SPONTANÉITÉ ET PLURALISME DU PEUPLE DE DIEU

Nous voudrions entamer cette interview par une question qui suscite, dans de nombreux esprits, les interprétations les plus diverses : l’aggiornamento. Quel est, à votre avis, le véritable sens de ce mot, appliqué à la vie de l’Église ?

Fidélité. Pour moi, aggiornamento signifie avant tout : fidélité. Un mari, un soldat, un administrateur est d’autant meilleur mari, d’autant meilleur soldat, d’autant meilleur administrateur qu’il affronte plus fidèlement, à chaque instant, toute nouvelle circonstance de sa vie, et répond aux fermes engagements d’amour et de justice qu’il a pris un jour. Cette fidélité opérante, délicate et constante qui est difficile, – comme est difficile toute application de principes à la réalité changeante des contingences – est, pour cette raison même, la meilleure défense de la personne contre le vieillissement de l’esprit, l’aridité du cœur et la sclérose mentale.

Il en va de même pour la vie des institutions, et très singulièrement pour la vie de l’Église, qui obéit, non pas à un projet précaire de l’homme, mais à un dessein de Dieu. La Rédemption, le salut du monde, sont nés de la fidélité aimante et filiale de Jésus-Christ – et de nous-mêmes avec Lui – à la volonté du Père céleste qui l’a envoyé. C’est pourquoi l’aggiornamento de l’Église – aujourd’hui comme à toute autre époque – est fondamentalement ceci : une réaffirmation joyeuse de la fidélité du Peuple de Dieu à la mission reçue, à l’Évangile.

Il est clair que cette fidélité vivante et actuelle dans chaque circonstance de la vie des hommes, peut exiger, et, en fait, a maintes fois exigé, au cours de l’histoire deux fois millénaire de l’Église, et récemment au concile Vatican II, des développements doctrinaux, dictés par l’événement, dans l’exposé des richesses du depositum fidei, de même que des changements appropriés et des réformes qui perfectionnent – dans leur élément humain, perfectible – les structures de l’organisation et les méthodes missionnaires et apostoliques. Mais il serait pour le moins superficiel de penser que l’aggiornamento consiste d’abord à changer, ou que tout changement aggiorna. Il suffit de songer qu’il ne manque pas de gens, en marge de la doctrine conciliaire et contrairement à elle, pour désirer aussi des changements qui feraient revenir plusieurs siècles en arrière – jusqu’à la période féodale pour le moins – le chemin progressif du Peuple de Dieu.

Le concile Vatican II a largement utilisé, dans ses documents, l’expression « Peuple de Dieu », pour désigner l’Église, et a mis ainsi en évidence la responsabilité commune de tous les chrétiens dans la mission unique de ce Peuple de Dieu. Quelles caractéristiques doit posséder, à votre avis, l’« opinion publique nécessaire dans l’Église » – dont parlait déjà Pie XII – pour refléter, en effet, cette responsabilité commune ? Comment le phénomène de l’« opinion publique dans l’Église » est-il affecté par les relations particulières d’autorité et d’obéissance que l’on trouve au sein de la communauté ecclésiale ?

Je ne conçois pas qu’il puisse y avoir obéissance véritablement chrétienne, si cette obéissance n’est pas volontaire et responsable. Les fils de Dieu ne sont ni des pierres ni des cadavres ; ce sont des êtres intelligents et libres, élevés tous au même ordre surnaturel, comme la personne qui commande. Mais on ne pourra jamais faire bon usage de l’intelligence et de la liberté – pour obéir autant que pour donner son avis – si l’on n’a pas la formation chrétienne suffisante. C’est pourquoi le problème de fond de l’« opinion publique nécessaire dans l’Église » équivaut au problème de la formation doctrinale nécessaire des fidèles. Certes, l’Esprit Saint distribue ses dons en abondance parmi les membres du Peuple de Dieu – qui sont tous coresponsables de la mission de l’Église –, mais cela n’exempte personne, bien au contraire, du devoir d’acquérir la formation doctrinale appropriée.

J’entends par doctrine la connaissance suffisante, que chaque fidèle doit avoir, de la mission totale de l’Église et de la participation particulière et, par conséquent, de la responsabilité spécifique qui lui incombe, à lui, dans cette mission unique. Tel est – comme l’a rappelé maintes fois le Saint-Père – le colossal travail de pédagogie que l’Église doit entreprendre en cette époque postconciliaire. C’est en rapport direct avec ce travail qu’il faut mettre, je pense entre autres aux espérances qui sont aujourd’hui latentes au sein de l’Église, la solution correcte du problème auquel vous faites allusion. Car ce ne seront certainement pas les intuitions plus ou moins prophétiques de quelques charismatiques sans doctrine, qui pourront assurer l’opinion publique nécessaire dans le Peuple de Dieu.

Quant aux formes d’expression de cette opinion publique, je ne considère pas que ce soit un problème d’organes ou d’institutions. L’instrument approprié peut en être aussi bien un Conseil pastoral diocésain que les colonnes d’un journal – même s’il n’est pas officiellement catholique – ou la simple lettre personnelle d’un fidèle à son évêque, etc. Les possibilités et les modalités légitimes, grâce auxquelles cette opinion des fidèles peut se manifester, sont très diverses, et il ne semble pas qu’on puisse ni doive les corseter en créant une nouvelle entité ou une nouvelle institution. Et moins encore s’il s’agissait d’une institution qui risquerait – c’est si facile – d’être monopolisée ou instrumentalisée, en fait, par un groupe ou une chapelle de catholiques officiels, quelle que fût la tendance ou l’orientation dont cette minorité s’inspirerait. Cela mettrait en péril le prestige même de la Hiérarchie et donnerait l’impression qu’on se moque des autres membres du Peuple de Dieu.

Le concept de Peuple de Dieu, dont nous venons de parler, exprime le caractère historique de l’Église en tant que réalité d’origine divine, qui se sert également, dans son cheminement, d’éléments changeants et périssables. Dès lors, comment le prêtre doit-il mener son existence sacerdotale ? Sur quel trait mettriez-vous l’accent, au moment présent, dans le personnage du prêtre, tel qu’il est décrit par le Décret Presbyterorum Ordinis ?

Je mettrais l’accent sur un trait de l’existence sacerdotale qui, précisément, n’appartient pas à la catégorie des éléments changeants et périssables. Je me réfère à la parfaite union qui doit s’opérer – et le Décret Presbyterorum Ordinis le rappelle à maintes reprises – entre consécration et mission du prêtre, ou, ce qui revient au même, entre vie personnelle de piété et exercice du sacerdoce ministériel, entre relations filiales du prêtre avec Dieu et relations pastorales et fraternelles avec les hommes. Je ne crois pas à l’efficacité ministérielle du prêtre qui n’est pas un homme de prière.

Certains secteurs du clergé sont inquiets de la présence, dans la société, du prêtre qui cherche – en s’appuyant sur la doctrine du Concile (Const. Lumen gentium, n° 31 ; Decr. Presbyterorum Ordinis, n° 8) – à s’exprimer au moyen d’une activité professionnelle ou ouvrière dans la vie civile, « prêtres au travail », etc. Nous aimerions connaître votre opinion à ce sujet.

Je tiens à dire d’abord que je respecte l’opinion contraire à celle que je vais exprimer, encore que je la juge erronée pour de multiples raisons ; et à dire aussi que mon affection et mes prières accompagnent ceux qui la défendent personnellement de tout leur zèle apostolique.

Je pense que, quand le sacerdoce est correctement exercé sans timidité ni complexes qui témoignent ordinairement d’une absence de maturité humaine, et sans prééminence cléricale – qui trahirait un sens assez pauvre du surnaturel –, le ministère du prêtre assure suffisamment par lui-même une présence légitime, simple et authentique, de l’homme-prêtre parmi les autres membres de la communauté humaine auxquels il s’adresse. D’ordinaire il n’en faudra pas davantage pour vivre en communion de vie avec le monde du travail, comprendre ses problèmes et participer à son sort. Mais ce qui, bien entendu, serait rarement efficace, pour être condamné d’avance à l’échec, – par manque d’authenticité – ce serait de recourir au passeport ingénu de certaines activités laïques exercées en amateur, ce qui peut offenser, pour bien des raisons, le bon sens des laïcs eux-mêmes.

Le ministère sacerdotal est d’ailleurs – et davantage encore à notre époque où le clergé fait gravement défaut – un travail terriblement absorbant, qui ne permet pas, faute de temps, d’exercer une double activité. Les âmes ont tellement besoin de nous, même si beaucoup d’entre elles l’ignorent, qu’on n’y suffit jamais. On manque de bras, de temps, de forces. C’est pourquoi j’ai l’habitude de dire à mes prêtres que si l’un d’eux notait un jour qu’il a du temps de reste, il pourrait être certain, ce jour-là, de n’avoir pas bien accompli son sacerdoce.

Et remarquez qu’il s’agit, dans le cas de ces prêtres de l’Opus Dei, d’hommes qui, avant de recevoir les ordres sacrés, ont d’ordinaire exercé pendant des années une profession ou un métier dans la vie civile : ce sont des ingénieurs-prêtres, des médecins-prêtres, des ouvriers-prêtres, etc. Néanmoins, je n’en connais aucun qui ait jugé nécessaire – pour se faire écouter et estimer dans la société civile, parmi ses anciens collègues et compagnons – de s’approcher des âmes en tenant en main une règle à calcul, un stéthoscope ou un marteau pneumatique. Il est vrai que parfois ils exercent – d’une manière compatible avec les obligations de l’état clérical – leur profession ou leur métier respectifs. Cependant aucun d’eux ne pense que cela soit nécessaire pour s’assurer une « présence dans la société civile », mais bien pour d’autres motifs : charité sociale, par exemple, ou nécessité économique absolue, pour mettre en marche une œuvre apostolique. Saint Paul, lui aussi, retournait parfois à son ancien métier de fabricant de tentes ; mais jamais parce qu’Ananie lui aurait dit, à Damas, d’apprendre à fabriquer des tentes de manière à pouvoir ainsi prêcher dûment l’Évangile du Christ aux Gentils.

Bref – et notez que, par là, je ne préjuge en rien de la légitimité et de la droiture d’intention d’aucune initiative apostolique –, j’estime que l’intellectuel-prêtre et l’ouvrier-prêtre, par exemple, sont des personnages plus authentiques et plus conformes à la doctrine de Vatican II que le prêtre-ouvrier. Sauf pour ce qu’il représente d’activité pastorale spécialisée – qui sera toujours nécessaire – le personnage classique du prêtre-ouvrier appartient maintenant au passé ; un passé qui masquait à beaucoup le potentiel merveilleux de l’apostolat des laïcs.

On entend parfois formuler des reproches à l’égard de ces prêtres qui adoptent une attitude concrète, dans des problèmes à caractère temporel et plus spécialement à caractère politique. Beaucoup de ces attitudes, à la différence de ce qui se passait à d’autres époques, tendent généralement à défendre la liberté, la justice sociale, etc. Il est également certain que le propre du sacerdoce ministériel n’est pas d’intervenir activement dans ce domaine, sauf cas très rares. Mais ne croyez-vous pas que le prêtre doive dénoncer l’injustice, l’absence de liberté, etc., en tant qu’elles ne sont pas chrétiennes ? Comment concilier concrètement ces deux exigences ?

Une partie essentielle du munus docendi du prêtre consiste à enseigner les vertus chrétiennes – toutes les vertus chrétiennes – ainsi que leurs exigences et leurs manifestations concrètes dans les diverses circonstances de la vie des hommes auprès desquels il exerce son ministère. De même qu’il doit enseigner à respecter et à estimer la dignité et la liberté dont Dieu a doté la personne humaine en la créant, et la dignité surnaturelle particulière que le chrétien reçoit par le baptême.

Aucun prêtre, qui accomplit ce devoir ministériel qui est le sien, ne pourra jamais être accusé – si ce n’est par ignorance ou mauvaise foi – de se mêler de politique. On ne pourrait même pas dire qu’en développant ces enseignements, il s’immisce dans la tâche apostolique spécifique qui incombe aux laïcs d’ordonner chrétiennement les structures et les tâches temporelles.

L’Église entière manifeste sa préoccupation envers les problèmes du Tiers Monde. À cet égard, on sait que l’une des plus grandes difficultés réside dans la pénurie de clergé et spécialement de prêtres autochtones. Que pensez-vous à ce sujet et, en tout cas, quelle est votre expérience dans ce domaine ?

Je pense en effet que l’accroissement du clergé autochtone est un problème d’une importance capitale pour assurer le développement – voire la permanence – de l’Église dans de nombreuses nations et spécialement dans ces pays qui traversent, pour l’instant, une crise de nationalisme exacerbé.

Quant à mon expérience personnelle, je dois dire que l’un des nombreux motifs que j’ai de rendre grâces au Seigneur, est de voir avec quelle saine doctrine, avec quelle vision universelle, catholique, et avec quelle volonté de servir – ils sont, bien entendu, meilleurs que moi – se forment et arrivent au sacerdoce, dans l’Opus Dei, des centaines de laïcs de diverses nations – aujourd’hui plus de quatre-vingts pays – où le développement du clergé autochtone s’impose avec urgence. Certains de ces prêtres ont accédé à l’épiscopat dans ces pays mêmes et ils y ont créé des séminaires florissants.

Les prêtres sont incardinés dans un diocèse et dépendent de l’Ordinaire. Comment justifier qu’ils puissent appartenir à une association étrangère au diocèse et même de portée universelle ?

La justification est simple : c’est l’usage légitime d’un droit naturel – le droit d’association – que l’Église reconnaît aux clercs comme à tous les fidèles. Cette tradition séculaire (songez aux nombreuses associations, si méritoires, qui ont tant favorisé la vie spirituelle des prêtres séculiers) a été confirmée, à maintes reprises, par l’enseignement et les dispositions des derniers souverains pontifes (Pie XII, Jean XXIII et Paul VI) et, récemment encore, par le magistère solennel du concile Vatican II lui-même (cf. Décret Presbyterorum Ordinis, n° 8).

Il est intéressant de rappeler, à ce propos, que, dans la réponse donnée à un modus où il était demandé qu’il n’y eût d’autres associations sacerdotales que les associations instituées et dirigées par les évêques diocésains, la commission conciliaire compétente a repoussé cette requête – avec l’approbation subséquente de la Congrégation générale – et a motivé clairement son refus par le droit naturel d’association, qui appartient également aux clercs : « Non potest negari Presbyteris – y est-il dit – id quod laicis, attenta dignitate naturae humanae, Concilium declaravit congruum, utpote iuri naturali consentaneum » (Schema Decreti Presbyterorum Ordinis, Typis Polyglottis Vaticanis, 1965, p. 68).

En vertu de ce droit fondamental, les prêtres peuvent librement fonder des associations ou adhérer à celles qui existent déjà, pourvu qu’il s’agisse d’associations poursuivant des fins droites, en accord avec la dignité et les exigences de l’état clérical. La légitimité du droit d’association parmi les prêtres séculiers et l’aire où il s’exerce se comprennent fort bien – sans équivoques ni réticences, ni danger d’anarchie – si l’on tient compte de la distinction qui existe nécessairement, et doit être respectée, entre la fonction ministérielle du clerc et le domaine privé de sa vie personnelle.

Effectivement, le clerc, et concrètement le prêtre, intégré par le sacrement de l’Ordre à l’Ordo Presbyterorum, est constitué par droit divin en coopérateur de l’Ordre épiscopal. Dans le cas des prêtres diocésains, cette fonction ministérielle se matérialise, selon une modalité établie par le droit ecclésiastique, grâce à l’incardination qui rattache le prêtre au service d’une église locale sous l’autorité de l’Ordinaire lui-même, et grâce à la mission canonique, qui lui confère un ministère déterminé au sein de l’unité du Presbyterium dont la tête est l’évêque. Il est donc évident que le prêtre dépend de son Ordinaire – par un lien sacramentel et juridique – pour tout ce qui regarde : l’assignation de son travail pastoral concret ; les directives doctrinales et disciplinaires qu’il reçoit pour l’exercice de son ministère ; la juste rétribution nécessaire ; toutes les dispositions pastorales que l’évêque édicte pour la charge des âmes, le culte divin et les prescriptions du droit commun relatives aux droits et obligations qui dérivent de l’état clérical.

À côté de tous ces rapports nécessaires de dépendance – qui concrétisent juridiquement l’obéissance, l’unité et la communion pastorale que le prêtre doit entretenir délicatement avec son propre Ordinaire –, il y a aussi, et légitimement, dans la vie du prêtre séculier une sphère d’autonomie, de liberté et de responsabilité personnelles, au sein de laquelle le prêtre a les mêmes droits et obligations que les autres personnes dans l’Église : il se différencie, ainsi, tant de la condition juridique du mineur (cf. canon 89 du Codex Iuris Canonici) que de celle du religieux qui, en raison même de sa profession religieuse, renonce à l’exercice de tous ses droits personnels ou de certains d’entre eux.

C’est pour cette raison que le prêtre séculier, dans le cadre de la morale et des droits propres à son état, peut disposer et décider librement – d’une manière individuelle ou en association – en tout ce qui concerne sa vie personnelle, spirituelle, culturelle, matérielle, etc. Chacun est libre de se former culturellement selon ses préférences ou ses aptitudes. Chacun est libre d’entretenir les relations sociales qu’il désire, et peut ordonner sa vie comme bon lui semble, pourvu qu’il accomplisse dûment les obligations de son ministère. Chacun est libre de disposer de ses biens personnels comme il le juge opportun en conscience. À plus forte raison chacun est-il libre de suivre, dans sa vie spirituelle et ascétique et dans ses actes de piété, les impulsions que l’Esprit Saint lui insuffle, et de choisir – parmi les nombreux moyens que l’Église conseille ou permet – ceux qui lui paraissent les meilleurs en fonction de ses contingences personnelles et particulières.

Précisément, concernant ce dernier point, le concile Vatican II et de nouveau le pape Paul VI dans sa récente encyclique Sacerdotalis coelibatus ont loué et recommandé vivement les associations, tant diocésaines qu’inter-diocésaines, nationales ou universelles, qui – munies de statuts reconnus par l’autorité ecclésiastique compétente – stimulent le prêtre à la sainteté dans l’exercice de son propre ministère. L’existence de ces associations ne suppose, en effet, et ne peut supposer, en aucune manière – je l’ai déjà dit – un relâchement du lien de communion et de dépendance, qui unit tout prêtre à son évêque, ni de la fraternelle unité avec tous les autres membres du Presbyterium ni de l’efficacité de son travail au service de son église locale.

La mission des laïcs s’exerce, selon le Concile, dans l’Église et dans le monde. Il arrive fréquemment que cela ne soit pas compris correctement et que l’on ne s’attache qu’à l’un ou l’autre des deux termes. Comment expliqueriez-vous la tâche des laïcs dans l’Église et la tâche qu’ils doivent accomplir dans le monde ?

Je ne pense, en aucune façon, qu’il s’agisse là de deux tâches différentes, dès l’instant où la participation spécifique du laïc à la mission de l’Église consiste précisément à sanctifier – ab intra – de manière immédiate et directe – les réalités séculières, l’ordre temporel, le monde.

La vérité est que le laïc, outre cette tâche qui lui est propre et spécifique, possède également – comme les prêtres et les religieux – une série de facultés, de droits et de devoirs fondamentaux qui répondent à la condition juridique de fidèle et qui trouvent logiquement à s’exercer à l’intérieur de la société ecclésiastique : participation active à la liturgie de l’Église, faculté de coopérer directement à l’apostolat de la Hiérarchie ou de conseiller cette dernière dans sa tâche pastorale, s’il y est invité, etc.

Ces deux tâches – la tâche spécifique qui incombe au laïc en tant que laïc et la tâche générique ou commune qui lui incombe en tant que fidèle – ne sont pas opposées, mais superposées, et elles ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Fixer son attention sur la seule mission spécifique du laïc, en oubliant sa condition concomitante de fidèle, serait aussi absurde qu’imaginer un rameau, vert et fleuri, n’appartenant à aucun arbre. Oublier ce qui est spécifique, propre et particulier au laïc, ou ne pas comprendre suffisamment les caractéristiques de ces tâches apostoliques séculières et leur valeur ecclésiale, ce serait réduire l’arbre touffu de l’Église à la condition monstrueuse de simple tronc.

Vous dites et écrivez, depuis des années, que la vocation des laïcs consiste en trois choses : « Sanctifier le travail, se sanctifier dans le travail et sanctifier les autres par le travail. » Pourriez-vous préciser ce que vous entendez exactement par sanctifier le travail ?

C’est difficile à dire en quelques mots car cette expression implique des concepts qui sont au fondement même de la théologie de la Création. Ce que j’ai toujours enseigné – depuis quarante ans – c’est que tout travail humain honnête, intellectuel ou manuel, doit être exécuté par le chrétien avec la plus grande perfection possible : perfection humaine (compétence professionnelle) et perfection chrétienne (par amour pour la volonté de Dieu et au service des hommes). Car, accompli de la sorte, ce travail humain, pour humble et insignifiante que paraisse la tâche, contribue à ordonner chrétiennement les réalités temporelles – à manifester leur dimension divine – et il est assumé et intégré par et dans l’œuvre prodigieuse de la création et de la rédemption du monde. Le travail est ainsi élevé à l’ordre de la grâce, il est sanctifié, devient œuvre de Dieu, operatio Dei, opus Dei.

En rappelant aux chrétiens les paroles merveilleuses de la Genèse – « Dieu a créé l’homme pour travailler » – nous avons fixé notre attention sur l’exemple du Christ, qui a passé la presque totalité de sa vie terrestre à travailler comme artisan dans un village. Nous aimons ce travail humain dont Il a fait sa condition de vie, qu’Il a cultivé et sanctifié. Nous voyons dans le travail – dans le noble effort créateur des hommes – non seulement l’une des plus hautes valeurs humaines, indispensable au progrès de la société et à l’ordonnance de plus en plus juste des rapports entre les hommes, mais encore un signe de l’amour de Dieu pour ses créatures et de l’amour des hommes entre eux et pour Dieu : un moyen de perfection, un chemin de sainteté.

C’est pourquoi le seul objectif de l’Opus Dei a toujours été de contribuer à ce qu’il y ait, au milieu du monde, au milieu des réalités et des aspirations séculières, des hommes et des femmes, de toutes races et de toutes conditions sociales, qui s’attachent à aimer et à servir Dieu et les autres hommes, dans et à travers leur travail ordinaire.

Le décret Apostolicam actuositatem, n° 5, affirmait clairement que la mission de l’Église tout entière est d’animer chrétiennement l’ordre temporel. Cette mission incombe donc à tous : à la hiérarchie, au clergé, aux religieux et aux laïcs. Pourriez-vous nous dire comment vous concevez le rôle, et les modalités, de chacun de ces secteurs de l’Église dans cette mission unique et commune ?

En réalité, la réponse se trouve dans les textes conciliaires eux-mêmes. Il appartient à la hiérarchie – cela fait partie de son magistère – d’indiquer les principes doctrinaux qui doivent présider à la réalisation de cette tâche apostolique et l’éclairer (cf. Const. Lumen gentium, n° 28 ; Const. Gaudium et spes, n° 43 ; Décr. Apostolicam actuositatem, n° 24).

Quant aux laïcs, qui travaillent au milieu des circonstances et des structures propres à la vie séculière, ils ont pour tâche immédiate et directe, spécifique, d’ordonner ces réalités temporelles à la lumière des principes doctrinaux énoncés par le magistère ; tout en agissant, à la fois, avec l’autonomie personnelle nécessaire pour ce qui est des décisions concrètes qu’ils ont à prendre dans la vie sociale, familiale, politique, culturelle, etc. (Cf. Const. Lumen gentium, n° 31 ; Const. Gaudium et spes, n° 43 ; Décr. Apostolicam actuositatem, n° 7).

Et quant aux religieux, qui s’écartent de ces réalités et activités séculières pour embrasser un état de vie particulier, leur mission est de rendre publiquement un témoignage eschatologique, qui rappelle aux autres fidèles du Peuple de Dieu que cette terre n’est pas un domicile permanent (cf. Const. Lumen gentium, n° 44 ; Décr. Perfectae caritatis, n° 5). L’on ne saurait oublier, non plus, le service que rendent, pour animer chrétiennement l’ordre temporel, les nombreuses œuvres de bienfaisance, de charité et d’assistance sociale que tant de religieux et de religieuses accomplissent dans un esprit d’abnégation et de sacrifice.

Une caractéristique de toute vie chrétienne – quel que soit le chemin qu’elle emprunte pour s’accomplir – est « la dignité et la liberté des enfants de Dieu ». À quoi vous rapportez-vous donc, lorsque vous défendez, avec tant d’insistance, comme vous l’avez fait tout le long de votre enseignement, la liberté des laïcs ?

Je me rapporte exactement à la liberté personnelle, que possèdent les laïcs, de prendre, à la lumière des principes énoncés par le magistère, toutes les décisions concrètes d’ordre théorique ou pratique – par exemple, par rapport aux diverses options philosophiques, économiques ou politiques, aux courants artistiques ou culturels, aux problèmes de la vie professionnelle ou sociale, etc. – que chacun juge en conscience les plus appropriées et les plus conformes à ses convictions personnelles et à ses aptitudes humaines.

Cette sphère d’autonomie nécessaire, dont le fidèle catholique a besoin pour ne pas être en situation d’infériorité vis-à-vis des autres laïcs, et pour pouvoir réaliser efficacement sa tâche apostolique particulière au milieu des réalités temporelles, cette autonomie, dis-je, doit toujours être respectée par tous ceux qui exercent, dans l’Église, le sacerdoce ministériel. S’il n’en était pas ainsi – s’il s’agissait d’instrumentaliser le laïc à des fins qui dépassent les buts du ministère hiérarchique –, on verserait dans un cléricalisme anachronique et lamentable. On limiterait énormément les possibilités apostoliques du laïcat – le condamnant ainsi à une perpétuelle immaturité –, mais surtout on mettrait en péril plus spécialement de nos jours, le concept même d’autorité et d’unité dans l’Église. Nous ne pouvons oublier que l’existence, parmi les catholiques eux-mêmes, d’un authentique pluralisme de jugement et d’opinion dans les domaines que Dieu laisse à la libre discussion des hommes, ne s’oppose pas à l’ordonnance hiérarchique et à l’unité nécessaire du Peuple de Dieu, mais bien au contraire les fortifie et les défend contre les impuretés éventuelles.

La vocation du laïc et celle du religieux étant si différentes dans leur réalisation pratique – encore qu’ils aient en commun, bien entendu, la vocation chrétienne – comment les religieux, dans leurs tâches d’enseignement, etc., peuvent-ils guider les chrétiens ordinaires dans une voie véritablement laïque ?

Cela est possible dans la mesure où les religieux – dont j’admire sincèrement le travail méritoire au service de l’Église – s’efforcent de bien comprendre les caractéristiques et les exigences de la vocation laïque à la sainteté et à l’apostolat au milieu du monde ; et dans la mesure où ils les aiment et savent les enseigner à leur élèves.

Il n’est pas rare, lorsqu’il est question du laïcat, que l’on oublie la présence de la femme et que l’on minimise ainsi son rôle dans l’Église. De même, lorsqu’on traite de la « promotion sociale de la femme », on l’entend d’ordinaire simplement comme présence de la femme dans la vie publique. Comment comprenez-vous la mission de la femme dans l’Église et dans le monde ?

Bien entendu, je ne vois pas la raison qu’il y a, quand on parle du laïcat – de sa tâche apostolique, de ses droits et devoirs, etc. –, de faire une distinction ou discrimination à l’endroit de la femme. Tous les baptisés – hommes et femmes – participent également à la dignité commune, à la liberté et à la responsabilité des enfants de Dieu. Il y a, dans l’Église, une unité radicale et foncière, que saint Paul enseignait déjà aux premiers chrétiens : Quicumque enim in Christo baptizati estis, Christum induistis. Non est Iudaeus, neque Graecus : non est servus, neque liber : non est masculus, neque femina (Ga 3, 27-28) ; il n’y a plus ni Juif ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme.

Si l’on excepte la capacité juridique de recevoir les ordres sacrés – distinction qui doit être maintenue, à mon avis, pour de multiples raisons, également de droit divin positif –, j’estime qu’on doit reconnaître pleinement à la femme dans l’Église – dans sa législation, dans sa vie interne et dans son action apostolique – les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’aux hommes : droit à l’apostolat, droit de fonder et de diriger des associations, de manifester son opinion librement en tout ce qui concerne le bien commun de l’Église, etc. Je sais que tout cela – qu’il n’est pas difficile d’admettre en théorie, si l’on considère les raisons théologiques bien claires qui viennent à l’appui – rencontrera, en fait, la résistance de certaines mentalités. Je me souviens encore de l’étonnement, voire du blâme, que suscitait chez certains – qui aujourd’hui tendent au mimétisme, en cela comme en tant d’autres choses – le fait que l’Opus Dei encourageait les femmes, appartenant à la section féminine de notre Association, à obtenir des grades académiques dans les sciences sacrées.

Je pense néanmoins que ces résistances et réticences iront diminuant peu à peu. Au fond, il ne s’agit que d’un problème de compréhension ecclésiologique : se rendre compte que l’Église n’est pas seulement formée de prêtres et de religieux, mais que les laïcs – hommes et femmes – sont, eux aussi, Peuple de Dieu et qu’ils ont, par droit divin, une mission propre à remplir et une responsabilité à assumer.

Je voudrais, cependant, ajouter qu’à mon sens l’égalité essentielle entre l’homme et la femme exige précisément que l’on saisisse à la fois le rôle complémentaire de l’un et de l’autre dans l’édification de l’Église et dans le progrès de la société civile : ce n’est pas en vain que Dieu les a faits homme et femme. Cette diversité doit être comprise, non pas dans un sens patriarcal, mais dans toute sa profondeur, si riche de nuances et de conséquences, et qui évite à l’homme la tentation de masculiniser l’Église et la société, et à la femme de concevoir sa mission, dans le Peuple de Dieu et dans le monde, comme une simple revendication de tâches que, jusqu’à présent, l’homme seul accomplissait et qu’elle peut tout aussi bien remplir. L’homme et la femme doivent donc, me semble-t-il, se sentir autant l’un que l’autre, et justement, les protagonistes de l’histoire du salut, mais l’un et l’autre de façon complémentaire.

On a fait observer que Chemin, bien que le livre fût édité en 1934 dans sa première version, renferme beaucoup d’idées qui étaient à l’époque « hérétiques » pour d’aucuns et qui n’en ont pas moins été reprises aujourd’hui par le concile Vatican II. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? Quelles sont ces idées ?

Si vous me le permettez, nous en parlerons calmement une autre fois. Pour l’instant, je me bornerai à vous dire que je remercie le Seigneur, qui a daigné se servir de ces éditions de Chemin – dont le tirage en de nombreuses langues dépasse déjà deux millions et demi d’exemplaires – pour inculquer à des gens de races et de langues très diverses, ces vérités chrétiennes, qui devaient être confirmées par le concile Vatican II et qui portent la paix et la joie à des millions de chrétiens et de non-chrétiens.

Nous savons que, depuis de nombreuses années, vous vous êtes spécialement préoccupé de l’attention spirituelle et humaine des prêtres, surtout du clergé diocésain. Cette préoccupation, vous l’avez manifestée, tant que cela vous fut possible, par un intense travail de prédication et de direction spirituelle qui leur était destiné ; et aussi, à partir d’un certain moment, en offrant aux prêtres qui se sentaient appelés – tout en demeurant pleinement diocésains et soumis comme avant à leurs Ordinaires – la possibilité de faire partie de l’Œuvre. Nous aimerions connaître les circonstances de la vie de l’Église qui – indépendamment d’autres raisons – ont motivé ce souci. De même, pourriez-vous nous dire de quelle manière cette activité a pu et peut encore aider à résoudre certains problèmes du clergé diocésain ou de la vie ecclésiastique ?

Les circonstances de la vie de l’Église qui ont motivé et qui motivent cette préoccupation et cette activité de l’Œuvre – maintenant institutionnalisée – ne sont pas des circonstances plus ou moins accidentelles ou passagères ; mais des exigences permanentes d’ordre spirituel et humain, intimement liées à la vie et au travail des prêtres diocésains. Je songe principalement au besoin qu’éprouvent ces prêtres. Besoin d’être aidés dans un esprit ou par des moyens qui ne modifient en rien leur condition diocésaine, à chercher la sainteté personnelle à travers l’exercice de leur ministère. Pour répondre ainsi, dans un esprit toujours jeune et avec une générosité toujours plus large, à la grâce de la vocation divine qu’ils ont reçue, et pour prévenir avec prudence et promptitude les crises éventuelles, humaines et spirituelles, auxquelles peuvent aisément donner lieu divers facteurs : la solitude, les difficultés du milieu, l’indifférence, le manque d’efficacité apparent de leur travail, la routine, la fatigue, la négligence dans l’entretien et le perfectionnement de leur formation intellectuelle et même – c’est là l’origine profonde des crises d’obéissance et d’unité – le manque de vision surnaturelle dans leurs rapports avec l’Ordinaire et avec leurs frères en sacerdoce.

Les prêtres diocésains qui – usant légitimement du droit d’association – adhèrent à la Société Sacerdotale de la Sainte Croix , le font uniquement et exclusivement parce qu’ils désirent recevoir cette aide spirituelle, personnelle, d’une manière en tous points compatible avec les devoirs de leur état et de leur ministère ; sans quoi, cette aide ne serait pas une aide, mais une complication, une gêne et un désordre.

L’esprit de l’Opus Dei a pour caractéristique essentielle, en effet, de ne retirer personne de sa place – unusquisque, in qua vocatione vocatus est, in ea permaneat (1 Co 7, 20) –. Il pousse chacun, au contraire, à accomplir les tâches et les devoirs de son état, de sa mission dans l’Église et dans la société civile, le plus parfaitement possible. C’est pourquoi lorsqu’un prêtre adhère à l’Œuvre, il ne modifie et n’abandonne en rien sa vocation diocésaine : consécration au service de l’église locale dans laquelle il est incardiné, pleine dépendance à l’égard de l’ordinaire, spiritualité séculière, union avec les autres prêtres, etc. Au contraire, il s’engage à vivre pleinement cette vocation, car il sait qu’il doit chercher la perfection dans l’exercice même, précisément, de ses obligations sacerdotales, en tant que prêtre diocésain.

Ce principe trouve, dans notre Association, une série d’applications pratiques d’ordre juridique et ascétique qu’il serait long de préciser. Je dirai simplement, à titre d’exemple, qu’à la différence d’autres associations, où l’on exige un vœu ou une promesse d’obéissance au supérieur, la dépendance des prêtres diocésains qui adhèrent à l’Opus Dei n’est pas une dépendance de régime, étant donné qu’il n’y a, pour eux, ni hiérarchie interne ni, par conséquent, danger de double lien d’obéissance, mais bien plutôt un rapport volontaire d’aide et d’assistance spirituelle.

Ce que ces prêtres trouvent dans l’Opus Dei, c’est, avant tout, l’aide ascétique continuelle qu’ils désirent recevoir d’une spiritualité séculière et diocésaine, et indépendante des changements personnels et circonstanciels qui peuvent survenir dans le gouvernement de leurs églises locales. Ils ajoutent ainsi à la direction spirituelle collective que l’évêque leur donne par sa prédication, ses lettres pastorales, ses conversations, ses instructions quant à la discipline, etc., une direction spirituelle personnelle, dévouée et qui se poursuit dans tous les lieux où ils peuvent se trouver, qui complète – en la respectant toujours comme un devoir grave – la direction commune impartie par l’évêque lui-même. À travers cette direction spirituelle personnelle que le concile Vatican II et le magistère ordinaire ont tellement recommandée – on stimule, chez le prêtre, la vie de piété, la charité pastorale, l’entretien de la formation doctrinale, le zèle pour les apostolats diocésains, l’amour et l’obéissance qu’il doit à l’ordinaire, le souci des vocations sacerdotales et du séminaire, etc.

Les fruits de tout ce travail ? Ils vont aux églises locales que servent ces prêtres. Et c’est de cela que se réjouit mon âme de prêtre diocésain, car j’ai eu, en outre, à maintes reprises, la consolation de voir avec quelle affection le pape et les évêques bénissent, souhaitent et favorisent ce travail.

À diverses reprises, en parlant des débuts de l’Opus Dei, vous avez dit que vous ne possédiez alors que « la jeunesse, la grâce de Dieu et la bonne humeur ». Vers les années 20, en outre, la doctrine du laïcat n’avait pas encore atteint le développement qu’on lui voit aujourd’hui. Néanmoins, l’Opus Dei est un phénomène tangible dans la vie de l’Église. Pourriez-vous nous expliquer comment il se fait que, jeune prêtre, vous ayez eu la compréhension qui vous a permis de réaliser votre aspiration ?

Je n’ai eu, et je n’ai d’autre aspiration que celle d’accomplir la volonté de Dieu. Permettez-moi de ne pas entrer dans le détail des commencements de l’Œuvre que l’Amour de Dieu me faisait pressentir dès 1917, car ces débuts sont intimement liés à l’histoire de mon âme et appartiennent à ma vie intérieure. La seule chose que je puisse vous dire est que j’ai agi, à tout moment, avec l’agrément et la bénédiction affectueuse du très cher évêque de Madrid, ce Madrid où est né l’Opus Dei, le 2 octobre 1928. Plus tard, toujours aussi avec l’approbation et l’encouragement du Saint-Siège et, dans chaque cas, de l’Ordinaire du diocèse où nous opérions.

Certains, précisément parce que les laïcs de l’Opus Dei occupent des postes influents dans la société espagnole, parlent de l’influence de l’Opus Dei en Espagne. Pourriez-vous nous expliquer quelle est cette influence ?

Tout ce qui sent la réclame personnelle me gêne profondément. Ce ne serait cependant plus de l’humilité, mais de l’aveuglement et de l’ingratitude envers le Seigneur – qui bénit si généreusement notre travail – que de ne pas reconnaître que l’Opus Dei exerce une réelle influence sur la société espagnole. Dans les pays où l’Œuvre travaille depuis plusieurs années – en Espagne, exactement depuis trente-neuf ans, car Dieu a voulu que notre Association y vît le jour – il est logique que cette influence ait pris une importance sociale grandissante à mesure que progressait notre travail.

De quelle nature est cette influence ? Il est évident que, l’Opus Dei étant une association dont les fins sont spirituelles et apostoliques, son influence – en Espagne comme dans les autres pays des cinq continents où nous travaillons – ne peut être que de nature spirituelle, apostolique. De même que pour l’ensemble de l’Église âme du monde –, l’influence de l’Opus Dei sur la société civile n’a pas de caractère temporel social, politique, économique etc. –, même si elle a des répercussions sur le côté moral de toutes les activités humaines. C’est une influence d’ordre divers et supérieur, qui s’exprime par un verbe précis : sanctifier.

Et cela nous amène à parler des personnes de l’Opus Dei que vous appelez influentes. Pour une association dont le but est de faire de la politique seront influents ceux de ses membres qui occupent un siège au Parlement ou au Conseil des Ministres. Si l’association est culturelle, seront considérés comme influents les membres qui ont un nom dans la philosophie, ou les grands prix littéraires, etc. Si, en revanche, l’association se propose comme c’est le cas de l’Opus Dei – de sanctifier le travail ordinaire des hommes, qu’il soit manuel ou intellectuel, il est évident qu’il faudra considérer comme influents tous ses membres, parce qu’ils travaillent tous – le devoir de travailler qui s’impose à tout homme éveille dans l’Œuvre des échos particuliers, quant à la discipline et à l’ascétisme – et parce que tous ses membres essaient de réaliser leur travail quel qu’il soit saintement, chrétiennement, dans un désir de perfection. Et donc, pour moi, le témoignage d’un de mes enfants, travailleur de la mine, parmi ses compagnons de travail, est aussi influent – aussi important, aussi nécessaire – que celui d’un recteur d’université parmi les membres du corps professoral.

D’où vient donc l’influence de l’Opus Dei ? Le simple examen de la réalité sociologique vous l’indique. Notre Association groupe des personnes de toute condition sociale, de toute profession, de tout âge et de toute situation : femmes et hommes, prêtres et laïcs, vieux et jeunes, célibataires et gens mariés, universitaires, ouvriers, paysans, employés, membres de professions libérales ou fonctionnaires, etc. Avez-vous pensé au pouvoir de rayonnement chrétien que représente une gamme aussi étendue et aussi variée de personnes, et davantage encore si elles se comptent par dizaines de milliers et sont animées d’un même esprit apostolique : sanctifier leur profession ou leur métier – dans le milieu social, quel qu’il soit, où elles évoluent –, se sanctifier dans ce travail et sanctifier par ce travail ?

À ces apostolats personnels, il faut ajouter la croissance de nos œuvres collectives d’apostolat : résidences d’étudiants, centres de rencontres, université de Navarre, centres de formation pour ouvriers et paysans, instituts techniques, collèges, écoles de formation pour la femme, etc. Ces œuvres ont été et sont, indubitablement, des foyers d’où rayonne l’esprit chrétien et qui, fondées par des laïcs, dirigées comme un travail professionnel par des citoyens laïcs, égaux à leurs compagnons qui exercent la même tâche ou le même métier, et ouvertes à des personnes de toutes classes et conditions, ont sensibilisé de vastes couches de la société sur la nécessité de donner une réponse chrétienne aux questions que leur pose l’exercice de leur profession ou de leur emploi.

C’est tout cela qui donne du relief et de l’importance sociale à l’Opus Dei. Et non pas le fait que certains de ses membres occupent des postes humainement influents – chose qui ne nous intéresse pas le moins du monde et qui est, pour cette raison, laissée à la libre décision et à la responsabilité de chacun – mais le fait que tous, et la bonté de Dieu permet qu’ils soient nombreux, accomplissent des tâches y compris les métiers les plus humbles – divinement influentes.

Et c’est logique ; qui donc irait penser que l’influence de l’Église aux États-Unis a commencé le jour où fut élu président le catholique John Kennedy ?

Parfois, en parlant de la réalité de l’Opus Dei, vous avez affirmé qu’elle est une « désorganisation organisée ». Pourriez-vous expliquer à nos lecteurs ce que signifie cette expression ?

Je veux dire par là que nous attachons une importance première et fondamentale à la spontanéité apostolique de la personne, à sa libre initiative et à sa responsabilité, guidées par l’action de l’Esprit ; et non pas aux structures d’organisation, aux mandats, aux tactiques et aux plans imposés du sommet, siège de gouvernement.

Il existe, évidemment, un minimum d’organisation, avec un gouvernement central, qui agit toujours collégialement et qui a son siège à Rome, et des gouvernements régionaux, eux aussi, collégiaux chacun d’eux présidé par un Conseiller . Mais toute l’activité de ces organismes est essentiellement orientée vers un but : fournir aux membres l’assistance spirituelle que réclame leur vie de piété, et une formation spirituelle adéquate, doctrinale, religieuse et humaine. Après quoi, débrouillez-vous ! Autrement dit : chrétiens, sanctifiez tous les chemins que parcourent les hommes, et qu’ils gardent le parfum du passage de Dieu.

Lorsqu’elle atteint cette limite, ce moment, l’Association comme telle a terminé sa tâche, celle en vue de laquelle, précisément, se réunissent les membres de l’Opus Dei, elle n’a plus rien à faire, elle ne peut ni ne doit plus rien faire. Pas une indication de plus. Alors commence l’action personnelle, libre et responsable, de chaque membre. Chacun, avec une spontanéité apostolique, œuvrant en toute liberté personnelle et se formant une conscience autonome face aux décisions concrètes qu’il doit prendre, essaie d’atteindre la perfection chrétienne et de témoigner chrétiennement dans son propre milieu, en sanctifiant son travail professionnel, intellectuel ou manuel. Naturellement, comme chacun prend ses décisions en toute autonomie dans sa vie séculière, parmi les réalités temporelles où il évolue, on trouve fréquemment des options, des jugements et des activités diverses. On aboutit, en un mot, à cette désorganisation bénie, à ce pluralisme juste et nécessaire, qui est une caractéristique essentielle du bon esprit de l’Opus Dei et qui m’a toujours paru la seule manière correcte et ordonnée de concevoir l’apostolat des laïcs.

Je dirai plus : cette désorganisation organisée apparaît jusque dans les œuvres mêmes, apostoliques, collectives, que l’Opus Dei réalise, dans le désir de contribuer également, en tant qu’association, à résoudre chrétiennement des problèmes qui affectent les communautés humaines dans les divers pays. Ces activités et initiatives de l’Association ont toujours un caractère directement apostolique, c’est-à-dire qu’il s’agit d’œuvres d’éducation, d’assistance et de bienfaisance. Mais, comme il est précisément dans notre esprit de stimuler les initiatives à la base, et comme les circonstances, les nécessités et les possibilités de chaque nation ou groupe social sont particulières, et d’ordinaire différentes entre elles, le gouvernement central de l’Œuvre laisse aux gouvernements régionaux – qui jouissent d’une autonomie pratiquement totale – le soin de décider, de promouvoir et d’organiser les activités apostoliques concrètes qu’ils jugent opportunes : depuis un centre universitaire ou une résidence d’étudiants jusqu’au dispensaire ou à la ferme-école pour paysans. Résultat logique : nous avons une mosaïque multicolore d’activités, une mosaïque organiquement désorganisée.

Cela dit, de quelle manière estimez-vous que la réalité ecclésiale de l’Opus Dei s’insère dans l’action pastorale de l’Église tout entière ? Et dans l’œcuménisme ?

Une explication préalable me paraît s’imposer : l’Opus Dei n’est, ni ne peut être considéré comme une réalité liée au processus évolutif de l’état de perfection dans l’Église, il n’est pas une forme moderne ou aggiornata de cet état. En effet, ni la conception théologique du status perfectionis – que saint Thomas, Suarez et d’autres auteurs ont fixée définitivement dans la doctrine – ni les diverses concrétions juridiques que l’on a données à ce concept théologique n’ont rien à voir avec la spiritualité et la fin apostolique que Dieu a voulues pour notre Association. Qu’il suffise d’observer – car un exposé complet de la doctrine serait long – que l’Opus Dei ne s’inquiète, pour ses membres, ni de vœux, ni de promesses, ni d’aucune forme de consécration autre que la consécration que nous avons tous reçue par le baptême. Notre Association ne prétend nullement que l’on change d’état en venant à elle, que l’on cesse d’être un simple fidèle comme les autres, pour acquérir le status perfectionis particulier. Au contraire, ce qu’elle désire et poursuit, c’est que chacun fasse de l’apostolat et se sanctifie dans son propre état, au lieu même qu’il occupe dans l’Église et dans la société civile, et dans les mêmes conditions. Nous ne délogeons personne de l’endroit où il se trouve, nous n’éloignons personne de son travail ni de ses entreprises ni de ses nobles engagements d’ordre temporel.

La réalité sociale, la spiritualité et l’action de l’Opus Dei s’insèrent donc sur une branche très différente de la vie de l’Église : concrètement, sur le processus théologique et vital que suit le laïcat vers la pleine assomption de ses responsabilités ecclésiales, vers son mode particulier de participer à la mission du Christ et de son Église. Tel a été, au cours des quarante années ou presque d’existence de l’Œuvre, et tel est encore le souci constant – serein, mais puissant – où Dieu a voulu canaliser, dans mon âme et dans celles de mes enfants, le désir de Le servir.

Quels sont les apports de l’Opus Dei à ce processus ? Le moment n’est peut-être pas très indiqué, historiquement, pour établir un bilan de ce genre. Encore qu’il s’agisse de problèmes sur lesquels s’est longuement penché à ma plus grande joie, le concile Vatican II, et encore que bien des concepts et des situations qui ont trait à la vie et à la mission du laïcat aient reçu déjà du magistère une confirmation et une lumière suffisantes, il reste néanmoins un noyau considérable de questions qui constituent encore, pour l’ensemble de la doctrine, de véritables problèmes-limites de la théologie. Pour nous, au sein de l’esprit que Dieu a insufflé à l’Opus Dei et que nous essayons de vivre fidèlement – en dépit de nos imperfections personnelles –, la plupart des problèmes discutés nous paraissent déjà providentiellement résolus, mais nous ne prétendons pas que ces solutions soient les seules possibles.

Il y a, en même temps, d’autres aspects du même processus de développement ecclésiologique, qui représentent de magnifiques acquisitions doctrinales auxquelles indubitablement Dieu a voulu que contribue, pour une part qui n’est peut-être pas médiocre, le témoignage de l’Opus Dei, de sa vie et de son esprit, à côté d’autres apports précieux, d’initiatives et d’associations apostoliques non moins méritoires. Mais ce sont des acquisitions doctrinales qui demanderont peut-être pas mal de temps avant de s’incarner réellement dans la vie totale du Peuple de Dieu. Vous avez vous-même rappelé, dans vos questions précédentes, quelques-unes de ces acquisitions : le développement d’une authentique spiritualité laïque ; la compréhension de la tâche ecclésiale particulière – non pas ecclésiastique ou officielle – propre aux laïcs ; la distinction des droits et des devoirs du laïc en tant que laïc ; les rapports hiérarchie-laïcat ; l’égalité en dignité et la complémentarité des tâches de l’homme et de la femme dans l’Église ; la nécessité d’aboutir à une opinion publique ordonnée dans le Peuple de Dieu, etc.

Tout cela constitue évidemment une réalité très fluide, et parfois non exempte de paradoxes. Une même chose, qui, formulée il y a quarante ans, scandalisait tout le monde, ou presque tout le monde, ne surprend presque plus personne aujourd’hui ; en revanche, très peu nombreux sont encore ceux qui la comprennent à fond et qui la vivent d’une manière ordonnée.

Je m’expliquerai mieux à l’aide d’un exemple. En 1932, exposant à mes fils de l’Opus Dei quelques-uns des aspects et conséquences de la dignité et de la responsabilité particulières que le baptême confère aux personnes, je leur écrivais dans un document : « Il faut repousser le préjugé suivant lequel les fidèles ordinaires ne peuvent rien faire d’autre qu’aider le clergé, dans des apostolats ecclésiastiques. Il n’y a aucune raison pour que l’apostolat des laïcs soit toujours une simple participation à l’apostolat hiérarchique : il leur incombe le devoir de faire, eux aussi, de l’apostolat. Et cela, non en vertu d’une mission canonique reçue, mais parce qu’ils font partie de l’Église ; cette mission… ils la remplissent à travers leur profession, leur métier, leur famille, leurs collègues, leurs amis. »

Personne aujourd’hui, dans l’Église, après les solennels enseignements de Vatican II, ne remettra sans doute en question l’orthodoxie de cette doctrine. Mais combien ont abandonné réellement leur conception unique de l’apostolat des laïcs comme action pastorale organisée de haut en bas ? Combien, dépassant la conception monolithique de l’apostolat laïc, comprennent qu’il peut et qu’il doit même y en avoir un qui ne nécessite ni structures rigides et centralisées, ni missions canoniques, ni mandats hiérarchiques ? Combien sont-ils ceux qui qualifient le laïcat de longa manus Ecclesiae ? Ne confondent-ils pas en même temps, dans leur esprit, le concept d’Église Peuple de Dieu avec celui plus limité de hiérarchie ? Ou encore, combien de laïcs comprennent-ils pleinement que, si ce n’est dans une communion délicate avec la hiérarchie, ils n’ont pas le droit de revendiquer leur sphère légitime d’autonomie apostolique ?

De telles considérations pourraient être formulées par rapport à d’autres problèmes, car il y a beaucoup, beaucoup à faire encore, tant pour ce qui est de l’exposé doctrinal indispensable que pour ce qui est de l’éducation des consciences et même de la réforme de la législation ecclésiastique. Je demande souvent au Seigneur – la prière a toujours été ma grande arme – que l’Esprit Saint assiste son Peuple, et spécialement la hiérarchie, dans l’exécution de ces tâches. Et je Lui demande également de se servir encore de l’Opus Dei, pour que nous puissions contribuer et aider, dans toute la mesure de nos forces, à ce difficile, mais magnifique processus de développement et de croissance de l’Église.

Comment l’Opus Dei s’insère-t-il dans 1’œcuménisme ? me demandez-vous également. Je rapportais l’an dernier à un journaliste français – et je sais que l’anecdote a eu des échos, jusque dans des publications de nos frères séparés – qu’un jour, encouragé par l’accueil affable et paternel de Sa Sainteté, j’ai expliqué au pape Jean XXIII : « Saint-Père, dans notre Œuvre, tous les hommes, catholiques ou non, ont toujours trouvé une demeure accueillante : je n’ai pas appris l’œcuménisme de Votre Sainteté. » Il eut un rire ému, car il savait que, dès 1950, le Saint-Siège avait autorisé l’Opus Dei à recevoir, comme coopérateurs, les non-catholiques et même les non-chrétiens.

Nombreux sont en effet – et il n’y manque même pas des pasteurs, voire des évêques de diverses confessions – les frères séparés qui se sentent attirés par l’esprit de l’Opus Dei et qui collaborent à nos apostolats. Et l’on assiste de plus en plus fréquemment à mesure que les contacts se multiplient à des manifestations de sympathie et d’intelligence cordiale, suscitées par le fait que les membres de l’Opus Dei se proposent d’accomplir dans leur vie, simplement et en toute responsabilité, les engagements et les exigences baptismales du chrétien, et qu’ils y concentrent leur spiritualité. La recherche de la sainteté chrétienne et de l’apostolat, en veillant à sanctifier le travail professionnel ; le fait de vivre au milieu des réalités séculières en respectant leur autonomie, mais en les traitant dans un esprit et avec un amour qui sont propres aux âmes contemplatives ; la primauté que, dans l’organisation de nos travaux, nous accordons à la personne, à l’action de l’Esprit dans les âmes, au respect de la dignité et de la liberté qui découlent de la filiation divine du chrétien ; le fait de défendre, contre la conception monolithique et institutionnaliste de l’apostolat des laïcs, la légitime capacité d’initiative dans le respect nécessaire du bien commun : tout cela et d’autres aspects encore de notre façon d’être et de travailler sont des points d’accord faciles, où les frères séparés découvrent – vécues et éprouvées par les ans – une bonne partie des bases doctrinales sur lesquelles eux-mêmes et nous, les catholiques, avons fondé tant d’espoirs œcuméniques.

Pour changer de sujet, nous aimerions connaître votre opinion sur l’Église en ce moment. Comment la qualifieriez-vous exactement ? Quel rôle peuvent à présent jouer, croyez-vous, les tendances qu’on a nommées, d’une manière générale, « progressiste » et « intégriste » ?

À mon sens, le moment présent de l’Église sur le plan doctrinal pourrait être qualifié de positif et, en même temps de délicat, comme il en va pour toutes les crises de croissance. Positif, sans aucun doute, car les richesses doctrinales du concile Vatican II ont placé l’Église tout entière – le Peuple sacerdotal de Dieu tout entier – face à une étape, extrêmement prometteuse, de fidélité renouvelée au plan divin de salut qui lui a été confié. Moment délicat aussi, car les conclusions théologiques auxquelles on a abouti, ne sont pas de caractère – si l’on permet l’expression – abstrait ou théorique. Il s’agit, au contraire, d’une théologie vivante, c’est-à-dire qui entraîne des applications immédiates et directes d’ordre pastoral, ascétique et disciplinaire, qui touchent au plus intime la vie interne et externe de la communauté chrétienne – liturgie, structures organisant la hiérarchie, formes apostoliques, magistère, dialogue avec le monde, œcuménisme, etc. – et, par conséquent, aussi, la vie chrétienne et la conscience même des fidèles.

L’une et l’autre réalités en appellent à notre âme : l’optimisme chrétien – la certitude joyeuse que l’Esprit Saint fera fructifier pleinement la doctrine dont il a enrichi l’Épouse du Christ – et aussi la prudence de la part de ceux qui cherchent ou gouvernent, parce que, spécialement de nos jours, l’absence de sérénité et de mesure dans l’étude des problèmes pourrait causer un dommage immense.

Quant aux tendances que vous appelez intégriste et progressiste, il m’est difficile de donner une opinion sur le rôle qu’elles peuvent jouer en ce moment, car, depuis toujours, j’ai repoussé la convenance et même la possibilité d’établir des catégories ou des simplifications de ce genre. Cette division – que l’on pousse parfois jusqu’au véritable paroxysme ou que l’on essaie de prolonger, comme si les théologiens et les fidèles en général étaient voués à une perpétuelle orientation bipolaire – me paraît obéir, au fond, à la conviction que le progrès doctrinal et vital du Peuple de Dieu résulte d’une tension dialectique permanente. Moi, en revanche, je préfère croire, de toute mon âme, à l’action de l’Esprit Saint, qui souffle où il veut et sur qui il veut.

Références à la Sainte Écriture
Références à la Sainte Écriture
Références à la Sainte Écriture
Choisir une autre langue