avec tout le monde, en respectant la liberté légitime de chacun et en faisant en sorte que notre monde soit plus juste.

Chacun des membres gagne sa vie et sert la société grâce au métier qui était le sien avant d’entrer à l’Opus Dei, et qui le serait s’il n’appartenait pas à l’Œuvre. Ainsi, les uns sont mineurs, d’autres enseignent dans des écoles ou des universités, d’autres encore sont commerçants, ménagères, secrétaires, paysans. Il n’y a aucune activité humaine, pourvu qu’elle soit honnête, à laquelle ne puisse se livrer un membre de l’Opus Dei. Celui qui, avant son adhésion à l’Œuvre, travaillait, par exemple, dans une maison d’édition ou de commerce, continue à le faire par la suite. Et si, dans le cadre de ce travail ou de n’importe quel autre, il cherche un nouvel emploi ou s’il décide, avec ses collègues, de fonder une entreprise quelconque, il lui appartient d’y prendre librement des décisions, de recueillir personnellement les fruits de son occupation, et aussi bien d’en assumer la responsabilité personnelle.

Toute l’activité des dirigeants de l’Opus Dei se fonde sur un respect absolu de la liberté professionnelle de chacun, c’est là un point dont l’importance est capitale et dont dépend l’existence même de l’Œuvre. Cette liberté est donc fidèlement sauvegardée. Chaque membre peut exercer la profession qu’il exercerait s’il ne faisait pas partie de l’Opus Dei, de sorte que ni l’Opus Dei en tant que tel ni aucun des autres membres n’ont rien à voir avec le travail professionnel de chacun en particulier. Tous prennent un engagement, lorsqu’ils adhèrent à l’Œuvre : celui de s’appliquer à rechercher la plénitude de la vie chrétienne à l’occasion et par le moyen de leur travail, et à prendre une conscience plus claire du caractère de service rendu à l’humanité que doit revêtir toute vie chrétienne.

La mission principale de l’Œuvre – je vous l’ai déjà dit – est donc de former chrétiennement ses membres et les autres personnes qui souhaitent recevoir cette formation. Le désir de contribuer à la solution des problèmes qui affectent la société et auxquels l’idéal chrétien peut apporter tant de solutions, implique que l’Œuvre en tant que telle, collectivement, réalise certaines activités et prenne certaines initiatives. Le critère dans ce domaine est que l’Opus Dei, dont les fins sont exclusivement spirituelles, ne peut assumer collectivement que des tâches qui constituent clairement et immédiatement un service chrétien, un apostolat. Il serait absurde de penser que l’Opus Dei en tant que tel puisse se consacrer à l’exploitation des mines ou à des entreprises d’ordre économique, quelles qu’elles soient. Ses œuvres collectives sont, toutes, des activités directement apostoliques : écoles de formation paysanne, dispensaires installés dans une région ou un pays en voie de développement, centres destinés à la promotion sociale de la femme, etc. Autrement dit, des établissements d’assistance, d’éducation ou de bienfaisance, comme ceux que fondent, dans le monde entier, les institutions de toutes croyances.

Pour mener ces tâches à bien, l’Opus Dei compte d’abord sur le travail personnel de ses membres qui parfois s’y emploient entièrement. Et aussi sur le soutien généreux que nous apportent quantité de sympathisants, qu’ils soient chrétiens ou non. Certains sont attirés par des raisons spirituelles ; d’autres, sans même partager ces vues apostoliques, estiment qu’il s’agit là d’initiatives qui tournent au bénéfice de la société et sont ouvertes à tous, sans discrimination de race, de religion ou d’idéologie .

Étant donné que l’on trouve des membres de l’Opus Dei dans les couches les plus diverses de la société et que certains d’entre eux sont au service ou à la tête d’entreprises ou de groupes parfois importants, ne peut-on penser que l’Opus Dei tente de coordonner ces activités suivant une certaine ligne politique, économique, etc. ?

En aucune façon. L’Opus Dei n’intervient jamais dans l’ordre politique ; il est absolument étranger à toute tendance, à tout groupe ou régime politique, économique, culturel ou idéologique. Ses buts – je le répète – sont exclusivement spirituels et apostoliques. Il exige simplement de ses membres qu’ils vivent en chrétiens, qu’ils s’efforcent d’ajuster leur vie à l’idéal évangélique. Il ne s’immisce par conséquent, en aucune manière, dans les questions temporelles.

Si on ne le comprend pas, c’est sans doute qu’on ne comprend pas la liberté personnelle et qu’on ne parvient pas à distinguer entre les fins uniquement spirituelles, en vue desquelles on vient à l’Œuvre, et le très vaste champ des activités humaines – l’économie, la politique, la culture, l’art, la philosophie, etc. – où les membres de l’Opus Dei jouissent de la plus entière liberté et assument leur responsabilité personnelle.

Dès l’instant où ils adhèrent à l’Œuvre, tous savent parfaitement que leur liberté individuelle est réelle, de sorte que s’il arrivait que l’un d’entre eux fît pression sur les autres et tentât de leur imposer ses propres vues en matière politique, ou de les mettre au service d’intérêts humains, les autres s’insurgeraient et l’expulseraient sur-le-champ.

Le respect de la liberté de ses membres est une condition essentielle à la vie même de l’Opus Dei. Sans ce respect, personne ne viendrait à nous. Mieux encore : si – cela ne se produit pas, ne s’est jamais produit et, avec l’aide de Dieu, ne se produira jamais – l’Opus Dei intervenait en matière politique ou en quelque autre activité humaine, le premier adversaire de l’Œuvre ne serait autre que moi.

L’Association insiste sur la liberté reconnue à chacun d’exprimer les convictions qu’il professe honorablement. Mais, pour reprendre ce sujet sous un autre angle, jusqu’à quel point pensez-vous que l’Opus Dei soit moralement obligé, en tant qu’association, d’exprimer des opinions concernant des questions capitales, séculières ou spirituelles, en public ou en privé ? Y a-t-il des situations où l’Opus Dei mettrait son influence et celle de ses membres au service de principes qu’il considère comme sacrés, ainsi que le cas s’est présenté, récemment, pour appuyer la législation sur la liberté religieuse en Espagne ?

Dans l’Opus Dei, nous essayons, en tout temps et en toute chose, d’avoir les mêmes sentiments que l’Église du Christ : nous n’avons d’autre doctrine que celle que l’Église enseigne à tous ses fidèles. La seule particularité que nous ayons est un esprit propre, caractéristique de l’Opus Dei, c’est-à-dire une manière concrète de vivre l’Évangile, de nous sanctifier dans le monde et d’exercer un apostolat au moyen de la profession.

Il s’ensuit aussitôt que tous les membres de l’Opus Dei jouissent de la même liberté que les autres catholiques, liberté qui consiste à se former librement des opinions et à agir en conséquence. C’est pourquoi l’Opus Dei en tant que tel ne doit et ne peut exprimer d’opinion propre, et ne peut même en avoir. S’il s’agit d’une question pour laquelle il existe une doctrine définie par l’Église, l’opinion de chacun sera constituée par cette doctrine. S’il s’agit, en revanche, d’une question sur laquelle le magistère – le pape et les évêques – ne s’est pas prononcé, chacun des membres de l’Opus Dei reste libre d’avoir et de défendre l’opinion qui lui paraît la meilleure, et d’agir en conséquence.

En d’autres termes, le principe qui règle l’attitude des dirigeants de l’Opus Dei en ce domaine est le respect de la liberté d’option dans l’ordre temporel. C’est tout différent de l’abstentionnisme, puisqu’il s’agit de placer chacun des membres en face de ses responsabilités personnelles, en l’invitant à les assumer selon sa conscience et à se conduire en homme libre. C’est pourquoi il est mal venu de mentionner l’Opus Dei quand on parle de partis, de groupes ou de tendances politiques ou, en général, de tâches et d’entreprises humaines. Mieux encore : cela est injuste et presque calomnieux, car on peut en déduire faussement que les membres de l’Œuvre ont une idéologie, une mentalité ou un intérêt temporel en commun.

Certes, les membres de l’Opus Dei sont catholiques, et ces catholiques s’efforcent d’être conséquents avec leur foi. On peut les qualifier de la sorte, si l’on veut, à condition d’admettre que le fait d’être catholique n’implique pas que l’on forme un groupe, fût-ce dans l’ordre culturel ou idéologique et, a fortiori, dans l’ordre politique. Dès la fondation de l’Œuvre, et non seulement depuis le Concile, nous avons tenté de vivre un catholicisme ouvert, qui défend la légitime liberté des consciences, qui incline à traiter charitablement et fraternellement tous les hommes, catholiques ou non, et à collaborer avec tous, en participant aux nobles aspirations qui animent l’humanité.

Prenons un exemple. Devant le problème racial aux États-Unis, chacun dans l’Œuvre tiendra compte des clairs enseignements que l’Église dispense quant à l’égalité de tous les hommes et à l’injustice de toute discrimination. Chacun connaîtra les indications précises qu’ont données en l’espèce les évêques américains et se sentira lié par elles. Chacun défendra, par conséquent, les droits légitimes de tous les citoyens et s’opposera à toute situation ou projet discriminatoires. Il saura, en outre, qu’il ne suffit pas pour un chrétien de respecter le droit des autres, mais qu’il s’agit encore de voir en eux des frères, auxquels nous devons un amour sincère et un dévouement désintéressé.

L’Opus Dei, dans la formation qu’il procure à ses membres, insistera davantage sur ces idées dans les pays où elles s’appliquent que dans ceux où ce problème ne se pose pas concrètement ou se pose avec moins d’urgence. Ce dont l’Opus Dei s’abstiendra toujours, c’est de dicter, et même de suggérer, une solution concrète au problème. La décision d’appuyer tel ou tel projet de loi, de s’affilier à telle ou telle association ou de ne s’affilier à aucune, de prendre part ou non à telle ou telle manifestation, est laissée à l’appréciation de chacun. En fait, il apparaît partout que les membres n’agissent pas en bloc, mais en suivant un pluralisme normal.

Ces mêmes critères expliquent le fait que tant d’Espagnols de l’Opus Dei soient favorables au projet de loi sur la liberté religieuse dans leur pays, tel qu’il a été présenté récemment. Il s’agit évidemment d’une option personnelle tout comme est personnelle l’opinion de ceux qui critiquent ce projet. Du moins, selon l’esprit de l’Opus Dei, tous ses membres ont-ils appris à aimer la liberté et à comprendre les hommes de toutes croyances. L’Opus Dei est la première association catholique qui, depuis 1950, avec l’autorisation du Saint-Siège, admet des coopérateurs non catholiques et non chrétiens, sans aucune discrimination et dans une même affection pour tous.

Bien entendu, vous n’ignorez pas que, dans certains secteurs de l’opinion publique, l’Opus Dei a la réputation d’être, dans une certaine mesure, discuté. Pouvez-vous me donner votre avis sur la raison pour laquelle il en est ainsi, et me dire notamment comment il est répondu à l’accusation concernant « le secret de conspiration » et « la conspiration secrète » qu’on relève souvent contre l’Opus Dei ?

Tout ce qui ressemble à l’éloge de soi me gêne profondément. Mais puisque vous me posez cette question, force m’est de vous dire que l’Opus Dei est, me semble-t-il, une des organisations catholiques qui comptent le plus d’amis dans le monde entier. Des millions de personnes, parmi lesquelles nombre de non-catholiques et de non-chrétiens, lui sont attachés et lui viennent en aide.

Par ailleurs, l’Opus Dei est une organisation spirituelle et apostolique. Si l’on oublie ce fait fondamental ou si l’on refuse de croire à la bonne foi des membres de l’Opus Dei qui l’affirment – il est impossible de comprendre l’Œuvre. Et devant cette impossibilité, on invente des versions compliquées et des secrets qui n’ont jamais existé.

Vous parlez d’une accusation de secret. C’est de l’histoire ancienne. Je pourrais vous exposer, point par point, l’origine de cette accusation calomnieuse. Durant de nombreuses années, une puissante organisation, que je préfère ne pas nommer –nous l’aimons et l’avons toujours aimée – s’est attachée à travestir ce qu’elle ignorait. On s’obstinait à nous tenir pour des religieux et l’on se demandait : pourquoi ne pensent-ils pas tous de la même manière ? pourquoi ne portent-ils pas un habit ou un signe distinctif ? Et on en tirait, illogiquement, la conclusion que nous constituions une société secrète.

Cela est aujourd’hui terminé, et toute personne moyennement informée sait qu’il n’y a aucun secret ; que nous ne portons pas de signe distinctif, parce que nous ne sommes pas des religieux, mais des chrétiens ordinaires ; que nous ne pensons pas tous de la même manière, parce que nous admettons le plus grand pluralisme dans tout ce qui est temporel et dans les questions théologiques où l’on est libre d’avoir une opinion. On a fini par mieux connaître la réalité et par surmonter une jalousie sans fondement, ce qui a mis fin à une triste situation doublée d’une opinion calomnieuse.

Il ne faut cependant pas s’étonner si, de temps à autre, les vieux mythes se réveillent, car nous essayons de travailler pour Dieu, en défendant la liberté personnelle de tous les hommes. Nous aurons donc toujours contre nous les sectaires – de tous bords – ennemis de cette liberté personnelle, d’autant plus agressifs s’il s’agit de personnes qui ne peuvent supporter la simple idée de religion, et plus encore s’ils s’inspirent d’une pensée religieuse empreinte de fanatisme.

Néanmoins, et par bonheur, la majorité des publications ne se contentent plus de répéter ces vieilles et fausses histoires ; la plupart d’entre elles ont clairement conscience qu’être impartial, ce n’est pas diffuser des choses qui sont à mi-chemin entre la réalité et la calomnie, mais s’efforcer de refléter la vérité objective. Personnellement je pense que dire la vérité, c’est aussi une nouvelle « qui passe », spécialement lorsqu’il s’agit de renseigner sur l’activité des membres de l’Opus Dei ou des personnes qui collaborent avec celui-ci et qui tentent, en dépit d’erreurs personnelles – j’en commets et je ne m’étonne nullement que les autres en fassent autant –, d’accomplir une tâche au service de tous les hommes. Il est toujours intéressant de détruire les faux mythes. Je considère que tout journaliste a le grave devoir de se documenter correctement et de tenir son information à jour, dût-il parfois modifier des jugements antérieurs. Est-il donc si difficile d’admettre qu’une chose est propre, noble et bonne, sans y mêler de vieilles absurdités, tombées dans le discrédit ?

Il est pourtant bien simple de s’informer sur l’Opus Dei. Partout, il travaille en plein jour et jouit de la reconnaissance juridique des autorités civiles et ecclésiastiques. Le nom de ses dirigeants et celui de ses fondations apostoliques sont parfaitement connus. Quiconque désire des renseignements sur notre Œuvre peut les obtenir sans difficulté : il suffit de prendre contact avec ses dirigeants ou de s’adresser à l’une de nos œuvres collectives. Vous-mêmes, vous êtes témoin que jamais aucun des dirigeants de l’Opus Dei, ou de ceux qui sont chargés de recevoir les journalistes, n’a manqué de faciliter la tâche des informateurs, de répondre à leurs questions ou de leur fournir la documentation voulue.

Aucun des membres de l’Opus Dei ni moi-même ne prétendons que tout le monde nous comprenne ou partage notre idéal spirituel. J’aime la liberté et que chacun suive sa voie. Mais il est évident que nous avons le droit élémentaire d’être respectés.

Comment expliquez-vous l’immense succès de l’Opus Dei et selon quels critères mesurez-vous ce succès ?

Quand une entreprise est surnaturelle, peu importent le succès ou l’échec, tels qu’on les entend d’ordinaire. Saint Paul disait déjà aux chrétiens de Corinthe que ce qui l’intéressait, dans la vie spirituelle, ce n’était ni le jugement des autres ni notre propre jugement, mais celui de Dieu.

Certes, l’Œuvre est aujourd’hui universellement répandue : des hommes et des femmes de près de soixante-dix nationalités en font partie . Quand j’y songe, j’en suis moi-même surpris. Je n’y trouve aucune explication humaine ; je n’y vois que la volonté de Dieu, car l’Esprit souffle où Il veut, et Il se sert de qui Il veut pour opérer la sanctification des hommes. Tout cela est pour moi un motif d’action de grâces, d’humilité, et l’occasion de prier Dieu qu’Il m’accorde de pouvoir toujours Le servir.

Vous me demandez aussi selon quel critère je mesure et juge les choses. La réponse est très simple : sainteté, fruits de sainteté.

L’apostolat le plus important de l’Opus Dei est celui que chaque membre réalise par le témoignage de sa vie et de sa parole, dans les contacts fréquents qu’il entretient avec ses amis et ses compagnons de travail. Qui peut mesurer l’efficacité surnaturelle de cet apostolat silencieux et humble ? On ne saurait évaluer l’aide que fournit l’exemple d’un ami loyal et sincère, ou l’influence d’une bonne mère au sein de la famille.

Mais votre question porte peut-être aussi sur les apostolats collectifs qu’exerce l’Opus Dei, et elle suppose que, dans ce cas, on peut mesurer les résultats d’un point de vue humain, disons technique : telle école de formation ouvrière élève-t-elle socialement ceux qui la fréquentent ? telle université donne-t-elle à ses étudiants la formation professionnelle et culturelle adéquate ? Si votre question va dans ce sens, je vous dirai que le résultat peut s’expliquer en partie, parce qu’il s’agit de travaux réalisés par des gens qui en font une tâche professionnelle spécifique, en vue de laquelle ils se préparent comme quiconque entend faire œuvre sérieuse. Cela veut dire, entre autres choses, que ces entreprises ne sont pas conçues suivant des schémas préétablis. On étudie dans chaque cas les besoins particuliers de la société où ces œuvres vont être implantées, de manière à les adapter aux exigences réelles.

Mais, je vous le répète, l’efficacité humaine n’est pas ce qui intéresse l’Opus Dei au premier chef. Le véritable succès, ou l’échec, tient au fait qu’humainement bien accomplies, ces œuvres permettent ou non à ceux qui les réalisent comme à ceux qui en bénéficient, d’aimer Dieu, de se sentir frères de tous les autres hommes et de manifester ces sentiments par un service désintéressé rendu à l’humanité.

Voudriez-vous m’expliquer comment et pourquoi vous avez fondé l’Opus Dei et quels sont les événements que vous considérez comme les jalons principaux de son développement ?

Pourquoi ? Les œuvres qui naissent de la volonté de Dieu n’ont d’autre « pourquoi » que le désir divin de les utiliser comme expression de Sa volonté de salut universel. Dès le premier instant, l’Œuvre était universelle, catholique. Elle ne naissait pas pour résoudre les problèmes concrets de l’Europe des années vingt, mais pour dire à des hommes et à des femmes de tous pays, de toutes conditions, races et langues, de tous milieux et de tous états – célibataires, gens mariés, veufs, prêtres –, qu’ils pouvaient aimer et servir Dieu sans cesser d’accomplir leur travail ordinaire, sans cesser de vivre au sein de leur famille, parmi leurs relations sociales, multiples et normales.

Comment l’Opus Dei a-t-il été fondé ? Sans aucun moyen humain. J’avais vingt-six ans, de la bonne humeur et la grâce de Dieu m’accompagnait. L’Œuvre était certes modeste ; ce n’était que l’aspiration d’un jeune prêtre, qui s’efforçait de faire ce que Dieu réclamait de lui.

Vous me demandez quels en furent les jalons principaux. Pour moi, chaque moment est fondamental dans l’Œuvre, chaque instant où, grâce à l’Opus Dei, une âme s’approche de Dieu et où un homme devient ainsi plus frère de ses frères les hommes.

Peut-être aimeriez-vous que je cite les heures cruciales. Bien que ce ne soient pas les plus importantes, je vous donnerai de mémoire quelques dates, plus ou moins approximatives. Dès les premiers mois de 1935, tout était prêt pour notre installation en France, à Paris exactement. Mais il y eut la guerre civile espagnole, suivie de la seconde guerre mondiale, et il fallut différer cette expansion. Comme il importait absolument de se développer, le délai ne fut pas long. Dès 1940, l’Œuvre s’implantait au Portugal. Coïncidant, ou presque, avec la fin des hostilités, bien que certains voyages aient eu lieu au cours des années antérieures, le travail commençait en Angleterre, en France, en Italie, aux États-Unis, au Mexique. Après quoi l’expansion suit un rythme progressif. À partir de 1949 et 1950, nous commençons en Allemagne, en Hollande, en Suisse, en Argentine, au Canada, au Venezuela et dans d’autres pays européens et américains. En même temps, l’Œuvre s’étend à d’autres continents : Afrique du Nord, Japon, Kenya et autres pays de l’Est africain, Australie, Philippines, Nigéria, etc.

J’aime aussi évoquer plus spécialement, comme dates capitales, les multiples occasions où l’affection des souverains pontifes s’est manifestée d’une manière tangible à l’égard de notre Œuvre. J’habite Rome en permanence depuis 1946, et j’ai eu ainsi l’occasion de rencontrer Pie XII, Jean XXIII et Paul VI. Tous trois m’ont toujours réservé un accueil empreint d’affection paternelle.

Seriez-vous d’accord pour dire, comme on le fait parfois, que l’ambiance particulière de l’Espagne, au cours des trente dernières années, a favorisé la croissance de l’Œuvre dans ce pays ?

Il y a peu d’endroits où nous ayons eu moins de facilités qu’en Espagne. C’est le pays – je regrette de devoir le dire, parce que j’aime profondément ma patrie – où il en a coûté le plus, en travail et en peine, pour que l’Œuvre prît racine. Elle était à peine née, qu’elle trouvait sur son chemin l’obstacle dressé par les ennemis de la liberté individuelle et par des gens si férus d’idées traditionnelles qu’ils ne parvenaient pas à comprendre la vie que menaient les membres de l’Opus Dei : citoyens ordinaires, s’efforçant de vivre pleinement leur vocation chrétienne sans quitter le monde.

Les œuvres collectives d’apostolat n’ont pas davantage rencontré, en Espagne, de facilités particulières. Des gouvernements de pays dont les citoyens ne sont pas en majorité catholiques ont aidé, beaucoup plus généreusement que ne l’a fait l’État espagnol, les centres d’enseignement et de bienfaisance fondés par les membres de l’Opus Dei. L’aide que ces gouvernements accordent ou peuvent accorder aux œuvres collectives de l’Opus Dei, comme ils l’accordent d’ordinaire à d’autres institutions du même ordre, ne constitue pas un privilège. C’est simplement la reconnaissance de l’utilité sociale qu’elles présentent et qui a pour effet de ménager les deniers publics.

L’expansion internationale de l’Opus Dei et de son esprit a trouvé un écho immédiat et un accueil favorable dans tous les pays. Si elle s’est heurtée à des difficultés, c’est en raison de faussetés qui émanaient précisément d’Espagne et qui étaient inventées par des Espagnols – par certains secteurs très précis de la société espagnole. D’abord, l’organisation internationale dont je vous parlais ; mais il semble bien que ce soit là du passé et je ne garde rancune à personne. Puis, certaines gens qui ne comprennent pas le pluralisme, qui adoptent une attitude de groupe, quand ce n’est pas une mentalité bornée ou totalitaire, et qui se servent de leur qualité de catholiques pour faire de la politique. Certains, je ne m’explique pas pourquoi – pour des raisons faussement humaines, peut-être – semblent éprouver un malin plaisir à s’en prendre à l’Opus Dei et, comme ils disposent de grands moyens financiers – l’argent des contribuables espagnols –, leurs attaques peuvent être diffusées par une certaine presse.

Vous attendez je m’en rends parfaitement compte, que je vous cite des noms de personnes et d’institutions. Je n’en ferai rien pourtant et j’espère que vous en comprendrez le motif. Notre mission, celle de l’Œuvre et la mienne, n’est pas politique : mon métier est de prier. Et je m’en voudrais de rien dire que l’on pût même interpréter comme une ingérence dans la politique. Je dirai mieux : il m’en coûte beaucoup de parler de ces choses. Je me suis tu pendant près de quarante années et si je romps le silence aujourd’hui, c’est parce que je me vois forcé de dénoncer comme dénuées de tout fondement les interprétations tortueuses que certains essaient de donner d’une Œuvre qui est exclusivement spirituelle. C’est pourquoi, et bien que j’aie gardé le silence jusqu’à présent, je suis décidé à parler désormais, et s’il le faut de plus en plus clairement.

Pour en revenir au nœud de la question, si nombre de personnes de toutes les classes sociales, en Espagne comme ailleurs, se sont efforcées de suivre le Christ avec l’aide de l’Œuvre et suivant son esprit, l’explication n’en saurait être trouvée ni dans le milieu ni dans d’autres motifs extrinsèques. La preuve en est que ceux qui prétendent le contraire avec tant de légèreté, voient fondre leurs propres groupes, et les circonstances extérieures sont les mêmes pour tous. C’est peut-être aussi, humainement parlant, parce qu’ils forment des groupes et que nous, nous n’ôtons à personne la liberté individuelle.

Si l’Opus Dei est bien implanté en Espagne – comme au reste dans quelques autres nations – on peut en voir une cause secondaire dans le fait que notre travail spirituel a débuté, là-bas, il y a quarante ans et que comme je l’expliquais tout à l’heure, la guerre civile espagnole, puis la guerre mondiale, nous ont forcés de différer nos débuts dans d’autres pays. J’entends préciser néanmoins que, depuis des années, les Espagnols ne sont plus qu’une minorité dans l’Œuvre.

N’allez pas croire, j’insiste, que je n’aime pas mon pays ou que je ne me réjouisse pas profondément du travail que l’Œuvre y poursuit, mais il est désolant que des erreurs soient propagées sur l’Opus Dei et l’Espagne.

Références à la Sainte Écriture
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