L’UNIVERSITÉ AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉ ACTUELLE

Monseigneur, nous souhaiterions que vous nous disiez quels sont, à votre avis, les buts essentiels de l’Université et en quels termes vous situez l’enseignement de la religion dans les études universitaires ?

L’Université – vous le savez parce que vous êtes en train de vivre cette réalité, ou du moins vous désirez la vivre – doit, de la position de première importance qui est la sienne, contribuer au progrès humain. Comme les problèmes qui se posent dans la vie des peuples sont multiples et complexes – spirituels, culturels, sociaux, économiques, etc. –, la formation que doit donner l’Université doit embrasser tous ces aspects.

Il ne suffit pas de désirer travailler au bien commun ; pour que ce désir soit efficace, il faudra former des hommes et des femmes capables d’acquérir une bonne préparation et capables, ensuite, de faire participer les autres aux fruits de cette plénitude à laquelle ils sont arrivés.

La religion est la plus grande révolte de l’homme qui ne veut pas vivre comme une bête, qui ne se conforme à sa fin ni ne s’apaise que s’il fréquente et connaît le Créateur : l’étude de la religion est une nécessité fondamentale. Un homme qui n’aurait pas de formation religieuse serait incomplètement formé. Voilà pourquoi la religion doit être présente dans l’Université ; et son enseignement doit se situer à un niveau supérieur, scientifique, à un niveau de bonne théologie. Une Université dont la religion est absente est une Université incomplète : elle ignore en effet une dimension fondamentale de la personne humaine qui n’exclut pas les autres dimensions mais, au contraire, les exige.

Par ailleurs, personne n’a le droit de violer la liberté des consciences : l’enseignement de la religion doit être libre. Cela n’empêche pas le chrétien, s’il veut être en accord avec sa foi, de savoir qu’il a la grave obligation de bien se former en cette matière et, par conséquent, d’avoir une culture religieuse, la doctrine nécessaire pour vivre selon la foi et pouvoir être témoin du Christ par l’exemple et la parole.

L’étape historique qui est la nôtre se caractérise par une préoccupation toute spéciale pour la démocratisation de l’enseignement : son accessibilité à toutes les classes sociales. On ne conçoit pas que l’institution universitaire n’ait point de répercussion ni de fonction sociale. Quel sens donnez-vous à cette démocratisation et comment l’Université peut-elle remplir sa fonction sociale ?

Il faut que l’Université forme les étudiants dans un esprit de service : service de la société, promotion du bien commun grâce à leur travail professionnel et à leur action civique. Les étudiants doivent être responsables, manifester une saine inquiétude pour les problèmes d’autrui et un esprit généreux qui les pousse à affronter ces problèmes et à tâcher de leur trouver la meilleure solution possible. Offrir tout cela à l’étudiant, telle est la tâche de l’Université.

Tous ceux qui en sont capables doivent avoir accès aux études supérieures, quels que soient leur origine sociale, leurs moyens financiers, leur race ou leur religion. Aussi longtemps qu’il y aura des barrières dans ce domaine, la démocratisation de l’enseignement ne sera qu’un vain mot.

Bref, l’Université doit être ouverte à tous et, d’autre part, elle doit former ses étudiants de telle manière que leur futur travail professionnel puisse être mis au service de tous.

Beaucoup d’étudiants se sentent solidaires et désirent adopter une attitude active face au spectacle qu’offre le monde entier de tant de personnes qui souffrent physiquement et moralement, ou qui vivent dans l’indigence. Quels idéaux sociaux offririez-vous à la jeunesse intellectuelle d’aujourd’hui ?

L’idéal consiste surtout en la réalité d’un travail bien fait, en la préparation scientifique appropriée tout au long des années d’Université. Cela dit, il y a des milliers d’endroits dans le monde où l’on a besoin de bras, où l’on attend une activité personnelle forte et fondée sur l’esprit de sacrifice. L’Université ne doit pas former des hommes qui, par la suite, se réservent avec égoïsme les bénéfices acquis au cours de leurs études. Elle doit, au contraire, les préparer à une activité faite d’aide généreuse envers le prochain et de fraternité chrétienne.

Bien souvent cette solidarité se limite à des manifestations orales ou écrites, quand ce ne sont pas des querelles stériles ou nuisibles. Personnellement, je mesure la solidarité aux actes de service ; et je connais des milliers de cas d’étudiants espagnols et d’autres pays qui ont renoncé à construire leur petit monde à eux et qui se donnent aux autres, au moyen d’un travail professionnel qu’ils essaient de réaliser avec la plus grande perfection humaine possible dans l’enseignement, l’assistance, les œuvres sociales, etc., le tout avec un esprit toujours jeune et débordant de joie.

À propos de l’actualité politico-sociale de notre pays et des autres, à propos de la guerre, de l’injustice et de l’oppression, quelles responsabilités attribuez-vous à l’Université, en tant qu’association à vocation enseignante, aux professeurs et aux étudiants ? L’Université peut-elle normalement admettre dans son enceinte une activité politique de la part des étudiants et des professeurs ?

Avant tout je tiens à dire que, dans cette conversation, je suis en train d’exprimer une opinion, la mienne, c’est-à-dire celle d’une personne qui, depuis sa seizième année – et j’en ai maintenant soixante-cinq – n’a pas perdu le contact avec l’Université. J’expose ma manière personnelle d’envisager cette question et non celle de l’Opus Dei qui, dans tout ce qui est temporel et de libre opinion, ne veut ni ne peut manifester aucun choix – chacun des membres de l’Œuvre, en effet, a et exprime librement un avis personnel dont il se rend aussi personnellement responsable –, étant donné que le but poursuivi par l’Opus Dei est exclusivement spirituel.

Pour en revenir à votre question, il me semble qu’il faudrait avant tout se mettre d’accord sur la signification du terme « politique ». Si par « politique » on entend s’intéresser et travailler à la paix, à la justice sociale, à la liberté de tous, en ce cas chacun à l’Université, et l’Université en tant qu’association à vocation enseignante, est dans l’obligation de faire siens ces idéaux et de favoriser la préoccupation qui permet de résoudre les grands problèmes de la vie humaine.

Si au contraire on entend par « politique », la solution concrète d’un problème donné admettant d’autres solutions légitimes et possibles, en s’opposant à ceux qui soutiennent le contraire, j’estime alors que l’Université n’est pas l’endroit où il faut décider de ce genre de choses.

L’Université est un endroit où l’on se prépare à donner des solutions à ces problèmes ; c’est une maison commune, un centre d’études et d’amitié ; c’est un foyer où se rassemblent dans un esprit de collaboration et de paix des personnes de tendances diverses qui incarnent, en toutes périodes, l’expression du pluralisme légitime qui se manifeste dans la société.

Si les circonstances politiques d’un pays en arrivaient à une situation telle qu’un universitaire, professeur ou étudiant, estime en conscience qu’il devient préférable de politiser l’Université parce qu’il n’a pas en son pouvoir les moyens licites d’éviter la dégradation générale de la nation, pourrait-il agir de la sorte en faisant ainsi usage de sa liberté ?

S’il n’existait, dans un pays donné, absolument aucune liberté politique, il se produirait peut-être une dénaturation de l’Université. Celle-ci, cessant d’être la maison commune, se convertirait en un champ de bataille où s’opposeraient des factions rivales.

J’estime cependant qu’il serait préférable de consacrer ces années à une préparation sérieuse, à la formation d’une mentalité sociale afin que ceux qui demain dirigeront et qui aujourd’hui étudient ne tombent point dans cette aversion de la liberté personnelle qui est quelque chose de vraiment pathologique. Si l’Université devient l’endroit où l’on débat et résout des problèmes politiques il s’ensuivra aisément la perte de la sérénité académique et un esprit de parti pris dans la formation des étudiants ; de cette manière-là, l’Université et le pays traîneront toujours derrière eux le mal chronique du totalitarisme, de quelque obédience qu’il soit.

Il doit être cependant clair qu’en disant que l’Université n’est pas un lieu approprié à la politique, je n’exclus pas – je le souhaite au contraire – que les aspirations de tous les citoyens suivent leurs cours normal. Bien que, sur ce point, mon opinion soit des plus concrètes, je ne veux rien ajouter parce que ma mission n’est pas politique mais sacerdotale. Ce que je vous dis, c’est en tant qu’universitaire que je vous le dis ; et tout ce qui regarde l’Université me passionne. Je ne fais pas de politique, ni ne veux ni ne peux en faire ; mais ma mentalité de juriste et de théologien – ma foi chrétienne aussi – me poussent à être toujours du côté de la liberté légitime de tous les hommes. Personne ne peut prétendre imposer, dans les questions temporelles, des dogmes qui, de fait, n’existent point. Devant n’importe quel problème concret, la solution consiste à bien l’étudier et ensuite à agir en conscience, avec une liberté personnelle et avec une responsabilité elle aussi personnelle.

Quelles sont, à votre avis, les fonctions des associations ou des syndicats d’étudiants ? Comment doit-on envisager leurs relations avec les autorités académiques ?

Vous me demandez d’exprimer un jugement sur une question bien vaste. Je ne vais donc pas descendre jusqu’aux plus petits détails ; je me contenterai de quelques idées générales. J’estime que les associations d’étudiants doivent intervenir dans les questions spécifiquement universitaires. Il faut qu’il y ait des représentants élus librement par leurs camarades, qui entretiennent des relations avec les autorités académiques, conscients de ce qu’ils doivent travailler à l’unisson dans une tâche commune : il y a là une nouvelle et excellente occasion de rendre vraiment service.

Ici s’impose un statut qui règle les moyens de réaliser cette tâche avec efficacité, avec justice et de manière rationnelle : les questions doivent être bien travaillées et bien pensées. Si les solutions proposées sont étudiées à fond, issues d’un désir de construire et non de fomenter des oppositions, elles acquerront une autorité intrinsèque qui les fera s’imposer d’elles-mêmes.

Voilà pourquoi il est nécessaire que les représentants des associations jouissent d’une sérieuse formation : qu’ils aiment en premier lieu la liberté des autres ainsi que leur propre liberté et la responsabilité qui en découle ; et qu’ils ne cherchent pas à briller ni à s’attribuer des pouvoirs qu’ils ne possèdent point ; qu’ils cherchent, au contraire, le bien de l’Université, c’est-à-dire celui de leurs compagnons d’études. Il faut, de même, que les électeurs choisissent leurs représentants eu égard à ces qualités et non pour des motifs étrangers à l’efficacité de leur Alma Mater : ce n’est qu’ainsi que l’Université devient foyer rayonnant de paix, réservoir de recherche sereine et noble, conditions qui faciliteront l’étude et la formation de chacun.

Quel sens donnez-vous à la liberté d’enseignement et dans quelles conditions la jugez-vous nécessaire ? En ce sens quelles sont les attributions qu’il faut réserver à l’État dans le domaine de l’enseignement supérieur ? Estimez-vous que l’autonomie soit un principe fondamental dans l’organisation de l’Université ? Pourriez-vous nous donner les grandes lignes sur lesquelles se fonde le système de l’autonomie ?

La liberté d’enseignement n’est qu’un aspect de la liberté en général. Je considère que la liberté personnelle est nécessaire à tous les hommes pour tout ce qui est moralement licite. Liberté d’enseignement donc, à tous les niveaux et pour toutes les personnes. Ce qui revient à dire que toute personne ou association reconnue capable de fonder des centres d’enseignement doit pouvoir le faire à conditions égales et sans entraves inutiles.

La fonction de l’État varie selon la situation sociale : elle est différente en Allemagne ou en Angleterre, au Japon ou aux États-Unis, pour parler de pays dont les structures quant à l’éducation sont fort diverses. L’État a des fonctions évidentes de promotion, de contrôle et de surveillance. Et cela exige l’égalité des chances entre l’initiative privée et celle de l’État : surveiller ne signifie pas élever des obstacles ni empêcher ou limiter l’exercice de la liberté.

Voilà pourquoi je considère que l’autonomie de l’enseignement est nécessaire ; et « autonomie » revient à dire liberté d’enseignement. L’Université en tant qu’association à vocation enseignante doit jouir d’une indépendance analogue à celle de l’organe dans le corps vivant : liberté, dans sa tâche spécifique en vue du bien commun.

Voici quelques manifestations possibles de la réalisation effective de cette autonomie : liberté dans le choix des professeurs et des administrateurs ; liberté dans l’établissement des programmes d’étude ; possibilité de constituer un patrimoine propre et de l’administrer ; en un mot, toutes les conditions requises pour que l’Université puisse jouir d’une vie propre. Et lorsqu’elle aura sa propre vie, elle saura se donner au bien de la société tout entière.

L’on perçoit, dans l’opinion étudiante, une critique de plus en plus vive à l’égard de la chaire à vie. Ce courant d’opinion vous semble-t-il opportun ?

Oui. Tout en reconnaissant que le niveau scientifique et humain du corps professoral espagnol est élevé, je préfère le système du contrat renouvelable. J’estime que celui-ci ne constitue pas un préjudice économique pour le professeur et qu’il le stimule à ne pas abandonner la recherche et à se perfectionner dans sa spécialisation. De cette manière, l’on évitera aussi de considérer les chaires comme des fiefs plutôt que comme une position d’où l’on peut mieux servir les autres.

Je n’exclus pas que le système des chaires à vie puisse donner de bons résultats dans certains pays, ni non plus que grâce à ce système il y ait des cas de professeurs très compétents qui, de leur chaire, rendent de véritables services de type universitaire. Mais j’estime que le système du contrat renouvelable contribue à augmenter le nombre de ces cas, ce qui permet d’arriver à l’idéal où pratiquement tous les professeurs réunissent ces conditions.

Ne pensez-vous pas qu’après le concile Vatican II, des expressions comme « collèges de l’Église », « collèges catholiques », « Universités de l’Église », etc., sont dépassées ? Ne pensez-vous pas que de telles expressions compromettent indûment l’Église ou font penser à des privilèges ?

Non, ce n’est pas mon avis, du moins si par « collèges de l’Église », « collèges catholiques », etc. on se réfère à l’application du droit qu’a l’Église, ainsi que les ordres et les congrégations religieuses, de créer des centres d’enseignement. Fonder un collège ou une Université ne constitue pas un privilège mais plutôt une charge lorsqu’on veille à ce qu’ils soient des centres ouverts à tout le monde, et pas simplement à ceux qui disposent de revenus suffisamment élevés.

Le Concile n’a pas voulu qualifier de dépassées les institutions d’enseignement confessionnel ; il a seulement voulu faire remarquer qu’il y a un autre mode de présence chrétienne dans l’enseignement – un mode plus nécessaire même et plus universel, – mode que les membres de l’Opus Dei vivent depuis tant d’années – et qui consiste en l’initiative libre de citoyens dont le travail professionnel est l’éducation au sein des centres érigés par l’État et hors de ceux-ci. Il s’agit d’une nouvelle preuve de ce que l’Église a actuellement une pleine conscience de la fécondité de l’apostolat des laïcs.

Mais je dois aussi avouer que je n’ai guère de sympathie pour des expressions telles que école catholique, collège de l’Église, etc., tout en respectant l’opinion de ceux qui pensent le contraire. Je préfère que les réalités se distinguent à leurs fruits, plutôt qu’à leur nom. Un collège sera effectivement chrétien si, tout en étant comme les autres et en s’appliquant à l’excellence, il réalise une tâche de formation complète – y compris chrétienne – dans le respect de la liberté personnelle et la promotion impérative de la justice sociale. S’il fait réellement cela, la question du nom est sans importance. Personnellement, je le répète, je préfère éviter ces adjectifs.

En tant que grand chancelier de l’université de Navarre, nous aimerions que vous nous parliez des principes dont vous vous êtes inspiré en la fondant et de la signification qu’elle a actuellement dans le panorama universitaire espagnol.

L’université de Navarre a fait son apparition en 1952 – après des années de prière, j’éprouve de la joie à le dire – ; elle est née de l’espoir de faire surgir une institution universitaire où se réaliseraient les idéaux culturels et apostoliques d’un groupe de professeurs qui avaient profondément pris conscience de l’importance de la fonction enseignante. Cette institution aspirait alors – elle aspire aujourd’hui – à contribuer, au coude à coude avec les autres universités, à la recherche d’une solution à un grave problème d’éducation : celui de l’Espagne et de beaucoup d’autres pays qui ont besoin d’hommes bien préparés pour construire une société plus juste.

Au moment de sa fondation, ceux qui l’ont commencée n’étaient pas étrangers à l’Université espagnole : c’étaient des professeurs formés et ayant enseigné à Madrid, Barcelone, Séville, Saint-Jacques de Compostelle, Grenade et dans bien d’autres universités. Cette étroite collaboration – j’oserai dire qu’il s’agit d’une collaboration plus étroite que celle qu’ont entre elles d’autres universités, même voisines – s’est poursuivie : fréquents échanges entre professeurs, congrès internationaux où l’on travaille à l’unisson, etc. Ce contact s’est maintenu et se maintient avec les meilleures universités d’autres pays ; ce qui confirme la toute récente promotion, au titre de docteurs honoris causa, de professeurs de la Sorbonne, de Harvard, de Coïmbra, de Munich et de Louvain.

L’université de Navarre a également permis de canaliser l’aide de tant de personnes qui se rendent compte que les études universitaires constituent une base fondamentale pour le progrès du pays, lorsqu’elles sont ouvertes à tous ceux qui méritent d’étudier, quelles que soient leurs ressources. L’Association des amis de l’université de Navarre est une réalité ; grâce à son aide généreuse, elle est déjà parvenue à distribuer un grand nombre de bourses d’études. Ce nombre augmentera de plus en plus, tout comme le nombre d’étudiants africains, asiatiques et latino-américains.

Certains ont écrit que l’université de Navarre est une université de riches et qu’en outre elle reçoit une abondante subvention de l’État. En ce qui concerne le premier point, nous savons qu’il n’en est pas ainsi parce que nous sommes aussi étudiants et que nous connaissons nos camarades. Mais qu’en est-il au juste des subventions de l’État ?

Il existe à ce sujet des données concrètes dont tout le monde peut prendre connaissance parce qu’elles ont été diffusées par la presse. Elles montrent que, les frais étant approximativement les mêmes que ceux des autres universités, il y a un nombre plus élevé que dans n’importe quelle autre université du pays, d’étudiants qui bénéficient d’une aide financière pour leurs études à l’université de Navarre. Je puis vous dire que ce nombre va encore augmenter pour arriver à un pourcentage supérieur ou au moins similaire à celui de l’université non espagnole qui se distingue le plus par ses efforts en matière de promotion sociale.

Je comprends qu’il soit frappant de voir que l’université de Navarre est un organisme vivant qui fonctionne admirablement, et qu’on imagine d’énormes moyens financiers.

Mais en raisonnant ainsi, on oublie que les ressources matérielles ne suffisent pas pour obtenir la réussite : la vie de ce centre universitaire, est due principalement au dévouement, à l’enthousiasme et au travail que tous ont consacrés à l’université : les professeurs, les étudiants, les employés, les appariteurs et ces excellentes et bien-aimées femmes de Navarre qui font le ménage. S’il en eût été autrement, l’Université n’aurait pu tenir debout.

Économiquement, l’université est financée par des subventions. Tout d’abord celles de la Diputación de Navarra pour les dépenses de fonctionnement. Il faut également signaler que la commune de Pampelune a cédé des terrains sur lesquels sont et seront construits les édifices, suivant en cela la coutume des municipalités de tant de pays. Vous connaissez par expérience l’intérêt moral et économique que suppose, pour une région comme celle de la Navarre et particulièrement pour Pampelune, le fait de pouvoir compter sur une université moderne qui donne à tous la possibilité de recevoir un enseignement supérieur solide.

Vous m’interrogez sur les subventions de l’État. L’État espagnol ne donne aucune aide pour les dépenses de fonctionnement de l’université de Navarre. Il a fait parvenir quelques subventions pour la création de nouveaux postes d’enseignement, qui allègent le grand effort économique que demandent les nouvelles installations.

Une autre source de revenus, en particulier pour l’École technique supérieure d’ingénieurs industriels, est constituée par les Corporations du Guipúzcoa, et, notamment la Caisse d’Épargne provinciale du Guipúzcoa.

L’aide de fondations espagnoles ou étrangères, nationales et privées, a occupé une place de premier plan dès les débuts de l’université : ainsi, une importante dotation officielle des États-Unis a permis de monter le matériel scientifique de l’École des ingénieurs industriels. L’œuvre d’assistance allemande Misereor a contribué à la mise en œuvre des nouveaux édifices ; il faut signaler aussi l’aide de la Fondation Huarte pour les recherches sur le cancer, les contributions de la fondation Gulbenkian, etc.

Il y a ensuite l’aide à laquelle nous sommes le plus sensibles : celle de milliers de personnes, de toutes les classes sociales, dont beaucoup ont de modiques revenus, qui, en Espagne et hors d’Espagne, collaborent dans la mesure de leurs moyens au soutien de l’université.

Enfin, on ne peut oublier les entreprises qui accordent leur intérêt et leur coopération aux efforts de recherche scientifique de l’université ou l’aident autrement.

Vous pensez peut-être qu’avec tout cela il y a trop d’argent. Eh bien, non ! L’université de Navarre est encore et toujours en déficit. Je souhaiterais que davantage encore de personnes et de fondations nous aident à pouvoir continuer avec une plus large extension ce travail de service et de promotion sociale.

Comme fondateur de l’Opus Dei et promoteur, indirectement, d’une large gamme d’institutions universitaires dans le monde entier pourriez-vous nous dire quels motifs ont poussé l’Opus Dei à les créer et, d’autre part, quelles sont les caractéristiques principales de l’apport de l’Opus Dei à l’enseignement supérieur ?

Le but que poursuit l’Opus Dei est de faire en sorte que, dans le monde entier, un grand nombre de personnes sachent théoriquement et pratiquement que sanctifier le travail de tous les jours est chose possible. Que l’on peut aussi chercher la sainteté chrétienne au milieu de la rue, sans abandonner la tâche à laquelle le Seigneur a voulu nous appeler. Voilà pourquoi l’apostolat le plus important de l’Opus Dei est celui que réalisent individuellement ses membres au moyen d’un travail professionnel fait avec la plus grande perfection humaine possible malgré mes erreurs personnelles et celles que chacun peut commettre – dans tous les milieux et tous les pays, car des personnes de quelque quatre-vingts nations, de toutes races et de toutes conditions sociales, appartiennent à l’Opus Dei.

Par ailleurs l’Opus Dei en tant qu’Association érige, avec le concours d’un grand nombre de personnes – qui ne sont pas membres de l’Œuvre et qui, souvent, ne sont pas chrétiennes –, des entreprises collectives au moyen desquelles l’Œuvre tâche de contribuer à la solution de tant de problèmes qui se posent dans le monde actuel. Ce sont des centres d’éducation, d’assistance, de promotion et de formation professionnelle, etc.

Les institutions universitaires dont vous me parlez ne constituent qu’un aspect de ces différentes activités. L’on peut résumer ainsi leurs caractéristiques : éducation fondée sur la liberté personnelle et sur la responsabilité, elle aussi personnelle. Dans la liberté et avec responsabilité, l’on travaille volontiers, avec un bon rendement, et les contrôles, la surveillance deviennent inutiles : chacun, en effet, se sent chez lui et un simple horaire suffit. Ensuite, c’est en vivant en bonne intelligence avec tous, sans aucune sorte de discrimination, que se forme la personne : chacun apprend alors que, pour exiger que sa liberté soit respectée, il doit savoir respecter la liberté d’autrui. Enfin il y a l’esprit de fraternité humaine : les talents personnels doivent être mis au service des autres ; sinon ils ne sont que de peu d’utilité. Les entreprises collectives qu’érige l’Opus Dei dans le monde entier sont toujours au service de tous parce qu’elles constituent un service chrétien.

En mai dernier, au cours d’une réunion que vous avez eue avec les étudiants de l’université de Navarre, vous avez promis un livre sur des thèmes estudiantins et universitaires. Pourriez-vous nous dire s’il paraîtra bientôt ?

Permettez une petite vanité à un vieil homme de plus de soixante ans : j’espère que ce livre sortira et qu’il rendra service aux professeurs et aux étudiants. Du moins y mettrai-je toute l’affection que j’ai pour 1’Université, une affection que je n’ai jamais perdue depuis mes premiers contacts avec celle-ci… il y a si longtemps !

Le livre aura peut-être encore un peu de retard, mais il paraîtra. En une autre occasion j’avais promis aux étudiants de Navarre une statue de la Sainte Vierge qui serait placée au milieu du Campus, pour qu’elle y bénisse l’amour pur et sain de votre jeunesse. Elle a tardé un peu mais, au bout de quelque temps, la statue de Sainte Marie, Mère du Bel Amour, arrivait, spécialement bénie pour vous par le Saint-Père.

Pour ce qui est du livre, je dois vous prévenir de ne pas vous attendre à ce qu’il plaise à tout le monde. J’y exposerai mes opinions et j’espère qu’elles seront respectées par ceux qui pensent le contraire, tout comme je respecte toutes les opinions différentes de la mienne ; tout comme je respecte ceux qui ont le cœur grand et généreux, même s’ils ne partagent pas ma foi dans le Christ. Je vous raconterai quelque chose qui m’est souvent arrivé, et la dernière fois c’était ici, à Pampelune. Un étudiant qui voulait me saluer s’approcha et me dit :

— Monseigneur, je ne suis pas chrétien, je suis musulman.

— Tu es fils de Dieu, comme moi, lui répondis-je. Et je l’ai embrassé de toute mon âme.

Enfin, pourriez-vous nous dire quelque chose, à nous qui travaillons dans la presse universitaire ?

C’est une grande chose que le journalisme, et le journalisme universitaire. Vous pouvez fortement contribuer à éveiller chez vos compagnons l’amour des nobles idéaux, le désir de surmonter l’égoïsme personnel, la sensibilité pour les activités collectives, la fraternité. Et maintenant je ne puis manquer, une fois de plus, de vous inviter à aimer la vérité.

Je ne vous cache pas que c’est pour moi une chose répugnante que la tendance au « sensationnalisme » de certains journalistes qui ne disent la vérité qu’à moitié. Informer ne consiste pas à rester à mi-chemin entre la vérité et le mensonge. Cela ne peut être appelé information, ce n’est pas moral. De même on ne peut appeler journalistes ceux qui mélangent à des demi-vérités beaucoup d’erreurs et même des calomnies préméditées. On ne peut les qualifier de journalistes parce qu’ils ne sont qu’une pièce dans l’engrenage – plus ou moins lubrifié – de n’importe quelle organisation qui propage des erreurs et qui sait qu’elles seront répétées à satiété, sans mauvaise foi mais par l’ignorance et la stupidité d’un grand nombre de personnes.

Je dois vous avouer que, pour ce qui me concerne, ces faux journalistes y gagnent : il ne se passe, en effet, pas un seul jour sans que je ne prie affectueusement le Seigneur pour eux, en lui demandant d’éclairer leur conscience.

Je vous demande donc de diffuser l’amour du bon journalisme, de celui qui ne se contente point de rumeurs non fondées, des on-dit inventés par des imaginations surchauffées. Informez avec des faits, des résultats, sans juger des intentions, plaçant les opinions légitimement diverses sur le même plan, sans vous abaisser à l’attaque personnelle. On vivra difficilement en bonne intelligence là où fait défaut la véritable information, et l’information véritable est celle qui ne craint pas la vérité et qui ne se laisse pas emporter par des motifs d’opportunisme, de faux prestige, ou financiers.

Références à la Sainte Écriture
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