LE TRIOMPHE DU CHRIST DANS L’HUMILITE

Lux fulgebit hodie super nos quia natus est nobis Dominus : une lumière brillera aujourd’hui sur nous, car le Seigneur nous est né. C’est la grande nouvelle qui émeut les chrétiens en ce jour et qui s’adresse, par eux, à l’humanité tout entière. Dieu est là. Cette vérité doit remplir nos vies : chaque fête de Noël doit être pour nous une nouvelle rencontre toute spéciale avec Dieu, et nous devons faire en sorte que sa lumière et sa grâce pénètrent jusqu’au fond de notre âme.

Arrêtons-nous devant l’Enfant, Marie et Joseph ; nous sommes là à contempler le Fils de Dieu revêtu de notre chair. Il me revient maintenant à l’esprit le voyage que j’ai fait à Lorette pour visiter la sainte maison, le 15 août 1951, pour une raison qui m’était chère. J’y ai célébré la messe. Je voulais la dire avec recueillement, mais je ne m’attendais pas à la ferveur de la foule. Je n’avais pas prévu que, en ce jour de grande fête, beaucoup de gens des alentours accourraient à Lorette, avec la foi bénie de cette région et l’amour que l’on y porte à la Madonna. Leur piété les poussait à des manifestations un tant soit peu inopportunes, si l’on s’en tient — comment dirais-je ? — au strict point de vue des rites liturgiques.

C’est ainsi que, lorsque je baisais l’autel, aux moments où les rubriques de la messe le prescrivent, trois ou quatre paysannes le baisaient en même temps. J’en fus distrait, mais cela me toucha. Mon attention fut également attirée par la pensée que dans cette sainte maison — où, assure la tradition, vécurent Jésus, Marie et Joseph —sur la table d’autel, sont gravés ces mots : Hic Verbum caro factumest. Là, dans une maison construite de main d’homme, sur un morceau de la terre où nous vivons, Dieu a habité.

Jésus-Christ, Dieu parfait et homme parfait

Le Fils de Dieu s’est fait chair et il est perfectus Deus, perfectus homo, Dieu parfait et homme parfait. Il y a dans ce mystère quelque chose qui devrait émouvoir les chrétiens. J’en fus et j’en demeure ému : j’aimerais retourner à Lorette. J’y vais, par la pensée, revivre les années d’enfance de Jésus, en répétant et en considérant que hic Verbum caro factum est.

Iesus Christus, Deus Homo, Jésus-Christ Dieu-Homme. C’est là une des magnalia Dei, une des merveilles de Dieu, que nous devons méditer et dont nous devons remercier ce Seigneur qui est venu apporter la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, et à tous les hommes qui veulent unir leur volonté à la Volonté suprêmement bonne de Dieu : pas seulement aux riches et aux pauvres mais à tous les hommes, à tous nos frères ! car nous sommes tous frères en Jésus, fils de Dieu, frères du Christ : sa Mère est notre Mère.

Il n’y a qu’une seule race sur la terre : la race des enfants de Dieu. Nous devons tous parler la même langue, celle que nous apprend notre Père qui est aux cieux : la langue du dialogue de Jésus avec son Père, la langue que l’on parle avec le cœur et avec la tête, celle dont vous vous servez en ce moment dans votre prière. C’est la langue des âmes contemplatives, celle des hommes qui ont une vie spirituelle, parce qu’ils se sont rendu compte de leur filiation divine. C’est une langue qui se caractérise par mille motions de la volonté, par des lumières dans l’intelligence, par des élans du cœur, par des décisions de mener une vie droite dans le bien, la sérénité et la paix.

Il nous faut regarder l’Enfant, notre Amour, dans son berceau. Et il nous faut le regarder en nous sachant devant un mystère. Nous devons, par la foi, accepter ce mystère et, par la foi également, en approfondir le contenu. Et pour cela, nous avons besoin des dispositions d’humilité d’une âme chrétienne — ne pas vouloir réduire la grandeur de Dieu à nos pauvres concepts, à nos explications humaines, mais comprendre que ce mystère, dans son obscurité, est une lumière qui guide la vie des hommes.

Nous voyons, dit saint Jean Chrysostome, que Jésus est issu de nous et de notre substance humaine, et qu’il est né d’une Mère vierge : mais nous ne comprenons pas comment ce prodige a pu se réaliser. Ne nous fatiguons pas à essayer de le découvrir, mais acceptons plutôt avec humilité ce que Dieu nous a révélé, sans scruter avec curiosité ce que Dieu nous tient caché. Si nous observons cette attitude de respect, nous saurons comprendre et aimer ; et le mystère deviendra pour nous un magnifique enseignement, plus convaincant que tous les raisonnements humains.

Le sens divin du cheminement de Jésus sur la terre

J’ai toujours essayé, en parlant devant la crèche, de contempler le Christ Notre Seigneur enveloppé de langes, sur la paille d’une mangeoire ; et lorsqu’il est encore enfant et ne parle pas encore, de voir en lui le Docteur et le Maître. J’ai besoin de Le considérer ainsi, car je dois L’écouter. Et pour écouter ce qu’il a à me dire, il me faut m’efforcer de connaître sa vie : lire le Saint Evangile, méditer ces scènes que le Nouveau Testament nous rapporte, afin de pénétrer le sens divin du cheminement de Jésus sur la terre.

Nous devons, en effet, reproduire en nous le Christ vivant, en connaissant le Christ, à force de lire la Sainte Ecriture et de la méditer, à force de prier, comme maintenant, devant la crèche. Il faut comprendre les leçons que nous donne Jésus dès son enfance, dès sa naissance, dès que ses yeux s’ouvrent sur la terre bénie des hommes.

En grandissant et en vivant comme l’un d’entre nous, Jésus nous révèle que l’existence humaine, nos occupations courantes et ordinaires, ont un sens divin. Même si nous avons largement médité ces vérités, nous devons toujours admirer ces trente années de vie obscure qui constituent la plus grande partie de la vie de Jésus parmi ses frères les hommes. Années obscures, mais, pour nous, claires comme la lumière du soleil. Ou mieux, splendeur qui illumine nos journées et leur donne leur véritable dimension, puisque nous sommes des chrétiens courants, qui menons une vie ordinaire, semblable à celle de millions de gens dans les coins les plus divers du monde.

C’est ainsi que vécut Jésus durant trente ans : il était fabri filius, le fils du charpentier. Viendront ensuite les trois années de vie publique, avec les cris des foules. Les gens s’étonnent : qui est cet homme ? Où a-t-il appris tant de choses ? Car sa vie avait été celle de tous dans son village natal. C’était le faber, filius Mariæ le charpentier, le fils de Marie. Et c’était Dieu, et voici qu’il réalisait la Rédemption du genre humain, en attirant toute chose à lui.

Comme pour tous les autres événements de la vie de Jésus, jamais nous ne devrions considérer ces années cachées sans nous sentir concernés, sans les reconnaître pour ce qu’elles sont : des appels que nous adresse le Seigneur pour que nous sortions de notre égoïsme, de notre confort. Le Seigneur connaît nos limites, notre attachement à nous-mêmes et à nos ambitions ; il connaît la difficulté que nous avons à nous oublier nous-mêmes et à nous donner aux autres. Il sait ce que c’est que de ne pas rencontrer d’affection, de constater que ceux-là mêmes qui prétendent vous suivre, ne le font qu’à moitié. Souvenons-nous de ces tristes scènes que nous décrivent les évangélistes où nous voyons les apôtres encore pleins d’aspirations temporelles et de projets purement humains. Mais Jésus les a choisis ; il les garde près de lui et leur confie la mission qu’il avait reçue du Père.

Nous aussi, il nous appelle, et nous demande, comme à Jacques et à Jean : potestis bibere calicem quam ego bibiturus sum ? : pouvez-vous boire le calice que je vais boire — ce calice du don absolu à l’accomplissement de la volonté du Père ? — Possumus ! ; oui, nous le pouvons ! Voilà la réponse de Jean et de Jacques. Vous et moi sommes-nous sérieusement disposés à accomplir, en toute chose, la volonté de Dieu notre Père ? Avons-nous donné au Seigneur tout notre cœur, ou continuons-nous à être attachés à nous-mêmes, à nos intérêts, à notre confort, à notre amour-propre ? N’y aurait-il pas en nous quelque chose qui ne serait pas en accord avec notre condition de chrétien et qui nous empêcherait de nous purifier ? C’est pour nous l’occasion de rectifier tout cela aujourd’hui.

D’abord il nous faut nous convaincre que c’est Jésus en personne qui nous pose ces questions : c’est lui qui les formule, et pas moi. Je n’oserais même pas me les poser à moi-même. Mais je continue ma prière à voix haute, tandis que vous, que chacun d’entre vous, confesse intérieurement au Seigneur : “Seigneur, comme je vaux peu de chose ! Comme j’ai été lâche, tant de fois ! Que d’erreurs, en cette occasion-ci, en celle-là, ici et là !” Et nous pouvons aussi nous exclamer : “Heureusement, Seigneur, que tu m’as soutenu de ta main, car moi, je me sens capable de toutes les infamies. Ne me lâche pas, ne m’abandonne pas, traite-moi toujours comme un enfant. Fais que je sois fort, courageux, constant. Mais aide-moi comme on aide un enfant sans expérience ; conduis-moi par la main, Seigneur, et fais que ta mère soit aussi à mes côtés pour me protéger. Et ainsi, possumus !, nous pourrons, nous serons capables de te prendre pour modèle.

Ce n’est pas présomption de notre part que d’affirmer ce possumus. Jésus-Christ nous apprend ce chemin divin et nous demande de l’entreprendre, car il l’a rendu humain et accessible à notre faiblesse. C’est pourquoi, il s’est tellement humilié. Voilà la raison pour laquelle il s’est abaissé, en prenant forme d’esclave, ce Seigneur qui, en tant que Dieu, était égal au Père ; mais il s’est abaissé en majesté et en puissance, non en bonté et en miséricorde.

La bonté de Dieu veut nous rendre le chemin facile. Ne repoussons pas l’invitation de Jésus. Ne lui disons pas non, ne soyons pas sourds à son appel : en effet, il n’y a pas d’excuse, nous n’avons pas de raison de continuer à penser que nous ne pouvons pas. Il nous a montré le chemin par son exemple. Je vous le demande donc avec insistance, mes frères : ne permettez pas que ce soit en vain que l’on vous ait montré un modèle si précieux, mais conformez-vous à lui et renouvelez-vous au plus profond de votre âme.

Il est passé sur terre en faisant le bien

Voyez-vous comme il est nécessaire de connaître Jésus, d’observer sa vie avec amour ? Bien souvent je suis allé chercher la définition, la biographie de Jésus dans l’Ecriture. Et je l’ai trouvée en lisant ce que dit en deux mots l’Esprit Saint : pertransiit benefaciendo. Toutes les journées de Jésus-Christ sur la terre, de sa naissance à sa mort, se résument en ceci : pertransiit benefaciendo, il les a remplies en faisant le bien. Et ailleurs, l’Ecriture observe : bene omnia fecit : il a bien fait tout, il a bien achevé toute chose, il n’a rien fait d’autre que du bien.

Mais, toi et moi, où en sommes-nous ? D’un coup d’œil voyons si nous n’avons pas quelque chose à rectifier. Pour ma part, je trouve en moi beaucoup à reprendre. Etant donné que je me vois incapable de faire le bien tout seul, et que Jésus lui-même nous a dit que sans lui nous ne pouvons rien faire, nous allons, toi et moi, implorer l’assistance du Seigneur, par l’intercession de sa Mère, dans ces conversations intimes, propres aux âmes qui s’expriment en fonction de leurs besoins. Au moment même où je vous donne ces conseils, intérieurement et sans bruit de paroles, je me les applique personnellement, en pensant à mes propres faiblesses.

Pertransiit benefaciendo. Qu’a fait Jésus pour répandre tant de bien, et seulement du bien, partout où il est passé ? Les Saints Evangiles nous ont transmis une autre biographie de Jésus, résumée en trois mots latins, qui nous donnent la réponse : erat subditus illis, il obéissait. Alors qu’aujourd’hui le climat est à la désobéissance, à la protestation, à la désunion, il nous faut estimer spécialement l’obéissance.

Je suis très attaché à la liberté, et c’est précisément pour cela que j’aime tant cette vertu chrétienne. Nous devons nous sentir enfants de Dieu et vivre avec le désir d’accomplir la volonté de notre Père ; réaliser les choses en fonction du vouloir de Dieu, parce que nous en avons envie — la raison la plus surnaturelle qui soit.

L’esprit de l’Opus Dei, esprit que je m’efforce de pratiquer et d’enseigner depuis plus de trente-cinq ans, m’a fait comprendre et aimer la liberté personnelle. Lorsque Dieu Notre Seigneur accorde sa grâce aux hommes, lorsqu’il les appelle à une vocation spécifique, c’est comme s’il leur tendait la main, une main paternelle, pleine de force et, surtout, remplie d’amour ; en effet, il vient nous chercher un par un, en nous considérant comme ses filles et ses fils, et il connaît notre faiblesse. Le Seigneur attend que nous fassions l’effort de prendre sa main, cette main qu’il met à notre portée : Dieu nous demande un effort, effort qui est la preuve de notre liberté. Et pour pouvoir le réaliser nous devons être humbles, nous devons nous considérer comme des petits enfants et aimer l’obéissance bénie avec laquelle nous répondons à la paternité bénie de Dieu.

Il convient que nous laissions le Seigneur s’introduire dans nos vies, y entrer avec confiance, sans y rencontrer d’obstacles ni de détours. Nous autres hommes, nous avons tendance “à nous défendre”, à nous attacher à notre égoïsme. Nous essayons toujours d’être des rois, même si ce n’est que du royaume de notre misère. Que cette considération vous aide à comprendre pourquoi nous avons besoin de recourir à Jésus : pour qu’il nous rende véritablement libres, et qu’ainsi nous puissions servir Dieu et tous les hommes. Ce n’est qu’alors que nous nous rendrons compte de la vérité de ces paroles de saint Paul : Mais aujourd’hui, libérés du péché et devenus esclaves de Dieu, vous avez pour fruit la sainteté et pour fin la vie éternelle. Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus Notre Seigneur.

Soyons donc prévenus, car notre tendance à l’égoïsme ne meurt pas, et la tentation peut s’insinuer en nous de bien des manières. Dieu exige qu’en obéissant, nous exercions notre foi, car sa volonté ne se manifeste pas avec fracas. Il arrive en effet au Seigneur de suggérer son vouloir comme à voix basse, tout au fond de la conscience : il faut alors l’écouter avec attention, pour percevoir cette voix et lui être fidèles.

Mais, bien souvent, il nous parle à travers les autres, et il peut arriver qu’en voyant leurs défauts, ou en nous demandant s’ils sont bien informés, s’ils ont bien compris toutes les données du problème, nous nous sentions autorisés à ne pas obéir.

Or il y a peut-être une raison divine à cela, car Dieu ne nous force pas à obéir aveuglément. Il attend de nous au contraire une obéissance intelligente, et nous devons ressentir la responsabilité d’aider les autres avec la lumière de notre intelligence. Mais soyons sincères envers nous-mêmes: examinons, dans chaque cas, si c’est l’amour de la vérité qui nous pousse, ou si c’est l’égoïsme et l’attachement à notre propre jugement. Lorsque nos idées nous séparent des autres, lorsqu’elles nous amènent à rompre la communion, l’unité avec nos frères, c’est bien là le signe que nous n’agissons pas selon l’esprit de Dieu.

Ne l’oublions pas : pour obéir, je le répète, il faut l’humilité. Considérons de nouveau l’exemple du Christ : Jésus obéit et il obéit à Joseph et à Marie. Dieu est venu sur terre pour obéir, pour obéir aux créatures. Certes ce sont deux créatures très parfaites : sainte Marie, notre Mère — au-dessus d’elle, il n’y a que Dieu — et l’homme très chaste qu’est Joseph. Mais ce sont des créatures. Et Jésus, qui est Dieu, leur obéissait. Il nous faut aimer Dieu, afin d’aimer sa volonté, et d’avoir le désir de répondre aux appels qu’il nous adresse à travers les obligations de notre vie courante : dans notre devoir d’état, dans notre profession, dans notre travail, dans notre famille, dans nos relations sociales, dans nos propres souffrances et dans celles des autres, dans l’amitié, dans notre désir de réaliser ce qui est bon et juste.

Lorsque Noël arrive, j’aime contempler les représentations de l’enfant Jésus. Ces images qui nous montrent l’anéantissement du Seigneur, me rappellent que Dieu nous appelle, que le Tout-Puissant a voulu se présenter démuni, qu’il a voulu avoir besoin des hommes. Dès le berceau de Bethléem, le Christ me dit, et te dit, qu’il a besoin de nous ; il nous invite à mener une vie chrétienne, sans compromission, une vie de générosité, de travail, de joie.

Jamais nous n’obtiendrons la véritable bonne humeur si nous n’imitons pas vraiment Jésus ; si nous ne sommes pas humbles comme lui. J’insiste à nouveau : avez-vous vu où se cache la grandeur de Dieu ? Dans une étable, dans les langes, dans une grotte. L’efficacité rédemptrice de nos vies ne peut s’exercer qu’avec humilité, parce qu’alors, nous cessons de penser à nous-mêmes et nous sentons que nous avons le devoir d’aider les autres.

Il arrive couramment que même des âmes bonnes se créent des problèmes personnels, qui peuvent déboucher sur des préoccupations sérieuses, mais qui manquent entièrement de base objective. Ces problèmes ont leur origine dans un manque de connaissance de soi, qui conduit à l’orgueil : désir de devenir le centre de l’attention et de l’estime de tous, souci de faire bonne figure, résistance à faire le bien en passant inaperçu, préoccupation pour la sécurité personnelle. C’est ainsi que beaucoup d’âmes qui pourraient goûter une joie immense, deviennent, par orgueil et présomption, malheureuses et stériles.

Le Christ fut humble de cœur. Tout au long de sa vie, il ne voulut aucune faveur, aucun privilège. Il commença par rester neuf mois dans le sein de sa Mère, comme tous les hommes, de la façon la plus naturelle qui soit. Le Seigneur savait trop bien que l’humanité avait un immense besoin de lui. Il aspirait donc à venir sur terre pour sauver les âmes ; mais il n’a pas précipité pas les choses. Il est venu à son heure, comme viennent au monde les autres hommes. De sa conception à sa naissance, personne — sauf saint Joseph et sainte Elisabeth — ne remarqua cette merveille : Dieu venant habiter parmi les hommes.

De plus, Noël est entouré d’une simplicité admirable : le Seigneur vient sans ostentation, inconnu de tous. Sur terre, seuls Marie et Joseph participent à l’aventure divine ; puis ces bergers, que préviennent les anges ; et plus tard, ces sages d’Orient. Ainsi se réalise l’événement transcendant où le ciel et la terre, Dieu et l’homme se réunissent.

Comment avons-nous le cœur assez dur pour nous habituer à ces scènes ? Dieu s’humilie pour que nous puissions nous approcher de lui, pour que nous puissions répondre à son amour par le nôtre, pour que notre liberté cède, non seulement devant le spectacle de son pouvoir, mais aussi devant la merveille de son humilité.

Grandeur d’un enfant qui est Dieu : son Père est le Dieu qui a fait le ciel et la terre, et lui le voilà dans une étable, quia non erat eis locus in diversorio, car il n’y avait pas d’autre endroit sur terre pour le maître de toute la création.

Il est venu accomplir la volonté de Dieu son Père

Je ne m’écarte pas de la vérité la plus rigoureuse, si je vous dis que, maintenant, Jésus continue à chercher une place dans notre cœur. Nous devons lui demander pardon pour notre aveuglement, pour notre ingratitude. Nous devons lui demander la grâce de ne jamais plus lui fermer notre âme.

Le Seigneur ne nous cache pas que cette obéissance soumise à la volonté de Dieu exige renoncement et générosité, car l’Amour ne demande pas de droits : ce qu’il veut, c’est servir. C’est le Seigneur qui, le premier, a parcouru ce chemin avec amour. Jésus, comment as-tu obéi ? Usque ad mortem, mortem autem crucis : jusqu’à la mort, et à la mort sur la croix. Il faut sortir de soi-même, se compliquer la vie, la perdre par amour de Dieu et des âmes. Voici que tu voulais vivre et tu voulais que rien ne t’arrive ; mais Dieu en a décidé autrement. Il y a deux volontés : la tienne doit être corrigée, pour s’identifier à la volonté de Dieu, et non pas celle de Dieu infléchie pour s’accommoder à la tienne.

J’ai vu avec joie beaucoup d’âmes risquer leur vie comme toi Seigneur, usque ad mortem —, pour accomplir ce que la volonté de Dieu leur demandait : elles ont mis leurs idéaux et leur travail professionnel au service de l’Eglise, pour le bien de tous les hommes.

Apprenons à obéir, apprenons à servir : il n’y a pas de plus grande dignité que de vouloir s’adonner volontairement au service des autres. Lorsque nous sentons bouillonner en nous l’orgueil, cette superbe qui nous fait voir en nous des surhommes, c’est alors qu’il faut dire non, dire que notre seul triomphe doit être celui de l’humilité. C’est ainsi que nous nous identifierons au Christ sur la Croix — non pas irrités, inquiets ou de mauvais gré, mais joyeux —, car cette joie dans l’oubli de soi-même est la meilleure preuve d’amour qui soit.

Permettez-moi de revenir au naturel, à la simplicité de la vie de Jésus, que je vous ai déjà fait considérer tant de fois. Ces années cachées de la vie du Seigneur ne sont pas sans signification ; elles ne sont pas non plus une simple préparation des années à venir, celles de sa vie publique. Depuis 1928, j’ai clairement compris que Dieu désire que les chrétiens prennent pour exemple la vie du Seigneur tout entière. J’ai compris tout spécialement sa vie cachée, sa vie de travail courant au milieu des hommes ; le Seigneur veut, en effet, que beaucoup d’âmes trouvent leur voie dans ces années de vie cachée et sans éclat. Obéir à la volonté de Dieu est toujours, par conséquent, sortir de son égoïsme ; mais cela ne doit pas se réduire essentiellement à s’éloigner des circonstances ordinaires de la vie des hommes, nos égaux par l’état, la profession, la situation dans la société.

Je rêve — et le rêve est devenu réalité — d’une foule d’enfants de Dieu en train de se sanctifier dans leur vie de citoyens ordinaires, de partager les soucis, les idéaux et les efforts des autres créatures. J’ai besoin de leur crier cette vérité divine : si vous demeurez au milieu du monde, ce n’est pas que Dieu vous ait oubliés, ce n’est pas que le Seigneur ne vous ait pas appelés. Mais il vous a invités à poursuivre votre route parmi les activités et les soucis de la terre ; car il vous a fait savoir que votre vocation humaine, votre profession, vos qualités, loin d’être étrangères à ses divins desseins, ont été sanctifiées comme une offrande très agréable au Père.

Rappeler à un chrétien que sa vie n’a d’autre sens que d’obéir à la volonté de Dieu, ce n’est pas le séparer des autres hommes. Au contraire, dans bien des cas, le commandement reçu du Seigneur est de nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, en vivant auprès des autres et comme les autres, en nous mettant au service du Seigneur dans le monde, pour faire mieux connaître l’amour de Dieu à toutes les âmes, pour leur dire que se sont ouverts des chemins divins sur la terre.

Le Seigneur ne s’est pas contenté de nous dire qu’il nous aimait, il nous l’a montré par ses œuvres. N’oublions pas que Jésus s’est incarné pour nous enseigner, pour que nous apprenions à vivre la vie des enfants de Dieu. Souvenez-vous de ce préambule de l’évangéliste saint Luc dans les Actes des Apôtres : primum quidem sermonem feci de omnibus, O Théophile, quæ cœpit Iesus facere et docere : je t’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et prêché de remarquable. Il est venu pour enseigner, mais en agissant. Il est venu enseigner, mais en tant que modèle, en tant que Maître, donnant l’exemple par sa conduite.

Maintenant, devant l’Enfant Jésus, nous pouvons continuer notre examen personnel : sommes-nous décidés à faire en sorte que notre vie serve de leçon aux hommes, nos frères et nos semblables ? Sommes-nous disposés à être d’autres Christ ? Il ne suffit pas de le dire avec des mots. Toi — je le demande à chacun d’entre vous et je me le demande à moi-même — toi qui, en tant que chrétien, est appelé à devenir un autre Christ, mérites-tu que l’on répète de toi que tu es venu facere et docere, faire les choses comme un fils de Dieu, attentif à la volonté de son Père, pour qu’ainsi tu puisses stimuler toutes les âmes à participer à tout ce qu’il y a de bon, de noble, de divin et d’humain dans la Rédemption ? Es-tu en train de vivre la vie du Christ, dans ta vie ordinaire au milieu du monde ?

Réaliser les œuvres de Dieu, ce n’est pas un joli jeu de mots, mais une invitation à se dépenser par Amour. Il faut mourir à soi-même, pour renaître à une vie nouvelle. Car c’est ainsi que Jésus a obéi jusqu’à la mort sur la Croix, mortem autem crucis. Propter quod et Deus exaltavit illum. Et c’est pourquoi Dieu l’a exalté. Si nous obéissons aux volontés de Dieu, la Croix sera, pour nous aussi, résurrection, exaltation. La vie du Christ s’accomplira en nous pas à pas : on pourra assurer que nous avons vécu en nous efforçant d’être de bons enfants de Dieu, que nous sommes passés sur la terre en faisant le bien, malgré notre faiblesse et nos erreurs personnelles, si nombreuses soient-elles.

Et lorsque viendra la mort — qui viendra inexorablement — nous l’attendrons, avec joie, comme j’ai vu tant de personnes saintes l’attendre, dans leur existence ordinaire. Avec joie, parce que, si nous avons imité le Christ en faisant le bien — en obéissant et en portant la croix malgré nos misères —, nous ressusciterons comme le Christ : surrexit Dominus vere, qui est vraiment ressuscité.

Jésus, qui s’est fait enfant – méditez bien cela – a vaincu la mort. Par son anéantissement, par sa simplicité, par son obéissance, par la divinisation de la vie courante et vulgaire des créatures, le Fils de Dieu s’est rendu vainqueur.

Voila quel a été le triomphe de Jésus-Christ. C’est ainsi qu’il nous a élevés à sa hauteur, celle des enfants de Dieu, en descendant à notre niveau, celui des enfants des hommes.

Références à la Sainte Écriture
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