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5 points de « Entretiens » sont liés à la thématique Unité de vie → matérialisme chrétien .

Vous venez d’entendre la lecture solennelle des deux textes de la Sainte Écriture, repris dans la messe du vingt et unième dimanche après la Pentecôte. Cette Parole de Dieu vous situe déjà dans le cadre où vont se déployer les paroles que je vous adresse maintenant : paroles de prêtre, prononcées devant une grande famille d’enfants de Dieu en son Église sainte. Paroles qui, par conséquent, se veulent surnaturelles, messagères de la grandeur de Dieu et de sa miséricorde envers les hommes ; paroles qui vous préparent à l’émouvante Eucharistie que nous célébrons aujourd’hui dans le campus de l’Université de Navarre.

Considérez un instant le fait que je viens de relever. Nous célébrons la Sainte Eucharistie, le sacrifice sacramentel du Corps et du Sang du Seigneur, ce mystère de foi qui renferme en lui-même tous les mystères du christianisme. Nous célébrons donc l’acte le plus sacré et le plus transcendant que nous, les hommes, puissions par l’effet de la grâce de Dieu accomplir dans cette vie : communier au Corps et au Sang du Seigneur équivaut, d’une certaine manière, à nous délier de nos attaches avec la terre et avec le temps pour nous trouver déjà en présence de Dieu dans le ciel, où le Christ lui-même séchera les larmes de nos yeux et où il n’y aura plus ni mort ni sanglots, ni gémissements de fatigue, parce que le vieux monde aura pris fin .

Toutefois cette vérité si réconfortante et si profonde, cette signification eschatologique de l’Eucharistie, comme l’appellent d’ordinaire les théologiens, pourrait être mal comprise : elle l’a été chaque fois que l’on a voulu présenter l’existence chrétienne comme une réalité uniquement spirituelle ou plus exactement, spiritualiste, réservée aux personnes pures, extraordinaires, qui ne se mêlent pas aux choses méprisables de ce monde ou qui, tout au plus, les tolèrent comme quelque chose de juxtaposé par nécessité à l’esprit, aussi longtemps que nous vivons ici-bas.

Lorsque l’on voit les choses de cette façon, le temple devient par excellence le centre de la vie chrétienne ; et, dès lors, être chrétien consiste à fréquenter l’église, à participer aux cérémonies sacrées, à s’incruster dans une sociologie ecclésiastique, dans une espèce de monde à part qui se présente lui-même comme l’antichambre du ciel, cependant que le commun des mortels suit son propre chemin. La doctrine du christianisme, la vie de la grâce, ne ferait de la sorte que frôler le cours mouvementé de l’histoire humaine sans jamais le rencontrer.

En cette matinée d’octobre, tandis que nous nous disposons à revivre la Pâque du Seigneur, nous répondons simplement non à cette vision déformée du christianisme. Réfléchissez un instant sur ce cadre qui entoure notre Eucharistie, notre action de grâces : nous voici dans un temple singulier ; il a pour nef, pourrait-on dire, le campus universitaire ; pour retable, la bibliothèque de l’université ; là-bas, des machines élèvent de nouveaux édifices, et là-haut, le ciel de Navarre…

Cette énumération ne vous confirme-t-elle pas, d’une manière tangible et inoubliable, que le véritable champ de notre existence chrétienne, est la vie ordinaire ? Là où sont vos frères les hommes, mes enfants, là où sont vos aspirations, votre travail, vos amours, là se trouve le lieu de votre rencontre quotidienne avec le Christ. C’est au milieu des choses les plus matérielles de la terre que nous devons nous sanctifier, en servant Dieu et tous les hommes.

Je n’ai cessé de l’enseigner en utilisant des paroles de la Sainte Écriture : le monde n’est pas mauvais, puisqu’il est sorti des mains de Dieu, puisqu’il est sa création, puisque Yahvé l’a contemplé et a vu qu’il était bon . C’est nous, les hommes, qui le rendons laid et mauvais, par nos péchés et nos infidélités. N’en doutez pas, mes enfants : toute forme d’évasion hors des honnêtes réalités quotidiennes est pour vous, hommes et femmes de ce monde, à l’opposé de la volonté de Dieu.

Tout au contraire, vous devez maintenant comprendre avec une clarté nouvelle, que Dieu vous appelle à le servir dans et à partir des tâches civiles, matérielles, séculières de la vie humaine : c’est dans un laboratoire, dans la salle d’opération d’un hôpital, à la caserne, dans une chaire d’université, à l’usine, à l’atelier, aux champs, dans le foyer familial et au sein de l’immense panorama du travail, c’est là que Dieu nous attend chaque jour. Sachez-le bien : il y a quelque chose de saint, de divin, qui se cache dans les situations les plus ordinaires et c’est à chacun d’entre vous qu’il appartient de le découvrir.

J’avais l’habitude de dire à ces étudiants et à ces ouvriers, qui se joignaient à moi vers les années trente, qu’ils devaient savoir matérialiser la vie spirituelle. Je voulais de la sorte éloigner d’eux la tentation, si fréquente alors comme aujourd’hui, de mener une espèce de double vie : d’un côté la vie intérieure, la vie de relation avec Dieu ; de l’autre, une vie distincte et à part, la vie familiale, professionnelle, sociale, pleine de petites réalités terrestres.

Non, mes enfants ! non, il ne peut y avoir de double vie, nous ne pouvons être pareils aux schizophrènes si nous voulons être chrétiens ; il n’y a qu’une seule vie, faite de chair et d’esprit et c’est cette vie-là qui doit être corps et âme – sainte et pleine de Dieu : ce Dieu invisible, nous le découvrons dans les choses les plus visibles et les plus matérielles.

Il n’y a pas d’autre chemin, mes enfants : ou nous savons trouver le Seigneur dans notre vie ordinaire, ou nous ne le trouverons jamais. Voilà pourquoi je puis vous dire que notre époque a besoin qu’on restitue, à la matière et aux situations qui semblent les plus banales, leur sens noble et originel, qu’on les mette au service du Royaume de Dieu, qu’on les spiritualise, en en faisant le moyen et l’occasion de notre rencontre continuelle avec Jésus-Christ.

Le sens authentique du christianisme – qui professe la résurrection de toute chair – s’affronte toujours, comme il est logique, avec la désincarnation, sans crainte d’être taxé de matérialisme. Il est donc permis de parler d’un matérialisme chrétien qui s’oppose audacieusement aux matérialismes fermés à l’esprit. Que sont les sacrements – empreintes de l’Incarnation du Verbe, comme l’affirmaient les anciens – sinon la manifestation la plus claire de ce chemin que Dieu a choisi pour nous sanctifier et nous mener au ciel ? Ne voyez-vous pas que chaque sacrement témoigne de l’amour de Dieu, dans toute sa force créatrice et rédemptrice, qui nous est concédé à l’aide de moyens matériels ? Qu’est l’Eucharistie – imminente déjà – sinon le Corps et le Sang adorables de notre Rédempteur, qui nous sont offerts à travers l’humble matière de ce monde – le vin et le pain –, à travers les éléments de la nature, cultivés par l’homme , ainsi qu’a voulu le rappeler le dernier concile œcuménique ?

L’on comprend, mes enfants, que l’Apôtre pouvait écrire : tout est à vous ; mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu . Il s’agit d’un mouvement ascendant que le Saint-Esprit, partout présent en nos cœurs, entend provoquer dans le monde : à partir de la terre, jusqu’à la gloire du Seigneur. Et pour qu’il fût clair que même ce qui semble le plus prosaïque était inclus dans ce mouvement, saint Paul écrivait également : soit donc que vous mangiez, soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu .

Cette doctrine de la Sainte Écriture qui est, comme vous le savez, au centre même de l’esprit de l’Opus Dei, doit vous mener à réaliser votre travail avec perfection, à aimer Dieu et les hommes en faisant avec amour les petites choses habituelles de la journée, découvrant ainsi ce quelque chose de divin qui se trouve enfermé dans les détails. Comme ils viennent à propos ces vers du poète castillan :

Tout doucement, tournez bien les lettres :

Bien faire les choses

Est plus important que de les faire .

Je vous assure, mes enfants, que lorsqu’un chrétien accomplit avec amour les actions quotidiennes les moins transcendantes, ce qu’il fait déborde de transcendance divine. Voilà pourquoi je vous ai dit, répété et ressassé inlassablement, que la vocation chrétienne consiste à convertir en alexandrins la prose de chaque jour. Sur la ligne de l’horizon, mes enfants, le ciel et le terre semblent se rejoindre. Mais non, là où ils s’unissent, en réalité, c’est dans vos cœurs, lorsque vous vivez saintement la vie ordinaire…

Vivre saintement la vie ordinaire, vous disais-je à l’instant. Et par ces mots, j’entends le programme tout entier de vos préoccupations quotidiennes. Laissez donc les rêves, les faux idéalismes, les fantaisies, en un mot, ce que j’ai coutume d’appeler la mystique du si – ah ! si je ne m’étais pas marié, ah ! si je n’avais pas cette profession, ah ! si j’avais une meilleure santé, ah ! si j’étais jeune, ah ! si j’étais vieux ! – et, en revanche, tenez-vous-en à la réalité la plus matérielle et la plus immédiate, car c’est là que se trouve le Seigneur : Voyez mes mains et mes pieds, dit Jésus ressuscité : C’est bien moi ! Touchez-moi et rendez-vous compte qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai .

Ils sont multiples, les aspects du milieu séculier où vous évoluez, qu’éclairent ces vérités. Pensez, par exemple, à l’ensemble de vos activités en tant que citoyens dans la vie civile. Un homme qui sait que le monde – et non seulement l’église – est son lieu de rencontre avec le Christ, aime ce monde, tâche d’acquérir une bonne préparation intellectuelle et professionnelle, établit en toute liberté ses propres jugements sur les problèmes du milieu où il évolue ; et, par conséquent, il prend ses propres décisions, lesquelles, parce qu’elles sont les décisions d’un chrétien, procèdent en outre d’une réflexion personnelle, qui tente humblement de saisir la volonté de Dieu dans les détails, petits et grands, de la vie.

Je nourris l’espoir – parce que cela répond à la justice et à une réalité que connaissent tant de pays – qu’un jour viendra où l’État espagnol contribuera, lui aussi, à réduire les charges d’une tâche qui ne vise à aucun profit privé et qui, au contraire, précisément parce qu’elle se met tout entière au service de la société, tente de collaborer efficacement à la prospérité présente et future de la nation.

Et maintenant, mes fils et mes filles, permettez-moi d’insister sur un autre aspect, cher entre tous, de la vie ordinaire. Je veux parler de l’amour humain, de l’amour pur entre l’homme et la femme, des fiançailles, du mariage. Je tiens à dire une fois de plus que ce saint amour humain n’est pas simplement une chose permise, tolérée, à côté des véritables activités de l’esprit, comme on pourrait le déduire des faux spiritualismes auxquels je faisais tout à l’heure allusion. Depuis quarante ans, je proclame exactement le contraire, par la parole et par l’écrit, et ceux qui ne le comprenaient pas commencent à le comprendre.

L’amour, qui conduit au mariage et à la famille, peut être également un chemin divin, un chemin de vocation, un chemin merveilleux, une voie qui aboutit à l’engagement total envers notre Dieu. Réalisez les choses avec perfection, je vous l’ai rappelé, apportez de l’amour aux petites activités de la journée, découvrez, j’insiste, ce quelque chose de divin que renferment les détails : cette doctrine trouve une place spéciale dans l’espace vital, qui forme le cadre de l’amour humain.

Vous le savez, professeurs, étudiants et vous tous qui vous consacrez à l’université de Navarre : j’ai confié vos amours à Sainte Marie, Mère du Bel Amour. Vous avez là-bas la chapelle que nous avons construite avec dévotion dans le campus universitaire, pour qu’elle y accueille vos prières et l’offrande de cet amour, pur et splendide, qu’elle bénit.

Ne saviez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit qui est en vous et que vous tenez de Dieu ? Et que vous ne vous appartenez pas ? Que de fois, devant la statue de la Vierge Marie, Mère du Bel Amour, ne répondrez-vous pas à la question de l’Apôtre par une affirmation joyeuse : oui, nous le savons et nous voulons vivre ainsi, avec votre aide puissante, ô Vierge, Mère de Dieu !

La prière contemplative jaillira de votre âme, chaque fois que vous méditerez cette réalité surprenante : une chose aussi matérielle que mon corps a été choisie par l’Esprit Saint pour y établir sa demeure…, je ne m’appartiens déjà plus…, mon corps et mon âme – mon être tout entier – sont à Dieu… et cette prière sera riche de résultats pratiques qui dériveront de cette grande conséquence proposée par le même apôtre : glorifiez Dieu dans votre corps .

Références à la Sainte Écriture
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