LE CHRIST ROI

L’année liturgique s’achève. Dans le Saint Sacrifice de l’Autel, nous renouvelons au Père l’offrande de la Victime, le Christ, qui est, comme nous le lirons dans quelques instants dans la Préface, Roi de sainteté et de grâce, Roi de justice, d’amour et de paix. En contemplant la Sainte Humanité de Notre Seigneur vous ressentez tous une immense joie en votre âme : un Roi avec un cœur de chair comme le nôtre ; l’auteur de l’univers et de chacune de ses créatures, qui n’impose pas sa domination mais mendie un peu d’amour en nous montrant en silence les plaies de ses mains.

Pourquoi tant de gens l’ignorent-ils ? Pourquoi entendons-nous encore cette dure clameur : nolumus hunc regnare super nos, nous ne voulons pas qu’il règne sur nous ? Il y a ainsi sur terre des millions d’hommes qui s’opposent à Jésus-Christ, ou plutôt à son ombre, car le Christ, ils ne le connaissent pas ; ils n’ont pas vu la beauté de son visage et ne savent rien de sa merveilleuse doctrine.

Ce triste spectacle me donne l’envie de réparer. En écoutant cette clameur incessante, faite d’actes abominables plus que de mots, je ne peux m’empêcher de crier très fort : opportet illum regnare, il faut qu’il règne.

L’opposition à Jésus-Christ

Beaucoup de gens ne peuvent supporter que règne le Christ ; ils s’opposent donc à lui de mille manières : dans les grands projets du monde comme dans les relations humaines et dans les coutumes, dans la science comme dans les arts, et même jusque dans la vie de l’Église ! Je ne parle pas, écrit saint Augustin, des dépravés qui blasphèment contre le Christ. En effet, peu blasphèment avec la bouche. En revanche nombreux sont ceux qui blasphèment par leur conduite.

L’expression même de Christ Roi gêne certains pour une question superficielle de terminologie, comme si le règne du Christ pouvait être confondu avec des slogans politiques, ou parce que le fait d’admettre la royauté du Seigneur les amènerait à reconnaître une loi. Ils ne tolèrent pas la loi, pas même celle du doux précepte de la charité. En effet, ils ne veulent pas s’approcher de l’amour de Dieu et leur ambition se limite à la satisfaction de leur égoïsme personnel.

Le Seigneur m’a poussé à répéter depuis longtemps ce cri silencieux : serviam ! je servirai. Qu’il augmente en nous cette soif de nous donner, de répondre avec fidélité à son appel divin, au milieu de la rue, avec naturel, sans apparat, sans bruit. Rendons-lui grâces du fond du cœur. Adressons-lui notre humble prière d’enfants. Notre langue et notre palais se rempliront alors de lait et de miel ; et ce sera pour nous un délice que de parler du Royaume de Dieu, royaume de liberté, de cette liberté qu’il nous à gagnée.

Le Christ, Seigneur du monde

Pensons un peu à ce Christ, à cet Enfant plein de grâce que nous avons vu naître à Bethléem. Il est le Seigneur du monde, et tous les êtres, aux cieux et sur la terre, ont été créés par lui ; il a réconcilié toutes choses avec le Père, rétablissant la paix entre le ciel et la terre, par son sang qu’il a versé sur la Croix. Aujourd’hui le Christ règne à la droite du Père. Aux disciples interdits qui contemplaient les nuages après l’Ascension du Seigneur, les deux anges vêtus de blanc affirment : hommes de Galilée, pourquoi regardez-vous le ciel ? Ce Jésus que vous avez vu monter au ciel reviendra de la même manière que vous venez de le voir monter.

Les rois règnent par lui. Mais, alors que les rois et les autorités humaines passent, le royaume du Christ durera toute l’éternité, car son royaume est un royaume éternel et sa domination demeure de génération en génération.

Le royaume du Christ n’est ni une façon de parler, ni une image de rhétorique. Le Christ vit, même en tant qu’homme, avec ce même corps qu’il a assumé dans l’Incarnation, qui est ressuscité après la Croix et qui subsiste, uni à son âme humaine, et glorifié dans la Personne du Verbe. Le Christ, Dieu et Homme véritable, vit et règne, et il est le Seigneur du monde. Lui seul maintient en vie tout ce qui existe.

Alors pourquoi n’apparaît-il pas maintenant dans toute sa gloire ? Parce que, bien qu’il soit dans le monde, son royaume n’est pas de ce monde, Jésus avait répondu à Pilate : Je suis Roi. Et je suis né pour cela, pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. Ceux qui attendaient du Messie un pouvoir temporel, visible, se trompaient : le royaume de Dieu n’est pas fait de nourriture et de boisson, mais de justice, de paix et de la joie de l’Esprit Saint.

Vérité et Justice, paix et joie en l’Esprit Saint : voilà le royaume du Christ, l’action divine qui sauve les hommes et qui culminera quand l’histoire s’achèvera et que le Seigneur, assis au plus haut des cieux, viendra pour juger définitivement les hommes.

Quand le Christ commence sa prédication sur la terre, Il ne propose pas de programme politique, mais il dit : faites pénitence, parce que le royaume des cieux est proche. Il charge ses disciples d’annoncer cette bonne nouvelle et leur apprend à demander dans la prière l’avènement du royaume. Voilà le Royaume de Dieu et sa justice. Voilà en quoi consiste une vie sainte et ce que nous devons rechercher en premier lieu, la seule chose qui soit vraiment nécessaire.

Le salut que prêche Notre Seigneur Jésus-Christ est un appel lancé à tous. Il en est comme d’un roi qui célébrait les noces de son fils et envoya ses serviteurs inviter les convives aux noces. Et le Seigneur nous révèle que le royaume des cieux est au milieu de nous.

On n’est jamais exclu du salut si l’on se soumet docilement aux exigences amoureuses du Christ, si l’on naît de nouveau, si l’on se fait semblable aux tout-petits, en toute simplicité d’esprit, si l’on écarte de son cœur ce qui l’éloigne de Dieu. Jésus ne veut pas seulement des paroles, il veut aussi des actes, et des efforts courageux, car seuls ceux qui luttent mériteront l’héritage éternel.

La perfection du royaume, le jugement définitif de salut ou de condamnation, ne sont pas de ce monde. Aujourd’hui, le royaume est comparable aux semailles, à la croissance du grain de sénevé. A la fin, il en sera comme du filet que l’on hâle sur la plage : on en sortira, pour leur faire connaître un sort différent, ceux qui ont accompli la justice et ceux qui ont commis l’iniquité. Mais, tant que nous vivons ici-bas, le royaume est semblable au levain que prit une femme et qu’elle mélangea à trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la masse ait fermenté.

Qui comprend ce qu’est ce royaume que le Christ propose, se rend compte qu’il vaut la peine de mettre tout en œuvre pour le conquérir : il est cette perle que le marchand acquiert en vendant tout ce qu’il possède ; il est le trésor trouvé dans un champ. Il est difficile de conquérir le royaume des cieux et personne n’est assuré d’y parvenir : seule l’humble clameur de l’homme repentant peut en ouvrir les portes à deux battants. Un des larrons crucifiés avec Jésus le supplie : Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume. Il lui répondit : En vérité, je te le dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.

Le royaume dans l’âme

Comme tu es grand, ô notre Seigneur et notre Dieu ! C’est toi qui donnes à notre vie un sens surnaturel et une efficacité divine. C’est grâce à toi que l’amour pour ton Fils nous fait répéter avec toute la force de notre être, avec notre âme et avec notre corps : opportet illum regnare ! alors même que retentit la complainte de notre faiblesse. Car, comme tu le sais, nous sommes des créatures (et quelles créatures !) dont non seulement les pieds, mais le cœur et la tête sont faits de glaise. Elevés au plan divin, nous vibrerons exclusivement pour toi.

Le Christ doit avant tout régner en notre âme. Mais que pourrions-nous lui répondre s’il nous demandait : et toi, comment me laisses-tu régner en toi ? Je lui répondrais que pour qu’il règne en moi, j’ai besoin de sa grâce en abondance. C’est le seul moyen pour que tout, le moindre battement de cœur, le moindre souffle, le moindre regard, le mot le plus anodin, la sensation la plus élémentaire se transforme en un hosanna à mon Christ Roi.

Si nous voulons que le Christ règne, nous devons agir en conséquence et commencer par lui faire don de notre cœur. Si nous n’agissions pas ainsi, parler de la royauté du Christ ne serait que clameur dépourvue de sens chrétien, que manifestation extérieure d’une foi qui n’existerait pas, qu’utilisation frauduleuse du nom de Dieu pour des transactions humaines.

Si la condition, pour que Jésus règne en ton âme et en la mienne, était qu’il trouve en nous une demeure digne, nous aurions de quoi nous désespérer. Mais sois sans crainte, fille de Sion : voici venir ton roi, monté sur le petit d’une ânesse. Voyez de quel pauvre animal Jésus se contente pour trône. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais personnellement cela ne m’humilie pas de me reconnaître âne aux yeux du Seigneur : j’étais une brute devant toi. Et moi, qui restais devant toi, tu m’as saisi par ma main droite, tu me conduis par le licol.

Rappelez-vous les traits caractéristiques de l’âne, non de ceux du vieil âne, têtu et rancunier qui se venge d’une ruade traîtresse, mais de ceux de l’âne jeune, aux oreilles dressées comme des antennes, austère dans sa nourriture, obstiné dans le travail, au trot allègre et décidé. Certes, il existe des centaines d’animaux plus beaux, plus habiles et plus cruels, mais c’est lui qu’a choisi le Christ pour se présenter en roi au peuple qui l’acclamait. Car Jésus n’a que faire de l’astuce calculatrice, de la cruauté des cœurs froids, de la beauté qui brille mais qui n’est qu’apparence. Notre Seigneur aime la joie d’un cœur jeune, la démarche simple, la voix bien posée, le regard limpide, l’oreille attentive à sa parole affectueuse. C’est ainsi qu’il règne dans l’âme.

Régner en servant

Si nous laissons le Christ régner en notre âme nous ne dominerons pas les hommes, mais nous les servirons. Service. Comme j’aime ce mot ! Servir mon Roi et, pour lui, tous ceux que son sang a rachetés ! Si les chrétiens savaient servir ! Confions au Seigneur notre décision d’apprendre à accomplir cette mission de service, car ce n’est qu’ainsi que nous pourrons connaître le Christ et l’aimer. Le faire connaître et le faire aimer.

Comment le ferons-nous connaître ? D’abord par l’exemple. Rendons-lui témoignage en nous soumettant volontairement à lui dans toutes nos activités, car il est Seigneur de toute notre vie, car il est la raison unique, la raison dernière de notre existence. Ensuite, après avoir témoigné par notre exemple, nous serons en mesure de parler de sa doctrine afin de la transmettre. Le Christ n’a pas agi autrement. Cœpit facere et docere, il a d’abord enseigné par ses œuvres, puis par sa prédication divine.

Pour servir les autres par amour du Christ, nous devons être très humains. Si notre vie n’est pas humainement valable, Dieu ne bâtira rien en elle, car d’ordinaire il ne construit pas sur le désordre, sur l’égoïsme et sur la prétention. Nous devons comprendre tous les hommes, vivre en harmonie avec tous, les excuser tous, et pardonner à tous. Bien sûr, nous ne dirons pas que l’offense à Dieu n’est pas une offense ; nous n’appellerons pas juste ce qui est injuste, ni bien ce qui est mal. Nous ne répondrons pas au mal par un autre mal, mais par une doctrine claire et par des actions droites, noyant ainsi le mal dans une abondance de bien. Alors, le Christ régnera dans notre âme et dans celles de ceux qui nous entourent.

Certains essaient d’instaurer la paix dans le monde en oubliant de mettre l’amour de Dieu dans leur propre cœur et de servir les créatures par amour de Dieu. Comment une mission de paix peut-elle être réalisée de la sorte ? La paix du Christ est celle du royaume du Christ ; et le royaume de Notre Seigneur doit se fonder sur le désir de sainteté, sur l’humble disposition à recevoir la grâce, sur une noble action de justice et sur un débordement divin d’amour.

Le Christ au sommet des activités humaines

C’est possible. Ce n’est pas un vain rêve ! Si seulement les hommes se décidaient à abriter l’amour de Dieu en leur cœur ! Le Christ Notre Seigneur a été crucifié et, du haut de la Croix, il a racheté le monde en rétablissant la paix entre Dieu et les hommes. Jésus-Christ se souvient de tous : et ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum, si vous me placez au sommet de toutes les activités terrestres, c’est-à-dire si vous êtes mes témoins lorsque vous accomplissez votre devoir de chaque instant, grand ou petit, alors j’attirerai tout à moi, omnia traham ad meipsum, et mon royaume parmi vous deviendra une réalité.

Le Christ Notre Seigneur n’a jamais cessé de semer pour le salut des hommes, pour celui de la création tout entière, pour celui de notre monde, qui est bon parce qu’il est né bon des mains de Dieu. C’est l’offense d’Adam, c’est le péché d’orgueil de l’homme qui a brisé l’harmonie divine de la création.

Mais une fois venue la plénitude des temps, Dieu le Père a envoyé son Fils unique qui, par l’œuvre du Saint-Esprit, a pris chair en Marie toujours Vierge pour rétablir la paix afin que, rachetant l’homme du péché, adoptionem filiorum reciperemus, nous soyons constitués en enfants de Dieu, capables de participer à l’intimité divine ; pour qu’il soit ainsi donné à cet homme nouveau, à ce nouveau rameau des enfants de Dieu, de délivrer l’univers entier du désordre en rétablissant toutes choses dans le Christ, lui qui les a réconciliées avec Dieu.

Nous autres chrétiens avons été appelés pour cette tâche. Pour obtenir que le royaume du Christ devienne une réalité, pour qu’il n’y ait plus ni haine ni cruauté, et pour que nous répandions sur la terre le baume fort et pacifique de l’amour. Voilà notre tâche apostolique, voilà le zèle qui doit dévorer notre âme. Demandons aujourd’hui à notre Roi de nous faire collaborer humblement et avec ferveur au désir divin d’unir ce qui est brisé, de sauver ce qui est perdu, de rétablir l’ordre là ou l’homme l’a détruit, de guider vers son but celui qui sort du droit chemin et de rétablir la concorde dans la création tout entière.

Embrasser la foi chrétienne, c’est s’engager à poursuivre la mission de Jésus parmi les créatures. Chacun d’entre nous doit être alter Christus, ipse Christus, un autre Christ, le Christ lui-même. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons mener à bien cette vaste, cette immense entreprise qui n’aura jamais de fin : sanctifier de l’intérieur toutes les structures temporelles en y portant le ferment de la Rédemption.

Je ne parle jamais de politique. Je ne pense pas que la mission des chrétiens sur la terre soit de donner naissance à un mouvement politico-religieux, quand bien même ils le feraient avec l’excellente intention de répandre l’esprit du Christ dans toutes les activités humaines. Ce serait une folie. C’est le cœur de chacun, quel qu’il soit, qu’il faut mettre en Dieu. Efforçons-nous de nous adresser à chaque chrétien pour que, dans les circonstances où il se trouve, et qui ne dépendent pas seulement de sa position dans l’Église ou dans la société civile, mais aussi des situations historiques ou changeantes, il sache porter témoignage de la foi qu’il professe, par l’exemple et la parole.

Parce qu’il est homme, le chrétien vit de plain-pied dans le monde. S’il laisse le Christ régner en son cœur, il retrouvera la plénitude de l’efficacité salvatrice du Seigneur dans toutes ses activités humaines. Peu importe que cette activité soit prestigieuse ou modeste, comme on dit ; car ce qui est prestigieux pour les hommes peut être modeste aux yeux de Dieu, et ce que nous appelons humble ou modeste peut confiner aux sommets de la sainteté et du service chrétien.

La liberté personnelle

Lorsque, comme il en a le devoir, le chrétien travaille, il ne doit ni évincer ni faire fi des exigences propres à la nature. Si par bénir les activités humaines on entend les réduire à néant ou en diminuer l’efficacité, alors je me refuse à utiliser ces mots. En ce qui me concerne, je n’ai jamais aimé que les activités humaines courantes affichent, telle une enseigne postiche, un qualificatif confessionnel. Il me semble en effet, bien que je respecte l’opinion contraire, que c’est risquer d’utiliser inutilement le saint nom de notre foi, sans compter que l’étiquette de catholique a pu parfois justifier des attitudes et des opérations plutôt douteuses.

Parce que le monde et tout ce qu’il renferme, sauf le péché, est bon, étant l’œuvre de Dieu Notre Seigneur, le chrétien, au coude à coude avec tous ses concitoyens, doit se consacrer à tout ce qui est terrestre, en luttant sans relâche — de façon positive, avec amour — pour éviter les offenses à Dieu. Il doit défendre toutes les valeurs qui dérivent de la dignité de la personne.

Et s’il est une valeur qu’il devra toujours rechercher de façon spéciale, c’est bien la liberté personnelle. Ce n’est que dans la mesure où il défend la liberté individuelle des autres, avec la responsabilité personnelle correspondante, qu’il pourra défendre la sienne. C’est la seule attitude cohérente, sur le plan humain et chrétien. Je le répète — et je ne cesserai de le répéter : le Seigneur nous a octroyé gratuitement un grand don surnaturel, la grâce divine, et un merveilleux présent humain, la liberté personnelle qui, pour ne pas se corrompre ni se transformer en licence, exige de nous une intégrité et un ferme engagement de refléter dans notre conduite la loi divine, parce que là où est l’Esprit de Dieu, là se trouve la liberté.

Le Royaume du Christ est un royaume de liberté. Il ne contient que des esclaves qui se sont enchaînés, librement, par amour de Dieu. Servitude bénie ! Servitude d’amour qui nous libère ! Sans la liberté nous ne pouvons pas répondre à la grâce ; sans la liberté nous ne pouvons pas nous donner librement au Seigneur pour le plus surnaturel des motifs : parce que nous en avons envie.

Certains de ceux qui m’écoutent en ce moment me connaissent depuis de nombreuses années déjà et ils peuvent témoigner combien, pendant toute ma vie, j’ai prêché la liberté personnelle unie à la responsabilité individuelle. Je l’ai cherchée et je la cherche, de par toute la terre, comme Diogène cherchait un homme. Et je l’aime chaque jour davantage, plus que toute autre chose sur la terre, car c’est un trésor que nous n’apprécierons jamais assez.

Quand je parle de liberté personnelle, je n’en fais pas pour autant allusion à d’autres problèmes, peut-être très intéressants, mais qui ne relèvent pas de ma mission sacerdotale. Je sais que ce n’est pas à moi de parler des problèmes de l’heure, séculiers, qui relèvent du domaine temporel et civil, puisque le Seigneur a voulu laisser ces matières à la libre et sereine discussion des hommes. Je sais aussi que, s’il veut échapper aux factions, le prêtre ne doit ouvrir la bouche que pour mener les âmes à Dieu, à sa doctrine spirituelle de salut, aux sacrements institués par Jésus-Christ, et à la vie intérieure qui nous rapproche du Seigneur et fait de nous ses enfants et, par conséquent, les frères de tous les hommes sans exception.

Nous célébrons aujourd’hui la fête du Christ Roi. Je ne sors pas de ma fonction de prêtre en disant que si quelqu’un voyait dans le royaume du Christ un programme politique, c’est qu’il n’aurait pas compris le sens profond de la fin surnaturelle de la foi et serait à deux pas d’imposer aux consciences un fardeau qui n’est pas celui de Jésus, dont le joug est doux et le fardeau léger. Aimons vraiment tous les hommes et aimons le Christ par-dessus tout. Nous n’aurons alors pas d’autre solution que d’aimer la liberté légitime des autres et de vivre avec eux en bonne intelligence et en paix.

La sérénité des enfants de Dieu

Peut-être objecterez-vous que peu de gens veulent entendre cela et moins encore veulent le mettre en pratique. Il est évident que la liberté est une plante forte et saine qui s’acclimate mal aux pierres, aux épines et aux chemins battus par les gens. Cela avait été annoncé avant même la venue du Christ sur la terre.

Souvenez-vous du psaume 2 : Pourquoi ces nations en tumulte, ce vain grondement des peuples ? Les rois de la terre se lèvent, les princes conspirent contre Yahvé et son Oint. Vous voyez, il n’y a rien de nouveau. Ils s’opposaient au Christ avant même qu’il ne naisse ; ils s’opposaient à lui alors que ses pieds foulaient pacifiquement les sentiers de Palestine ; et maintenant encore ils le persécutent en attaquant les membres de son Corps, mystique et royal. Pourquoi tant de haine, pourquoi un tel acharnement contre la simplicité candide, pourquoi partout cet écrasement de la liberté de chaque conscience ?

Brisons ses entraves, faisons sauter son joug. Ils brisent le joug suave, ils rejettent son fardeau, merveilleux fardeau de sainteté et de justice, de grâce, d’amour et de paix. L’amour les met en rage et ils se moquent de la bonté d’un Dieu qui a la faiblesse de renoncer à utiliser ses légions d’anges pour se défendre. Si le Seigneur acceptait de transiger, de sacrifier quelques innocents pour faire plaisir à une majorité de coupables, alors ils pourraient bien essayer de s’entendre avec lui. Mais Dieu ne raisonne pas ainsi. En véritable Père, il est prêt à pardonner à des milliers d’hommes qui font le mal, pourvu qu’il y ait seulement dix justes. Ceux qui sont mûs par la haine ne peuvent comprendre cette miséricorde. L’impunité dont ils croient jouir sur la terre les pousse vers toujours plus d’injustice.

Celui qui siège dans les cieux s’en amuse, Yavhé les tourne en dérision. Puis dans sa colère il leur parle, dans sa fureur, il les frappe d’épouvante. Oh comme elle est légitime, la colère de Dieu, comme sa fureur est juste, et grande sa clémence !

C’est moi qui ai sacré mon roi sur Sion, ma sainte montagne. J’énoncerai le décret de Yahvé : il m’a dit : tu es mon fils, oui, aujourd’hui, je t’ai engendré. Dans sa miséricorde, Dieu le Père nous a donné son Fils pour Roi. Il s’attendrit en menaçant. Il annonce sa colère, mais nous donne son amour. Tu es mon fils : il s’adresse au Christ et il s’adresse à toi et à moi, si nous acceptons d’être alter Christus, ipse Christus.

Les mots sont impuissants à exprimer l’émotion qui étreint notre cœur devant la bonté de Dieu. Il nous dit : tu es mon fils. Non pas un étranger, ni un serviteur traité avec bienveillance, ni un ami, ce qui serait déjà beaucoup. Un fils ! Il nous permet de vivre envers lui la piété filiale et même, j’oserai l’affirmer, cette audace des fils auxquels leur Père ne peut rien refuser.

Beaucoup s’acharnent à se comporter de façon injuste ? C’est vrai, mais le Seigneur insiste : demande, et je te donnerai les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la terre ; tu les briseras avec un sceptre de fer, comme vases de potier tu les fracasseras. Ce ne sont pas des promesses sans importance : elles viennent de Dieu. Nous ne pouvons donc pas les passer sous silence. Ce n’est pas pour rien que le Christ est le Rédempteur du monde, et qu’il règne en souverain à la droite du Père. C’est l’annonce terrible de ce qui attend chacun d’entre nous quand la vie aura passé (car elle passe), et de ce qui nous attend tous quand l’histoire s’achèvera, si notre cœur s’endurcit dans le mal et le désespoir.

Bien qu’il puisse toujours vaincre, Dieu préfère néanmoins convaincre : et maintenant, rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre ! Servez Yahvé avec crainte, baisez ses pieds avec tremblement ; s’il entrait en colère, vous péririez : d’un coup prend feu sa colère. Le Christ est le Seigneur, le Roi. Et nous, nous vous annonçons la Bonne Nouvelle : la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur à nous, leurs enfants ; il a ressuscité Jésus. Ainsi est-il écrit au psaume deux : tu es mon Fils moi-même aujourd’hui je t’ai engendré…

Sachez-le donc, frères, c’est par lui que la rémission des péchés vous est annoncée. L’entière justification que vous n’avez pu obtenir par la Loi de Moïse, c’est par lui que quiconque croit l’obtient. Prenez donc garde que n’arrive ce qui est dit dans les prophètes : Regardez contempteurs, soyez dans la stupeur et disparaissez ! Parce que de vos jours je vais accomplir une œuvre que vous ne croiriez pas si on vous la racontait.

C’est l’œuvre du salut, le règne du Christ dans les âmes, la manifestation de la miséricorde de Dieu. Heureux qui s’abrite en lui. Nous, chrétiens, avons le droit d’exalter la royauté du Christ. En effet, bien que l’injustice abonde et que beaucoup ne désirent pas ce règne d’amour, l’œuvre du salut éternel se dessine peu à peu au milieu de ce théâtre du mal qu’est l’histoire humaine.

Anges de Dieu

Ego cogito cogitationes pacis et non afflictionis, mes pensées sont des pensées de paix et non de malheur, dit le Seigneur. Soyons des hommes de paix, des hommes de justice ; faisons le bien et le Seigneur ne sera pas pour nous juge, mais ami, frère et Amour.

Que les anges de Dieu nous accompagnent au long de notre route joyeuse sur la terre. Avant la naissance de notre Rédempteur, écrit saint Grégoire le Grand, nous avions perdu l’amitié des anges. La faute originelle et nos péchés quotidiens nous avaient éloignés de leur pureté lumineuse… Mais à partir du moment où nous avons reconnu notre Roi les anges nous ont reconnus pour concitoyens.

Et comme le Roi des cieux a voulu prendre notre chair terrestre, les anges ne s’éloignent plus de notre misère. Ils n’osent plus considérer comme inférieure à la leur cette nature qu’ils adorent et voient exaltée au-dessus d’eux en la personne du Roi des cieux ; et ils n’éprouvent plus de honte à considérer l’homme comme un compagnon.

Marie, la sainte Mère de notre Roi, la Reine de notre cœur, prend soin de nous comme elle seule sait le faire. Mère compatissante, trône de la grâce, nous te demandons de nous apprendre à composer, avec notre vie et avec la vie de ceux qui nous entourent, vers après vers, le poème simple de la charité, quasi fluvium pacis, tel un fleuve de paix. Car tu est un océan de miséricorde inépuisable : les fleuves se jettent tous dans la mer et la mer ne se remplit pas.

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