L’ESPERANCE DU CHRETIEN

Il y a bon nombre d’années déjà, fort d’une conviction qui grandissait de jour en jour, j’écrivais : Attends tout de Jésus : tu n’as rien ; tu ne vaux rien ; tu ne peux rien. C’est lui qui agira si tu t’abandonnes en lui. Le temps a passé, et ma conviction n’en est devenue que plus vigoureuse, plus profonde aussi. J’ai pu constater comment, dans bien des existences, l’espérance en Dieu avait allumé de merveilleux foyers d’amour, brûlant d’un feu qui tient le cœur en haleine, sans découragements, sans relâchements, même si l’on souffre au long du chemin, et si l’on souffre parfois pour de bon.

Je me suis ému en lisant le texte de l’épître de la messe, et j’imagine qu’il en a été de même pour vous. Je comprenais que Dieu nous aidait, à travers les paroles de l’Apôtre, à contempler l’imbrication divine des trois vertus théologales, ce canevas sur lequel est tissée l’existence authentique de l’homme chrétien, de la femme chrétienne.

Écoutez de nouveau saint Paul : Ayant donc reçu notre justification de la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, lui qui nous a donné d’avoir accès par la foi à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu. Que dis-je ? Nous nous glorifions encore des tribulations, sachant bien que la tribulation produit la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance. Et l’espérance ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné.

Ici, dans la présence de Dieu, qui préside dans le tabernacle (quelle force que cette proximité réelle de Jésus !), nous allons méditer aujourd’hui sur l’espérance, ce don très doux de Dieu, qui comble nos âmes de joie : spe gaudentes. Joyeux nous le sommes, car, si nous sommes fidèles, l’Amour infini nous attend.

Nous ne devons jamais oublier que, pour tous, donc pour chacun d’entre nous, il n’y a que deux façons de vivre sur terre : vivre une vie divine, en luttant pour plaire à Dieu ; ou vivre une vie animale, avec plus ou moins de teinture humaine, en nous passant de lui. Je n’ai jamais accordé beaucoup de crédit aux « saints laïcs » qui se vantent d’être incroyants. Je les aime véritablement, de même que tous les hommes, mes frères ; j’admire leur bonne volonté qui, à certains égards, peut se révéler héroïque. Mais j’ai de la compassion pour eux, car ils ont l’énorme malheur de n’avoir ni la lumière ni la chaleur de Dieu, ni l’indicible joie de l’espérance théologale.

Un chrétien sincère, cohérent avec sa foi, n’agit que par référence à Dieu, dans une perspective surnaturelle. Il travaille en ce monde (qu’il aime passionnément), pleinement engagé dans les affaires de la terre, le regard tourné vers le ciel. Saint Paul nous le confirme : Quæ sursum sunt quærite ; recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite du Père. Songez aux choses d’en-haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, morts par le baptême à ce qui vient du monde, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu.

Espérances terrestres et espérance chrétienne

La ritournelle tant rebattue que l’espérance est la dernière chose que l’on perd vient aux lèvres de beaucoup avec une cadence monotone. Comme si l’espérance était une sorte de bouée qui permet de continuer à marcher sans complications et sans inquiétudes de conscience ! Ou encore, comme si elle était un prétexte pour reporter sine die l’occasion de rectifier notre conduite, la lutte pour atteindre des buts élevés et notamment notre fin suprême, qui est de nous unir à Dieu !

Je dirai même que c’est là un bon moyen de confondre l’espérance avec la tranquillité. Car, au fond, il manque le désir d’atteindre un vrai bien, légitime, spirituel ou matériel. La plus haute aspiration de certains se réduit à se dérober à tout ce qui pourrait altérer la tranquillité, apparente, de leur existence médiocre. Avec cette âme timide, chétive et paresseuse, la créature se laisse atteindre par des formes subtiles d’égoïsme et se contente de ce que jours et années s’écoulent sine spe nec metu  : sans aspirations exigeant un effort, sans les inquiétudes de la mêlée. L’important alors est d’éviter le risque de déconvenues et de larmes. Comme on est bien loin d’obtenir quelque chose, si l’on n’a pas su répondre au désir de le posséder, par crainte des exigences que cela représente !

S’y ajoute l’attitude superficielle de ceux qui, y compris sous des apparences de culture ou de science, composent avec le thème de l’espérance une poésie facile. Incapables d’affronter sincèrement leur propre intimité et de prendre parti pour le bien, ils réduisent l’espérance à une illusion, à une rêverie utopique, à une simple consolation face aux angoisses d’une vie difficile. L’espérance — la fausse espérance ! — devient chez eux velléité frivole qui ne conduit à rien.

Certes les craintifs et les frivoles abondent. Mais, sur notre terre, il est aussi beaucoup d’hommes droits, animés par un noble idéal, même purement philantropique et sans finalité surnaturelle. Ils supportent toute sorte de privations, se dépensent généreusement au service des autres, les aidant dans leurs souffrances ou dans leurs difficultés. Je suis toujours porté à respecter et même à admirer la ténacité de celui qui travaille résolument pour un idéal digne de ce nom. Je me sens cependant dans l’obligation de rappeler que tout ce que nous commençons ici-bas, s’il s’agit d’une entreprise exclusivement nôtre, naît marqué du signe de la précarité. Méditez les paroles de l’Écriture  : Je réfléchis sur toutes les actions de mes mains et sur toute la peine que j’y ai prise : Ah ! tout est vanité et poursuite de vent, et il n’y a pas d’intérêt sous le soleil.

Cette précarité n’étouffe cependant point l’espérance. Bien au contraire, si nous admettons la petitesse et la contingence des initiatives terrestres, notre travail s’ouvre à l’espérance véritable, qui élève toute tâche humaine et qui la transforme en un lieu de rencontre avec Dieu. Cette tâche s’éclaire alors d’une lumière d’éternité, qui chasse les ténèbres de la désillusion. Inversement, nous pouvons transformer nos projets temporels en finalités absolues, en effaçant de l’horizon la demeure éternelle et la fin pour laquelle nous avons été créés : aimer et louer le Seigneur, le posséder ensuite dans le Ciel. Alors les plus brillantes intentions deviennent des trahisons, voire les véhicules de l’avilissement des créatures. Rappelez-vous l’exclamation sincère, bien connue, de saint Augustin, qui avait fait l’expérience de tant d’amertumes alors qu’il méconnaissait Dieu et qu’il cherchait le bonheur en dehors de lui : Tu nous a créés, Seigneur, pour toi et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi ! Rien n’est peut-être plus tragique dans la vie d’un homme que ces méprises dues à la corruption et à la falsification de l’espérance, quand celle-ci est présentée en dehors de la perspective de l’Amour, qui rassasie sans rassasier.

Quant à moi, et je désire qu’il en aille de même pour vous, l’assurance de me sentir, de me savoir, fils de Dieu, me remplit d’une espérance véritable, cette vertu surnaturelle qui, quand elle est infusée dans les créatures, se conforme à notre nature, ce qui fait d’elle aussi une vertu très humaine. Je suis heureux, fort de la certitude du Ciel que nous atteindrons, si nous restons fidèles jusqu’au dernier moment ; du bonheur que nous aurons, quoniam bonus, car mon Dieu est bon et sa miséricorde est infinie. Cette assurance m’invite à comprendre que seul ce qui porte l’empreinte de Dieu révèle le sceau indélébile de l’éternité et possède une valeur impérissable. C’est pourquoi l’espérance ne m’écarte pas des choses de cette terre. Elle me rapproche au contraire de ces mêmes réalités d’une façon nouvelle, d’une façon chrétienne, qui tente de découvrir en toutes choses les liens de la nature déchue avec Dieu Créateur et avec Dieu Rédempteur.

Espérer en quoi ?

Peut-être plus d’un en est-il à se demander : nous les chrétiens, en quoi devons-nous espérer ? Car le monde offre beaucoup de biens attirants pour notre cœur, qui réclame le bonheur et poursuit ardemment l’amour. D’autre part, nous voulons semer la joie et la paix à pleines mains : nous ne nous contentons pas de rechercher notre prospérité personnelle et nous tentons de rendre heureux tous ceux qui nous entourent.

Malheureusement d’aucuns, à la vision louable mais plate des choses, aux idéaux exclusivement caducs et fugaces, oublient que les aspirations des chrétiens doivent viser des sommets plus élevés, infinis. Ce qui nous intéresse, c’est l’Amour de Dieu, en jouir en plénitude avec une joie sans fin. Nous avons constaté, de bien des façons, que les choses d’ici-bas vont passer pour nous tous lorsque ce monde s’achèvera ; et même avant, pour chaque homme, car ni les richesses ni les honneurs ne nous accompagneront dans notre sépulture. C’est pourquoi nous avons appris à prier avec les ailes que nous donne l’espérance, qui porte nos cœurs à s’élever vers le Seigneur : In te Domine speravi, non confundar in æternum. J’espère en toi, Seigneur, pour que ta main me dirige maintenant et en toute circonstance, pour les siècles des siècles.

Nous n’avons pas été créés par le Seigneur pour bâtir ici une cité définitive, car ce monde est le chemin vers un autre monde, qui est demeure sans chagrin. Cependant nous, les enfants de Dieu, nous ne devons pas nous désintéresser des activités humaines : Dieu nous y a placés pour les sanctifier, pour les imprégner de notre foi bénie, la seule qui amène la vraie paix et la joie authentique aux âmes et aux différents milieux du monde. Voici quelle a été ma prédication constante depuis 1928 : il est urgent de christianiser la société et d’imprégner de sens surnaturel toutes les couches de cette humanité que nous formons, afin que, les uns et les autres, nous nous efforcions d’élever à l’ordre de la grâce nos tâches quotidiennes, notre profession, notre métier. Ainsi, toutes les occupations humaines s’éclairent d’une espérance nouvelle, qui transcende le temps et la fugacité de ce monde.

Le baptême nous a faits porteurs de la parole du Christ, qui rassérène, qui enflamme et apaise les cons­cien­ces blessées. Pour que le Seigneur agisse en nous et par nous, disons-lui que nous sommes disposés à lutter tous les jours, tout en nous sachant faibles et inutiles, tout en ressentant le poids immense de nos misères et de notre pauvre faiblesse personnelle. Nous devons lui redire que nous avons confiance en lui, en son assistance, et au besoin contre toute espérance, comme Abraham. Nous travaillerons ainsi avec un acharnement renouvelé et nous apprendrons aux hommes à réagir avec sérénité, dépourvus de haine, de méfiance, d’ignorance, d’incompréhension, de pessimisme, car tout est possible à Dieu.

Où que nous nous trouvions, le Seigneur nous exhorte : veille ! Face à cet appel de Dieu, nous devons alimenter notre conscience en désirs de sainteté : des désirs enracinés dans l’espérance et suivis d’œuvres. Donne-moi, mon fils, ton cœur, nous souffle-t-il à l’oreille. Cesse de construire des châteaux en Espagne, décide-toi à ouvrir ton âme à Dieu, car ce n’est que dans le Seigneur que tu peux trouver un fondement réel pour ton espérance et pour pratiquer le bien à l’égard du prochain. Si nous ne luttons pas contre nous-même, si nous ne rejetons pas résolument les ennemis qui campent dans notre citadelle intérieure (qu’ils s’appellent orgueil, envie, concupiscence de la chair et des yeux, autosuffisance ou folle avidité de libertinage), s’il n’y a pas enfin de lutte intérieure, alors les idéaux les plus nobles se fanent comme fleur des champs. Le soleil brûlant s’est levé : il a desséché l’herbe et sa fleur tombe, sa belle apparence est détruite. Ensuite, dans les moindres fissures, le découragement et la tristesse pousseront, comme une plante nuisible et envahissante.

Jésus ne se satisfait pas d’une adhésion hésitante. Il prétend, il en a le droit, que nous marchions d’un pas ferme, sans concessions devant les difficultés. Il exige des pas décidés, concrets : d’ordinaire, les résolutions à caractère général servent à peu de chose. Ces résolutions aux contours vagues me semblent de fallacieux espoirs qui visent à étouffer les appels divins que le cœur perçoit : des feux follets, qui ne brûlent ni ne réchauffent et qui disparaissent aussi fugacement qu’ils ont surgi.

C’est pourquoi je serai convaincu de la sincérité de ton intention d’atteindre le but, si je te vois marcher avec détermination. Fais le bien, en révisant ton attitude habituelle devant les occupations de chaque instant. Pratique la justice, précisément dans les milieux que tu fréquentes, même si tu en es rompu de fatigue. Rends heureux ceux qui t’entourent, en les aidant sans réserve dans le travail, en t’efforçant d’achever le tien avec la plus grande perfection humaine possible, par ta compréhension, ton sourire, ton attitude chrétienne. Et le tout pour Dieu, en pensant à sa gloire, le regard tourné vers le Ciel, dans un désir ardent de la Patrie définitive, le seul but qui en vaille la peine.

Je peux tout

Si tu ne luttes pas, ne me dis pas que tu veux t’identifier davantage au Christ, le connaître, l’aimer. En empruntant cette voie royale, suivre le Christ, nous comporter en enfants de Dieu, nous savons bien ce qui nous attend : la Sainte Croix, où nous devons voir le point central sur lequel s’appuie notre espérance de nous unir au Seigneur.

Ce programme, je te le dis à l’avance, n’a rien d’une entreprise facile, car vivre comme le Seigneur nous l’indique demande des efforts. Je vous lis l’énumération de l’Apôtre, lorsqu’il rapporte les péripéties et les souffrances qu’il a endurées pour accomplir la volonté de Jésus : Cinq fois j’ai reçu des Juifs les trente-neuf coups de fouet ; trois fois j’ai été flagellé ; une fois lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage. Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans l’abîme ! Voyages sans nombre, dangers des rivières, dangers des brigands, dangers de mes compatriotes, dangers des païens, dangers de la ville, dangers du désert, dangers de la mer, dangers des faux frères ! Labeur et fatigue, veilles fréquentes, faim et soif, jeûnes répétés, froid et nudité. Et sans parler du reste, mon obsession quotidienne : le souci de toutes les Églises !

J’aime, pour mes conversations avec le Seigneur, serrer au plus près la réalité dans laquelle nous évoluons, sans m’inventer de théories, sans rêver à de grands renoncements ou à des actes héroïques qui, d’ordinaire, ne se présenteront pas. Il importe, en revanche, que nous profitions de notre temps, ce temps qui glisse entre nos mains et qui, pour une conscience chrétienne, est bien plus que de l’argent, car il représente une anticipation de la gloire qui nous sera accordée plus tard.

Logiquement, nous n’allons pas dans notre journée nous heurter à des difficultés aussi nombreuses et aussi grandes que celles qui ont jalonné la vie de Saül. Ce que nous rencontrons, c’est la bassesse de notre égoïsme, les coups de griffe de la sensualité, les tracas d’un orgueil inutile et ridicule, et bien d’autres défaillances, tant et tant de faiblesses. Devons-nous nous décourager ? Non. Répétons au Seigneur avec saint Paul : Je me complais dans mes faiblesses, dans les outrages, les détresses, les persécutions, les angoisses endurées pour le Christ ; car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.

Parfois, alors que tout va à l’inverse de ce que nous imaginions, nous nous prenons à dire spontanément : Seigneur, vois comment tout s’écroule pour moi, tout, tout… ! C’est alors le moment de rectifier : avec toi, j’irai de l’avant avec assurance, car tu es la force même : Quia tu es, Deus, fortitudo mea.

Je t’ai exhorté à essayer, au milieu de tes occupations, d’élever ton regard vers le Ciel avec persévérance. Car l’espérance nous pousse à saisir la main puissante que Dieu nous tend à tout moment, pour que nous ne perdions pas la perspective surnaturelle, même lorsque nos passions se dressent et nous harcèlent pour nous verrouiller dans le réduit mesquin de notre moi ; ou quand, avec une vanité puérile, nous nous plaçons au centre de l’univers. Je vis persuadé que je ne parviendrai à rien sans regarder vers le haut, sans Jésus. Je sais que la force dont j’ai besoin pour me vaincre et pour vaincre naît de la répétition de ce cri : Je peux tout en Celui qui me rend fort. Ce cri en appelle à la promesse ferme de Dieu de ne point abandonner ses enfants, si ses enfants ne l’abandonnent pas.

La misère et le pardon

Le Seigneur s’est tellement rapproché de ses créatures, que nous avons tous gardé au cœur la soif des hauteurs, le désir de monter très haut, de pratiquer le bien. Je cherche à éveiller en toi ces aspirations, parce que je veux que tu sois convaincu de l’assurance qu’il a mise dans ton âme. Si tu le laisses agir, tu serviras, là où tu te trouves, comme un instrument utile, avec une efficacité insoupçonnée. Mais, pour ne pas avoir la lâcheté de te dérober à cette confiance que le Seigneur a mise en toi, tu dois éviter la fatuité de sous-estimer naïvement les difficultés qui se présenteront sur ton chemin de chrétien.

Nous ne devons pas nous en étonner. Nous traînons à l’intérieur de nous-mêmes, comme une conséquence de notre nature déchue, un principe d’opposition, de résistance à la grâce : ce sont les blessures du péché originel, que nos péchés personnels viennent raviver. Nous devons donc entreprendre ces ascensions, ces tâches divines et humaines (celles de tous les jours), qui débouchent toujours sur l’Amour de Dieu, avec humilité, d’un cœur contrit, confiants dans l’assistance divine, et en y consacrant nos meilleurs efforts, comme si tout ne dépendait que de nous-mêmes.

Tant que tu luttes, d’une lutte qui durera jusqu’à ta mort, n’exclue pas de voir se dresser avec violence les ennemis du dehors et du dedans. Et de plus, comme si ce fardeau ne suffisait pas, à certains moments tes erreurs passées, abondantes peut-être, vont se presser dans ton esprit. Au nom de Dieu, je te le dis : ne désespère pas. Quand tu te trouveras dans cette situation, qui n’arrivera pas forcément, ni habituellement, profites-en pour t’unir davantage au Seigneur, car lui, qui t’a choisi pour enfant, ne t’abandonne pas. Il permet cette épreuve pour que tu aimes davantage et pour que tu découvres avec plus de clarté sa protection continuelle, son Amour.

Courage, j’insiste. Le Christ, qui nous a pardonné sur la Croix, continue de nous offrir son pardon dans le sacrement de la Pénitence, et à tout moment nous avons comme avocat auprès du Père Jésus-Christ, le Juste. C’est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier, afin que nous remportions la victoire.

Quoi qu’il arrive, en avant ! Serre avec force le bras du Seigneur et considère que Dieu ne perd point de bataille. Si, pour un motif quelconque, tu t’éloignes de lui, réagis avec humilité, commence et recommence, conduis-toi en fils prodigue tous les jours et même à plusieurs reprises au long d’une même journée. Redresse ton cœur contrit dans la confession, qui est un authentique miracle de l’Amour de Dieu. Le Seigneur lave ton âme dans ce sacrement merveilleux ; il t’inonde de joie et de force pour que tu ne défailles pas dans ta lutte, et pour que tu reviennes inlassablement à Dieu, quand bien même tout te semblerait obscur. De plus la Mère de Dieu, qui est aussi notre Mère, te protège avec une sollicitude toute maternelle, t’affermit sur ton chemin.

Dieu ne se lasse pas de pardonner

La Sainte Écriture nous met en garde : même le juste tombe sept fois. Chaque fois que j’ai lu ces paroles, mon âme a été secouée d’un fort tressaillement d’amour et de douleur. Une fois de plus, par ce divin rappel, le Seigneur vient à notre rencontre. Il nous parle de sa miséricorde, de sa tendresse, de sa clémence sans limite. Soyez-en convaincus : le Seigneur ne veut pas nos misères, mais il ne les méconnaît pas pour autant, et il compte précisément sur ces faiblesses pour que nous devenions plus saints.

Une secousse d’Amour, vous disais-je. Je regarde ma vie et je vois, en toute sincérité, que je ne suis rien, que je ne vaux rien, que je n’ai rien, que je ne puis rien. Plus encore, que je suis le néant ! Mais lui est tout et, en même temps, il est à moi et je suis à lui, car il ne me rejette pas et il s’est livré pour moi. Avez-vous vu plus grand amour ?

Tressaillement de douleur aussi, car si j’examine ma conduite, je m’étonne de la masse de mes négligences. Il me suffit de faire un examen sur les quelques heures qui se sont écoulées depuis mon lever pour découvrir nombre de manques d’amour, de réponses fidèles. Mais mon comportement, s’il m’afflige véritablement, ne m’enlève pas la paix. Je me prosterne devant Dieu et lui expose avec clarté ma situation. Je reçois aussitôt l’assurance de son secours, et j’entends au fond de mon cœur qu’il me répète lentement : meus es tu. Je savais, et je sais, de quoi tu es fait. En avant !

Il n’en saurait aller autrement. Si nous nous mettons continuellement en présence du Seigneur, notre confiance grandira, car nous constaterons que son Amour et son appel demeurent actuels : Dieu ne se lasse pas de nous aimer. L’espérance nous démontre que, sans lui, nous ne parvenons même pas à réaliser le plus petit de nos devoirs ; et qu’avec lui, avec sa grâce, nos blessures cicatriseront, nous serons revêtus de sa force pour résister aux attaques de l’ennemi, et nous nous améliorerons. En conclusion, la conscience d’avoir été modelés dans de la vulgaire terre glaise, tout juste bonne pour une cruche grossière, doit nous servir surtout pour affermir notre espérance dans le Christ Jésus.

Habituez-vous à vous mêler aux personnages du Nouveau Testament. Savourez ces scènes émouvantes où le Maître procède avec des gestes divins et humains à la fois, ou bien expose avec des tournures, elles aussi humaines et divines, l’histoire sublime du pardon, qui est celle de son Amour ininterrompu pour ses enfants. Ces échos du Ciel se renouvellent aussi en ce moment dans la pérennité actuelle de l’Évangile : on perçoit, nous percevons, nous constatons, nous sommes en droit d’affirmer que nous touchons du doigt la protection divine, une aide de plus en plus forte, au fur et à mesure que nous avançons, malgré nos faux pas, au fur et à mesure que nous commençons et recommençons. C’est cela la vie intérieure vécue dans l’espérance en Dieu.

Sans cette volonté de surmonter les obstacles du dedans et du dehors, le prix ne nous sera pas accordé. L’athlète ne reçoit la couronne que s’il a lutté suivant les règles, et tout combat véritable, d’après les règles, nécessite un adversaire. Donc, s’il n’est pas d’adversaire, il n’y aura pas de couronne ; car il ne saurait y avoir de vainqueur sans un vaincu.

Loin de nous décourager, les contrariétés doivent être pour nous un aiguillon qui nous aide à grandir comme des chrétiens : c’est dans cette lutte que nous nous sanctifions et que notre travail apostolique gagne en efficacité. Méditons les moments où Jésus-Christ, au jardin des Oliviers, puis dans l’abandon et l’opprobre de la Croix, accepte et aime la Volonté du Père, tout en ressentant le poids gigantesque de la Passion. Nous en tirons la conviction que, pour imiter le Christ, pour être de bons disciples, il nous faut accueillir son conseil : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. C’est pourquoi j’aime demander à Jésus pour moi : Seigneur, aucun jour sans la croix ! Ainsi, avec la grâce divine, notre caractère se trempera, et nous servirons d’appui à notre Dieu, par delà nos misères personnelles.

Comprends-moi bien : si, en enfonçant un clou dans un mur, tu ne rencontrais pas de résistance, que pourrais-tu y suspendre ? Si nous ne nous fortifions pas, avec l’aide divine et au moyen du sacrifice, nous ne parviendrons pas à être des instruments du Seigneur. En revanche, si nous sommes décidés à profiter avec joie des contrariétés, par amour de Dieu, il ne nous en coûtera guère de nous exclamer avec les apôtres Jacques et Jean face aux difficultés et aux choses désagréables, face à ce qui est dur ou gênant : Nous le pouvons !

L’importance de la lutte

Je me dois de vous mettre en garde contre une embûche que Satan ne dédaigne pas d’utiliser — il ne prend pas de vacances, lui ! — pour nous arracher la paix. Parfois, peut-être, le doute s’insinue, et la tentation de penser que nous reculons lamentablement ou que nous n’avançons guère ; nous pouvons même en arriver à la conviction que, malgré toute notre obstination à nous améliorer, nous empirons. Je vous assure que, d’ordinaire, ce jugement pessimiste ne reflète qu’une illusion trompeuse, qu’il convient de rejeter. Il arrive souvent, dans ces cas-là, que l’âme est devenue plus attentive, la conscience plus fine, l’amour plus exigeant, ou bien que l’action de la grâce nous éclaire plus intensément, et qu’alors nombre de détails, qui dans la pénombre seraient passés inaperçus, nous sautent aux yeux. En tout état de cause nous devons prendre garde à ces inquiétudes, car, par cette lumière, le Seigneur nous demande plus d’humilité ou plus de générosité. Rappelez-vous que la Providence de Dieu nous conduit sans cesse et qu’elle ne lésine pas sur son secours, par des miracles prodigieux et par des miracles de moindre envergure, pour mener ses enfants de l’avant.

Militia est vita hominis super terram, et sicut dies mercenarii, dies eius, la vie de l’homme sur la terre est une vie de combat, et les jours de l’homme s’écoulent sous le fardeau du travail. Personne n’échappe à cette exigence, pas même les poltrons qui refusent de la comprendre : ils désertent les rangs du Christ et se démènent dans d’autres luttes pour satisfaire leur paresse, leur vanité, leurs ambitions mesquines ; ils vivent esclaves de leurs caprices.

La nécessité de lutter étant inhérente à la créature humaine, nous devons essayer d’accomplir nos obligations avec ténacité, en priant et en travaillant de bon gré, avec droiture d’intention et le regard tourné vers ce que Dieu veut. Nos désirs d’amour seront ainsi comblés, et nous progresserons sur notre chemin vers la sainteté, même si, au terme de chaque journée, nous constatons qu’il nous reste encore une grande distance à parcourir.

Chaque matin renouvelez sans réserve par un serviam ! – je te servirai, Seigneur ! – votre résolution de ne pas transiger, de ne point céder à la paresse ou à la négligence, d’affronter vos tâches avec davantage d’espérance et d’optimisme, bien persuadés que, s’il vous arrive d’être vaincus dans une escarmouche, vous pourrez sortir de l’ornière par un acte d’amour sincère.

La vertu de l’espérance consiste dans la certitude que Dieu nous gouverne par sa Toute-Puissance providente, qu’il nous donne tous les secours nécessaires. Elle évoque cette bonté continuelle du Seigneur pour les hommes, pour toi et pour moi, du Seigneur, toujours prêt à nous écouter, parce qu’il ne se lasse jamais d’écouter. Il s’intéresse à tes joies, à tes succès, à ton amour, et à tes embarras aussi, à tes douleurs, à tes échecs. C’est pourquoi tu ne dois pas espérer en lui seulement lorsque tu te heurteras à ta faiblesse : adresse-toi à ton Père du Ciel dans les circonstances favorables et dans les circonstances défavorables, en te réfugiant sous sa protection pleine de miséricorde. Alors la certitude de notre propre néant (car il ne faut pas une grande humilité pour reconnaître cette réalité : nous ne sommes qu’une multitude de zéros) se changera en une force irrésistible, car le Christ se trouvera à gauche de ce zéro qu’est notre moi. Et quel chiffre incommensurable il en résultera ! Nous pourrons alors dire : Le Seigneur est ma forteresse et mon refuge, de qui aurais-je crainte ?

Habituez-vous à voir Dieu derrière toute chose, à savoir qu’il nous attend toujours, qu’il nous contemple et nous demande justement de le suivre avec loyauté, sans abandonner la place qui nous revient en ce monde. Pour ne pas perdre sa divine compagnie nous devons marcher avec une vigilance affectueuse, avec une volonté sincère de lutter.

Cette lutte des enfants de Dieu ne doit pas être faite de tristes renoncements, d’obscures résignations ou de privations de joie : elle est la réaction de l’amoureux qui, au cœur du travail et du repos, au milieu des joies ou des souffrances, dirige sa pensée vers la personne aimée et affronte pour elle, de bon cœur, les différents problèmes. Dans notre cas, Dieu, j’insiste, ne perdant pas de batailles, nous serons déclarés vainqueurs avec lui. J’ai l’expérience que, si j’obéis fidèlement à ses appels, sur des prés d’herbe fraîche il me parque. Vers les eaux du repos il me mène. Il y refait mon âme. Il me guide par le juste chemin pour l’amour de son nom. Passerais-je un ravin de ténèbre, je ne crains aucun mal : près de moi ton bâton, ta houlette sont là qui me consolent.

Pour ces batailles de l’âme, la stratégie est souvent une question de temps et consiste à appliquer le remède adéquat avec patience, avec obstination. Faites davantage d’actes d’espérance. Encore une fois, vous connaîtrez des défaites, ou vous passerez par des hauts et des bas dans votre vie intérieure, que Dieu veuille bien les rendre imperceptibles ! Personne ne se trouve à l’abri de ces contretemps. Mais le Seigneur, qui est tout-puissant et miséricordieux, nous a accordé les moyens appropriés pour vaincre. Il ne nous reste qu’à les employer, ainsi que je le commentais tout à l‘heure, avec la résolution de commencer et de recommencer, à chaque instant s’il le fallait.

Recourez toutes les semaines, et chaque fois que vous en aurez besoin, sans pour autant donner prise aux scrupules, au saint sacrement de la Pénitence, au sacrement du pardon divin. Revêtus ainsi de la grâce, nous franchirons les montagnes et nous gravirons, sans nous arrêter, les pentes raides de notre devoir chrétien. Si nous utilisons vraiment ces ressources, si nous prions aussi le Seigneur de nous accorder une espérance qui grandisse de jour en jour, nous posséderons la joie contagieuse de ceux qui se savent enfants de Dieu : Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Optimisme donc ! Poussés par la force de l’espérance, nous lutterons pour effacer la tache visqueuse que propagent les semeurs de haine, et nous redécouvrirons le monde dans une perspective pleine de joie, car ce monde est sorti beau et propre des mains de Dieu. Et, si nous apprenons à nous repentir, c’est empreint de cette même beauté que nous le lui rendrons.

Le regard tourné vers le Ciel

Nous devons grandir en espérance, car nous nous affermirons alors dans la foi, qui est la véritable garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. Grandir dans cette espérance revient aussi à supplier le Seigneur d’accroître en nous sa charité, car on ne se confie pleinement qu’en ce qu’on aime de toutes ses forces. Or, il vaut la peine d’aimer le Seigneur. Vous avez observé comme moi que celui qui est amoureux s’abandonne avec confiance, dans une harmonie merveilleuse où les cœurs battent d’un seul et même amour. Qu’en sera-t-il donc de l’Amour de Dieu ? Ne savez-vous pas que le Christ est mort pour chacun de nous ? Oui, c’est pour notre cœur pauvre et petit que s’est consommé le sacrifice rédempteur de Jésus.

Le Seigneur nous parle souvent de la récompense qu’il a gagnée pour nous par sa Mort et sa Résurrection. Je vais vous préparer une place. Et quand je serai allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi, afin que, là où je suis, vous soyez, vous aussi. Le ciel est le terme de notre chemin terrestre. Jésus-Christ nous y a précédés et il y attend notre arrivée, dans la compagnie de la Sainte Vierge et de saint Joseph, que je vénère tant, et des anges.

Il y a toujours eu des hérétiques, même à l’âge apostolique, pour essayer d’arracher leur espérance aux chrétiens. Or, si l’on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment certains parmi nous peuvent-ils dire qu’il n’y a pas de résurrection des morts ! S’il n’y a pas de résurrection des morts, le Christ non plus n’est pas ressuscité. Alors notre prédication est vide, vide aussi votre foi… La divinité de notre chemin, Jésus, chemin, vérité et vie, est un gage ferme de ce qu'il débouche sur le bonheur éternel, si nous ne nous écartons pas de Lui.

Quelle merveille ce sera quand notre Père nous dira : C’est bien, serviteur bon et fidèle, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton Seigneur. Vivre dans l’espérance ! Voilà le prodige de l’âme contemplative. Nous vivons de Foi, d’Espérance, et d’Amour ; et l’Espérance nous rend puissants. Vous rappelez-vous saint Jean ? Je vous ai écrit, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Mauvais. Dieu nous presse : il en va de la jeunesse éternelle de l’Église et de celle de l’humanité tout entière. Tels le roi Midas, qui changeait en or tout ce qu’il touchait, vous pouvez transformer tout l’humain en divin.

Après la mort, ne l’oubliez jamais, l’Amour viendra à votre rencontre. Et dans l’Amour de Dieu vous trouverez par surcroît toutes les amours nobles que vous aurez connues sur terre. Le Seigneur a disposé que nous passions cette courte étape qu’est notre existence à travailler et, comme son Fils Premier-Né, en faisant le bien. C’est pourquoi nous devons nous tenir en éveil, à l’écoute des appels que saint Ignace d’Antioche percevait dans son âme à l’approche de l’heure de son martyre : viens au Père, reviens vers ton Père, il t’attend avec impatience.

Demandons à Notre Dame, Spes Nostra, de nous brûler du saint désir d’habiter tous ensemble dans la maison du Père. Rien ne pourra nous inquiéter, si nous nous décidons à bien ancrer dans notre cœur le désir de la vraie Patrie : le Seigneur nous guidera par sa grâce ; et, sous un vent favorable, il mènera notre barque vers un clair rivage.

Références à la Sainte Écriture
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