EN L’ÉPIPHANIE DU SEIGNEUR

J’ai pu contempler récemment un bas-relief en marbre qui représentait l’adoration de l’Enfant-Dieu par les Mages. Autour de la scène, quatre anges tenaient chacun un objet symbolique : un diadème, le monde couronné par la croix, une épée, un sceptre. C’est sous cette forme artistique, faisant appel à des signes connus, que l’on avait représenté l’événement que nous commémorons aujourd’hui : quelques sages — la tradition dit qu’ils étaient rois — se prosternant devant un enfant, après avoir demandé à Jérusalem : Où est le roi des juifs, qui vient de naître ?

Et pour moi, une telle question m’incite maintenant à contempler Jésus, couché dans une crèche dans un lieu réservé aux bêtes. Où est, Seigneur, ta royauté : le diadème, l’épée, le sceptre ? Ils lui appartiennent, et il n’en veut pas. Il règne, enveloppé dans des langes. C’est un roi fragile, qui se montre à nous sans défense : c’est un petit enfant. Comment ne pas rappeler ces paroles de l’apôtre : Il s’anéantit lui-même, en prenant la forme d’un esclave ?

Notre Seigneur s’est incarné, pour nous manifester la volonté du Père. Et voici que, dès sa naissance, il nous instruit. Jésus-Christ nous cherche — et son appel est un appel à la sainteté — pour achever, avec lui, la Rédemption. Considérez son premier enseignement : nous devons être corédempteurs, en recherchant la victoire, non pas sur notre prochain, mais sur nous-mêmes. Comme le Christ, nous avons besoin de nous anéantir, de nous sentir serviteurs des autres, pour les conduire jusqu’à Dieu.

Où est le roi ? Jésus ne désire-t-il pas régner, avant tout, sur les cœurs, sur ton cœur ? C’est pourquoi il se fait enfant. Qui n’aimerait pas un petit être ? Où est le Roi ? Où est le Christ que l’Esprit Saint cherche à —former dans notre âme ? Il ne peut être dans l’orgueil qui nous sépare de Dieu. Il ne peut être dans le manque de charité qui nous isole. Le Christ ne peut y être, car là, l’homme reste seul.

Aux pieds de Jésus Enfant, en ce jour de l’Épiphanie, devant un Roi dépourvu des signes extérieurs de la royauté, vous pouvez dire : Seigneur, supprime de ma vie l’orgueil ; brise mon amour-propre, cette volonté de m’affirmer moi-même et de m’imposer aux autres. Fais que le fond de ma personnalité soit de m’identifier à Toi.

Le chemin de la foi

Le but n’est pas facile : nous identifier au Christ. Mais il n’est pas non plus difficile, si nous vivons comme le Seigneur nous l’a appris : si nous avons recours tous les jours à la Parole, si nous imprégnons notre vie de la réalité sacramentelle — l’Eucharistie qu’il nous a laissée comme aliment, car le chemin du chrétien invite à la marche, comme le rappelle une vieille chanson de mon pays. Dieu nous a appelés d’une manière claire et sans équivoque. Comme les Rois Mages, nous avons découvert une étoile, lumière et chemin, dans le ciel de notre âme.

Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer. Notre expérience est la même. Nous aussi, nous avons remarqué que, peu à peu, une nouvelle lueur s’allumait dans notre âme : le désir d’être pleinement chrétiens ; si vous me permettez l’expression, le souci de prendre Dieu au sérieux. Si chacun de vous se mettait maintenant à raconter à haute voix l’histoire intime de sa vocation surnaturelle, nous en conclurions que tout ceci était divin. Remercions Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, et Sainte Marie, par laquelle nous parviennent toutes les bénédictions du ciel, de ce don qui, avec celui de la foi, est le plus grand que le Seigneur puisse accorder à une créature : la ferme détermination d’atteindre la plénitude de la charité, en étant convaincu que la sainteté au milieu des tâches professionnelles et sociales est non seulement possible, mais nécessaire.

Avec quelle délicatesse le Seigneur nous invite ! Il s’exprime au moyen de paroles humaines, comme un amoureux : je t’ai appelé par ton nom… tu es à moi. Dieu, qui est la beauté, la grandeur, la sagesse, nous annonce que nous sommes siens, que nous avons été choisis comme terme de son amour infini. Quelle vie de foi il faut avoir pour ne pas dénaturer cette merveille que la Providence divine met entre nos mains ! Une foi comme celle des Rois Mages : la conviction que ni le désert, ni les tempêtes, ni la tranquillité des oasis ne nous empêcheront de parvenir à ce Bethléem éternel qu’est la vie définitive avec Dieu.

Un chemin de foi est un chemin de sacrifice. La vocation chrétienne ne nous change pas de place, mais elle exige que nous abandonnions tout ce qui entrave la volonté de Dieu. La lumière qui s’allume n’est qu’un commencement ; nous devons la suivre si nous désirons que cette clarté soit étoile, puis soleil. Quand les Mages étaient en Perse — écrit saint Jean Chrysostome — ils ne voyaient qu’une étoile ; mais, quand ils ont abandonné leur patrie, ils ont vu le soleil de justice lui-même. On peut dire qu’ils n’auraient pas continué de voir l’étoile s’ils étaient restés dans leur pays. Dépêchons-nous donc, nous aussi ; et, même si tous nous en empêchent, courons à la maison de cet enfant.

Fermeté dans la vocation

Nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l’adorer. A ces mots, le Roi Hérode se troubla et tout Jérusalem avec lui. Cette scène se répète encore aujourd’hui. Devant la grandeur de Dieu, devant la décision humainement sérieuse et en même temps profondément chrétienne que prennent certains de vivre avec cohérence leur propre foi, il ne manque pas de gens qui, déconcertés, s’étonnent et même se scandalisent. On dirait qu’ils ne conçoivent pas d’autre réalité que celle qui entre dans leur horizon terrestre limité. Devant la générosité qu’ils peuvent constater chez ceux qui ont entendu l’appel du Seigneur, ils sourient ironiquement, s’effraient ou — dans certains cas, qui semblent vraiment pathologiques — consacrent tous leurs efforts à détourner la décision sainte qu’une conscience a prise dans la plus complète liberté. Il m’est arrivé d’assister à une véritable mobilisation générale contre ceux qui avaient décidé de mettre toute leur vie au service de Dieu et des autres hommes. Quelques-uns sont persuadés que le Seigneur ne peut choisir qui il veut, sans leur en demander la permission, et que l’homme n’est pas à même d’user pleinement de sa liberté pour répondre oui à l’Amour ou le repousser. La vie surnaturelle de chaque âme est quelque chose de secondaire pour ceux qui pensent ainsi ; ils s’imaginent qu’il faut lui prêter attention, mais seulement après avoir satisfait les petites commodités et les égoïsmes humains. S’il en était ainsi, que resterait-il du christianisme ? Les paroles de Jésus, pleines d’amour autant que d’exigence, sont-elles seulement bonnes à écouter, ou à écouter et à mettre en pratique ? Il a dit : Soyez parfaits, comme votre Père Céleste est parfait.

Notre Seigneur s’adresse à tous les hommes pour qu’ils viennent à sa rencontre et pour qu’ils soient saints. Il n’appelle pas seulement les Rois Mages, sages et puissants ; auparavant, il avait déjà envoyé aux bergers de Bethléem non pas une étoile, mais l’un de ses anges Mais tous, les pauvres et les riches, ceux qui sont savants et ceux qui le sont moins, doivent disposer leur âme à écouter avec humilité la voix de Dieu.

Considérez le cas d’Hérode : c’était un puissant de la terre, et il pouvait s’assurer la collaboration des sages : réunissant tous les princes des prêtres et les scribes du peuple, il demanda où devait naître le Messie. Or son pouvoir et la science ne l’amenèrent pas à reconnaître Dieu. Pour son cœur endurci, le pouvoir et la science étaient des instruments du mal : l’inutile désir d’annihiler Dieu, le mépris de la vie d’enfants innocents.

Continuons à lire le Saint Évangile : Ils répondirent : à Bethléem de Juda, car il a été écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas la plus petite des villes de Judée, car de toi sortira un chef qui conduira mon peuple Israël.

Nous ne pouvons ignorer ces détails de la miséricorde divine : celui qui allait racheter le monde naît dans un village perdu. C’est que Dieu ne fait pas acception des personnes, comme nous le répète avec insistance l’Écriture. Il ne s’arrête pas, pour inviter une âme à vivre en pleine cohérence avec sa foi, aux mérites de la fortune, à la noblesse de la famille, à la profondeur de la science. La vocation prime sur tous les mérites : l’étoile qu’ils avaient vue en Orient les précédait pour s’arrêter au-dessus du lieu où était l’Enfant.

Avant tout, il y a la vocation. Dieu nous aime avant même que nous sachions nous adresser à lui, et c’est lui qui infuse en nous l’amour que nous lui rendons. La bonté paternelle de Dieu vient à notre rencontre. Notre Seigneur n’est pas seulement juste, il est beaucoup plus que cela. Il est miséricordieux. Il n’attend pas que nous allions à lui ; il s’avance, avec des marques évidentes d’affection paternelle.

Bon Pasteur, Bon guide

La vocation vient en premier lieu. C’est l’étoile qui a commencé à luire pour nous orienter sur notre chemin d’amour de Dieu. Il ne serait donc pas logique de douter si, parfois, à certains moments de notre vie intérieure, presque toujours par notre faute, il arrivait, comme dans le voyage des Mages, que l’Etoile disparaisse. Alors que nous connaissons déjà la splendeur divine de notre vocation et que nous sommes persuadés de son caractère définitif, il se peut que la poussière que nous soulevons en marchant — nos misères — forme un nuage opaque, qui empêche le passage de la lumière.

Que faire alors ? Suivre les pas de ces hommes saints : demander. Hérode se servit de la science pour se comporter injustement ; les Rois Mages l’utilisèrent pour faire le bien. Mais, nous autres chrétiens, nous n’avons pas besoin d’interroger Hérode ou les sages de la terre. Le Christ a donné à son Église la sécurité de sa doctrine, le courant de grâce des Sacrements ; il a prévu qu’il y ait des personnes pour nous orienter, pour nous conduire, pour nous rappeler constamment le chemin. Nous disposons d’un trésor infini de science : la Parole de Dieu gardée dans l’Église ; la grâce du Christ administrée dans les sacrements ; le témoignage et l’exemple de ceux qui vivent à coté de nous avec droiture et qui ont su faire de leur vie un chemin de fidélité à Dieu.

Permettez-moi de vous donner un conseil : s’il vous arrivait de perdre la lumière, ayez toujours recours au bon Pasteur. Mais qui est le bon Pasteur ? Celui qui entre par la porte de la fidélité à la doctrine de l’Église ; celui qui ne se comporte pas comme le mercenaire qui, voyant venir le loup, abandonne les brebis et s’enfuit ; et le loup les emporte et disperse le troupeau. Croyez que la parole divine n’est pas vaine ; et l’insistance du Christ — ne voyez-vous pas avec quelle affection il parle de pasteurs et de brebis, du bercail et du troupeau ? — est une démonstration pratique de la nécessité d’avoir un bon guide pour notre âme.

S’il n’y avait pas de mauvais pasteurs, écrit saint Augustin, il n’aurait pas précisé, et parlé du bon. Qui est le mercenaire ? Celui qui voit le loup et s’enfuit. Celui qui n’ose pas réprouver les pécheurs avec liberté d’esprit. Le loup saisit une brebis par le cou, le diable incite un fidèle à commettre un adultère. Et toi, tu te tais, tu ne réprouves rien. Tu es un mercenaire ; tu as vu venir le loup et tu as fui. Peut-être dira-t-il : non, je suis ici, je n’ai pas fui. Et je réponds : non, tu as fui parce que tu t’es tu ; et tu t’es tu parce que tu as eu peur.

La sainteté de l’épouse du Christ s’est toujours manifestée — comme elle se manifeste encore aujourd’hui — par une abondance de bons pasteurs. Mais la foi chrétienne, qui nous apprend à être simples, ne fait pas de nous des naïfs. Il y a des mercenaires qui se taisent, et il y a des mercenaires qui prononcent des paroles qui ne viennent pas du Christ. C’est pourquoi, si le Seigneur permet que nous restions dans l’obscurité, même dans les petites choses, si nous sentons que notre foi n’est pas ferme, courons au bon Pasteur, à celui qui entre par la porte en exerçant son droit, à celui qui, en donnant sa vie pour autrui veut être, dans sa parole et sa conduite, une âme éprise de Dieu : un pécheur aussi, peut-être ; mais qui a toujours confiance dans le pardon et la miséricorde du Christ.

Si votre conscience vous reproche quelque faute, même si elle ne vous semble pas grave — si vous avez un doute, accourez au sacrement de la pénitence. Allez trouver le prêtre qui vous dirige, celui qui sait exiger de vous une foi robuste, une âme délicate, une véritable force chrétienne. Dans l’Église, chacun est absolument libre de se confesser avec n’importe quel prêtre, pourvu qu’il ait les licences requises ; mais un chrétien à la vie claire accourra librement vers celui qu’il sait être le bon Pasteur, qui peut l’aider à lever les yeux pour voir de nouveau, là-haut, l’étoile du Seigneur.

Or, encens et myrrhe

Videntes autem stellam, gavisi sunt gaudio magno valde, dit le texte latin dans une admirable redondance : découvrant de nouveau l’étoile, ils se réjouirent avec une très grande joie. Pourquoi tant de joie ? Parce que, eux, qui n’ont jamais douté, reçoivent du Seigneur la preuve que l’étoile n’avait pas disparu : ils avaient cessé de la contempler avec leurs yeux, mais ils l’avaient toujours conservée dans leur âme. Il en est ainsi de la vocation du chrétien : s’il ne perd pas la foi, s’il maintient son espérance en Jésus-Christ, qui sera avec nous jusqu’à la consommation des siècles, il voit réapparaître l’étoile. En constatant une fois de plus la réalité de sa vocation, il sent naître en lui une joie plus grande, qui augmente sa foi, son espérance et son amour.

Entrant dans la maison, ils virent L’Enfant avec Marie, sa Mère et, s’agenouillant, ils l’adorèrent. Nous nous agenouillons, nous aussi, devant Jésus, Dieu caché sous son humanité : nous lui redisons que nous ne voulons pas tourner le dos à son appel divin, que nous ne nous éloignerons jamais de lui ; que nous enlèverons de notre chemin tout ce qui constitue un obstacle à notre fidélité ; que nous désirons sincèrement suivre ses inspirations. Toi, dans ton âme, et moi aussi — dans ma prière intime, qui est comme un grand silence qui crie — nous racontons à l’Enfant Jésus que nous voulons être d’aussi bons exécutants que les serviteurs de la parabole, pour qu’il puisse nous dire comme à eux : réjouis-toi, serviteur bon et fidèle.

Et, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Arrêtons-nous un peu pour comprendre ce passage du saint Évangile. Comment pouvons-nous, nous qui ne valons rien, offrir quelque chose à Dieu ? L’Écriture dit : tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut. L’homme ne réussit peut-être même pas à découvrir entièrement la profondeur et la beauté des dons du Seigneur : Si tu savais le don de Dieu ! répond Jésus à la Samaritaine. Jésus-Christ nous a appris à attendre tout du Père, à chercher, avant tout, le royaume de Dieu et sa justice, car tout le reste nous sera donné par surcroît, et il sait bien, lui, ce dont nous avons besoin.

Dans l’économie du salut, Notre Père soigne chaque âme avec une délicatesse pleine d’amour : chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Il peut paraître inutile, par conséquent, de s’efforcer d’offrir à Dieu quelque chose dont il n’a pas besoin ; dans notre situation de débiteurs insolvables, nos dons ressembleraient à ceux de l’Ancienne Loi, que déjà Dieu n’acceptait pas : Sacrifices, obligations, holocaustes pour les péchés, tu ne les as voulus ni agréés et cependant ils sont offerts d’après la Loi.

Mais le Seigneur sait que donner est le propre de ceux qui aiment, et lui-même nous montre ce qu’il désire de nous. Ni les richesses, ni les fruits, ni les animaux de la terre, de la mer ou de l’air, ne lui importent, parce que tout est sien ; il veut quelque chose d’intime, que nous devons librement lui donner : mon fils, donne-moi ton cœur. Vous voyez ? Il ne se satisfait pas du partage : il veut tout. Il ne cherche pas ce qui nous appartient. Je le répète : c’est nous-mêmes qu’il veut. C’est de là, et de là seulement que proviennent tous les autres présents que nous pouvons offrir au Seigneur.

Offrons-lui, par conséquent, de l’or : l’or fin de notre détachement de la fortune et des biens matériels. N’oublions pas que ce sont des choses bonnes, puisqu’elles viennent de Dieu. Mais le Seigneur a voulu que nous les utilisions sans y attacher notre cœur, en les faisant fructifier pour le bien de l’humanité.

Les biens de la terre ne sont pas mauvais ; ils se corrompent quand l’homme les érige en idoles, et quand il se prosterne devant eux ; ils s’ennoblissent quand nous les utilisons pour faire le bien, en œuvrant chrétiennement pour la justice et la charité. Nous ne pouvons poursuivre les biens à la manière d’un homme qui va à la recherche d’un trésor ; notre trésor, il est là, couché dans une crèche : c’est le Christ, et tous nos amours doivent se joindre en lui, car là ou est notretrésor, là aussi est notre cœur.

Nous lui offrons de l’encens : nos désirs, qui s’élèvent vers le Seigneur, de mener une vie noble, d’où se dégage le bonus odor Christi, le parfum du Christ. Imprégner nos paroles et nos actions de ce bonus odor, c’est semer la compréhension, l’amitié. Que notre vie accompagne la vie des autres hommes, pour que personne ne se trouve ou ne se sente seul. Notre charité doit aussi être faite d’affection, de chaleur humaine.

Jésus-Christ nous l’enseigne. L’humanité attendait depuis des siècles la venue du Sauveur ; les prophètes l’avaient annoncée de mille manières ; et, jusqu’aux dernières extrémités de la terre — même si, à cause du péché et de l’ignorance, une grande partie de la Révélation de Dieu aux hommes se trouvait perdue — se conservaient le désir de Dieu et l’espérance du rachat.

La plénitude des temps arrive et, pour remplir cette mission, ce n’est pas un génie philosophe, comme Platon ou Socrate, qui apparaît ; ce n’est pas un conquérant puissant, comme Alexandre, qui s’installe sur la terre. C’est un enfant qui naît à Bethléem. Il est le Rédempteur du monde ; mais, avant même de parler, il montre son amour par des actes. Il n’apporte aucune formule magique parce qu’il sait que le salut qu’il offre doit passer par le cœur de l’homme. Ses premières actions sont des sourires, des pleurs d’enfant, le sommeil sans défense d’un Dieu incarné : et ceci pour nous inspirer de l’amour, pour que nous sachions l’accueillir dans nos bras.

Nous nous rendons compte maintenant, une fois de plus, de ce qu’est le christianisme. Si le chrétien n’aime pas avec des œuvres, il a échoué en tant que chrétien, et donc en tant que personne. Tu n’as pas le droit de penser aux autres comme s’ils étaient des numéros ou des marchepieds, tout juste bons à te permettre de monter ; ou une masse à exalter ou à humilier, à adorer ou à mépriser, suivant les cas. Pense aux autres — et avant tout, à ceux qui sont près de toi —, comme à ce qu’ils sont : des enfants de Dieu, avec toute la dignité qui s’attache à ce titre merveilleux.

Nous devons nous comporter comme des enfants de Dieu avec les enfants de Dieu : notre amour doit être un amour qui se sacrifie, un amour quotidien, fait de mille détails de compréhension, de sacrifice silencieux, de don discret de soi. Voilà le bonus odor Christi, qui faisait dire aux compagnons de nos premiers frères dans la foi : voyez comme ils s’aiment !

Il ne s’agit pas là d’un idéal lointain. Le chrétien n’est pas un Tartarin de Tarascon, obstiné à chasser le lion là où il ne peut le trouver, dans les couloirs de sa maison. Je préfère toujours parler de la vie quotidienne dans ce qu’elle a de concret, de la sanctification du travail, des relations familiales et de l’amitié. Si nous ne sommes pas chrétiens là, où le serons-nous ? La bonne odeur de l’encens provient d’une braise qui brûle sans ostentation une multitude de grains ; ce qui signale chez les hommes le bonus odor Christi ce n’est pas la flamme d’un feu de paille, mais l’efficacité d’un brasier de vertus qui se nomment justice, loyauté, fidélité, compréhension, joie…

Et voici qu’avec les Rois Mages, nous offrons aussi la myrrhe, c’est-à-dire le sacrifice indispensable à la vie chrétienne. La myrrhe nous rappelle le souvenir de la passion du Seigneur : sur la Croix on lui donne à boire de la myrrhe mêlée à du vin, et c’est avec de la myrrhe que son corps est oint pour la sépulture. Mais ne pensez pas que de réfléchir à la nécessité du sacrifice et de la mortification puisse ajouter une note de tristesse à la joie de cette fête que nous célébrons aujourd’hui.

La mortification n’est ni pessimisme ni aigreur. La mortification ne vaut rien sans la charité : c’est pourquoi nous devons chercher des mortifications qui, en nous aidant à dominer les choses de la terre, ne mortifient pas ceux qui vivent avec nous. Le chrétien ne peut être ni un bourreau ni un misérable ; c’est un homme qui sait à la fois aimer et le montrer, et pour qui la douleur est la pierre de touche de l’amour.

Mais j’ajoute, encore une fois, que cette mortification ne saurait consister en de grands renoncements, qui d’ailleurs se présentent rarement. Il doit s’agir plutôt de petites luttes : sourire à qui nous importune, refuser au corps les caprices de biens superflus, nous habituer à écouter autrui, faire fructifier le temps que Dieu met à notre disposition… Et tant d’autres détails, insignifiants en apparence, qui surgissent sans que nous les cherchions — contrariétés, difficultés, chagrins — au fil de chaque jour.

Sancta Maria, Stella Orientis

Je termine en reprenant quelques mots de l’Évangile d’aujourd’hui : entrant dans la maison, ils virent l’Enfant avec Marie, sa mère. Notre Dame ne se sépare pas de son Fils. Les Rois Mages ne sont pas reçus par un roi juché sur son trône, mais par un enfant dans les bras de sa mère. Demandons à la Mère de Dieu, notre Mère, de nous préparer le chemin qui conduit au plein amour : Cor Mariæ dulcissimum, iter para tutum ! Son doux cœur connaît le chemin le plus sûr pour rencontrer le Christ.

Les Rois Mages ont une étoile ; nous, nous avons Marie, Stella maris, stella Orientis. Nous lui disons aujourd’hui : Sainte Marie, Etoile de la mer, Etoile du matin, aide tes enfants. Notre zèle pour les âmes ne doit pas connaître de frontières, car personne n’est exclu de l’amour du Christ. Les Rois Mages ont été les précurseurs des gentils ; mais, la Rédemption consommée, il n’y a plus désormais ni juif, ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme ; il n’existe de discrimination d’aucun type, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.

Nous autres chrétiens, nous ne pouvons être exclusifs, ni séparer ou classer les âmes ; beaucoup viendront d’Orient et d’Occident. Dans le Cœur du Christ, il y a de la place pour tous. Ses bras — nous en avons un exemple admirable dans la crèche — sont ceux d’un Enfant, mais ce sont les mêmes qui, étendus sur la croix, attireront tous les hommes.

Une dernière pensée pour notre Père et Seigneur saint Joseph, l’homme juste, qui, dans la scène de l’Épiphanie, est une fois de plus passé inaperçu. Je l’imagine recueilli dans la contemplation, protégeant avec amour l’Enfant Dieu qui, fait Homme, a été confié à ses soins paternels. Avec la merveilleuse délicatesse de celui qui ne pense pas à lui-même, le saint Patriarche se dépense dans un service aussi silencieux qu’efficace.

Nous avons parlé aujourd’hui de vie de prière et de désir d’apostolat. Quel meilleur maître que saint Joseph ? Si vous voulez un conseil, voici celui que je prodigue inlassablement depuis des années : Ite ad Ioseph, allez à saint Joseph. Il vous montrera des chemins concrets, des moyens humains et divins d’approcher Jésus. Et, comme il l’a fait, vous irez porter dans vos bras, embrasser, vêtir, soigner cet Enfant-Dieu qui nous est né. Avec l’hommage de leur vénération, les Mages offrirent à Jésus de l’or, de l’encens et de la myrrhe ; Joseph, lui, a donné tout entier son cœur, jeune et plein d’amour.

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