LA LUTTE INTERIEURE

Comme toute fête chrétienne, celle que nous célébrons aujourd’hui est, avant tout, une fête de paix. Les Rameaux évoquent, par un symbolisme très ancien, une scène de la Genèse. Noë attendit encore sept jours, puis lâcha encore une fois la colombe ; celle-ci revint le soir, tenant dans son bec un rameau d’olivier. Ainsi Noë sut que les eaux ne recouvraient plus toute la terre. Nous commémorons, aujourd’hui, la confirmation et l’établissement dans le Christ de l’alliance entre Dieu et son peuple, parce qu’Il est notre paix.

Dans cette merveilleuse unité du “nouveau”, perpétuant le souvenir de “l’ancien”, qui caractérise la liturgie de notre sainte Église catholique, nous lisons, aujourd’hui, ces paroles de joie profonde : les enfants des Juifs, portant des rameaux d’olivier, allèrent à la rencontre du Seigneur en proclamant : gloire au plus haut des cieux.

L’acclamation adressée à Jésus s’unit, dans notre âme, à celle qui avait salué sa naissance à Bethléem. Sur le passage de Jésus, raconte saint Luc, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin ; déjà il s’approchait du Mont des Oliviers, et les disciples, transportés de joie, se mirent à louer Dieu d’une voix forte pour tous les miracles qu’ils avaient vus. Ils disaient : béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur, paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux.

Paix sur la terre

Paix dans le Ciel : pax in cœlo. Mais regardons aussi le monde : Pourquoi n’y a-t-il pas de paix sur la terre ? Non, il n’y a pas de paix ; il n’y a que des apparences de paix, un équilibre de la peur, des engagements fragiles. Il n’y a pas, non plus, de paix dans l’Église, traversée de tensions qui déchirent la blanche tunique de l’Épouse du Christ. Il n’y a pas de paix dans de nombreux cœurs, qui cherchent en vain à combler l’inquiétude de leur âme par un continuel affairement, par la mesquine satisfaction de posséder des biens qui ne rassasient pas, parce qu’ils laissent toujours un arrière-goût de tristesse.

Les feuilles de palmes, écrit saint Augustin, représentent une victoire. Le Seigneur s’apprête à vaincre en mourant sur la Croix. Il s’avance sous le signe de la Croix vers le triomphe remporté sur le diable, prince de la Mort. Le Christ est notre Paix, parce qu’il a vaincu, et il a vaincu parce qu’il a lutté, dans une rude bataille menée contre l’accumulation de méchanceté du cœur humain.

Le Christ, qui est notre Paix, est aussi le chemin. Si nous voulons posséder la paix, nous devons lui emboîter le pas. La paix est la conséquence de la guerre, de la lutte, de cette lutte ascétique, intime, que chaque chrétien doit soutenir contre tout ce qui, dans sa vie, ne vient pas de Dieu : contre l’orgueil, la sensualité, l’égoïsme, la superficialité, l’étroitesse de cœur. Il est inutile de réclamer à grands cris la tranquillité extérieure, si le calme fait défaut dans les consciences, au fond de l’âme, parce que c’est du cœur que procèdent mauvaises pensées, meurtres, adultères, débauches, faux témoignages, blasphèmes.

La lutte : un engagement d’amour et de justice

Ce langage n’est-il pas devenu désuet ? Ou plutôt ne l’avons-nous pas modifié selon les circonstances en l’adaptant à notre faiblesse personnelle, que nous avons dissimulée sous un langage pseudo-scientifique ? N’y a-t-il pas accord tacite pour affirmer que les vrais biens sont : l’argent, qui permet de tout acheter ; le pouvoir temporel ; l’astuce qui permet de demeurer haut-placé ; la sagesse humaine soit-disant adulte, qui pense avoir “dépassé” le sacré.

Nous qui sommes chrétiens, nous avons un désir d’amour que nous avons librement accepté, en réponse à l’appel de la grâce divine : une obligation qui nous incite à nous battre avec ténacité, parce que nous savons que nous sommes aussi faibles que les autres hommes. Mais, en même temps, nous ne pouvons pas oublier que, si nous y mettons les moyens, nous serons le sel, la lumière et le levain du monde : nous serons la consolation de Dieu.

Notre volonté de poursuivre, avec opiniâtreté, cet objectif d’amour est aussi un devoir de justice, et cette exigence se traduit pour vous, comme pour tous les fidèles, par une bataille continuelle. Toute la tradition de l’Église a qualifié les chrétiens de milites Christi, de soldats du Christ. Des soldats qui communiquent la sérénité aux autres, tout en combattant continuellement contre leurs mauvaises inclinations personnelles. Parfois, par manque de sens surnaturel, par une incrédulité pratique, on repousse l’idée que la vie sur terre est un combat. On insinue avec malice que, si nous nous prenons pour des soldats du Christ, nous courons le risque d’utiliser la foi dans des buts temporels de violence et sectaires. Cette façon de penser est une triste simplification, peu logique, et trop souvent inspirée par la commodité et la lâcheté.

Rien n’est plus éloigné de la foi chrétienne que le fanatisme, qui apparaît dans les étranges unions, sous quelque bannière que ce soit, du profane et du spirituel. Ce danger n’existe pas si la lutte est comprise comme le Christ nous l’a enseigné : une lutte personnelle contre soi-même, accompagnée de l’effort, sans cesse renouvelé, pour aimer Dieu davantage, pour déraciner l’égoïsme, pour servir tous les hommes. Renoncer à ce contenu, sous n’importe quel prétexte, c’est se déclarer battu d’avance, annihilé, sans foi, c’est accepter d’avoir l’âme déchue, perdue dans de mesquines complaisances. Pour le chrétien, le combat spirituel, sous le regard de Dieu et de tous ses frères dans la foi, est une nécessité, une conséquence de sa condition. C’est pourquoi, si quelqu’un ne lutte pas, il trahit Jésus-Christ et, avec lui, tout son Corps Mystique, qui est l’Église.

Lutte incessante

La lutte du chrétien est incessante, parce que la vie intérieure c’est perpétuellement commencer et recommencer, afin d’éviter que notre orgueil ne nous fasse imaginer que nous sommes déjà parfaits. Il est inévitable que notre chemin comporte beaucoup de difficultés ; si nous ne rencontrions pas d’obstacles, nous ne serions pas des créatures de chair et d’os. Nous aurons toujours des passions qui nous attirent vers le bas, et nous devrons toujours nous garder de ces folies plus ou moins véhémentes.

Nous ne devrions pas être surpris, quand nous sentons dans notre corps et dans notre âme l’aiguillon de l’orgueil, de la sensualité, de l’envie, de la paresse, du désir de dominer les autres. C’est un mal fort ancien, systématiquement confirmé par notre expérience personnelle. C’est le point de départ et le cadre habituel de notre course victorieuse vers la maison du Père, de notre lutte. C’est pourquoi saint Paul nous enseigne : Je cours, moi, non à l’aventure ; c’est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide. Je meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage, de peur qu’après avoir servi de héraut pour les autres, je ne sois moi-même disqualifié.

Le chrétien ne doit pas attendre, pour entamer et poursuivre cette lutte, de percevoir des signes extérieurs ou d’éprouver des sentiments favorables. La vie intérieure n’est pas affaire de sentiment, mais de grâce divine et de volonté : d’amour, en un mot. Tous les disciples furent capables de suivre Jésus le jour de son triomphe à Jérusalem, mais presque tous l’abandonnèrent à l’heure de l’opprobre de la Croix.

Pour aimer véritablement, il est nécessaire d’être fort, loyal, d’avoir le cœur fermement ancré dans la foi, dans l’espérance et dans la charité. C’est le propre de la frivolité, au contraire, que de changer capricieusement l’objet de ses amours, qui ne sont d’ailleurs pas des amours, mais des satisfactions égoïstes. Qui dit amour dit constance, intégrité : capacité de se donner, de se sacrifier, de renoncer à soi-même ; et c’est dans ce don de soi, dans ce sacrifice et ce renoncement, que l’on trouve la souffrance, la contradiction, mais aussi le bonheur et la joie. Une joie que rien ni personne ne pourra nous enlever.

Dans ce tournoi d’amour, nous ne devons pas nous attrister des chutes, même des chutes graves, si nous nous approchons de Dieu, dans le sacrement de pénitence, repentis et avec le désir de nous corriger. Le chrétien n’est pas un maniaque qui collectionne des états de services irréprochables. Jésus-Christ Notre Seigneur, si ému de l’innocence et de la fidélité de Jean, est aussi attendri par le repentir de Pierre, après sa chute. Jésus comprend nos faiblesses et nous attire à lui, comme par un plan incliné, en nous demandant de savoir persévérer dans notre effort pour monter un peu, jour après jour. Il nous cherche comme il a cherché les deux disciples d’Emmaüs, en allant à leur rencontre ; comme il a cherché Thomas pour lui faire toucher, avec ses doigts, les plaies ouvertes de ses mains et de son côté. Jésus vit continuellement dans l’espoir que nous nous tournions vers lui, précisément parce qu’il connaît notre faiblesse.

La lutte intérieure

Supporte les difficultés comme un bon soldat de Jésus-Christ, nous dit saint Paul. La vie du chrétien est un service, c’est une guerre. C’est une merveilleuse guerre pacifique, qui n’a rien à voir avec les entreprises belliqueuses des hommes, inspirées par la division et souvent par la haine ; alors que la guerre des enfants de Dieu contre leur propre égoïsme est fondée sur l’amour et l’unité. Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. Ce sont les escarmouches sans trêve contre l’orgueil, contre la prédisposition au mal, contre la suffisance dans les jugements.

En ce dimanche des Rameaux, Notre Seigneur entame une semaine décisive pour notre salut. Laissons donc de côté les considérations superficielles, et allons à l’essentiel, à ce qui est réellement important. Veillez-y bien : le but de nos efforts doit être d’aller au ciel. Autrement, nous perdons notre peine. Pour aller au ciel il est indispensable d’être fidèle à la doctrine du Christ. Pour être fidèle il est indispensable de poursuivre, avec confiance et ténacité, notre lutte contre les obstacles qui se dressent devant notre bonheur éternel.

Je sais bien que, dès que nous parlons de combat, nous pensons à notre faiblesse et nous prévoyons des chutes, des erreurs. Mais Dieu en tient compte. Il est inévitable que, en cheminant, nous soulevions de la poussière. Nous sommes des êtres créés, donc pleins de défauts. J’irai jusqu’à dire qu’il faut toujours en avoir : ce sont les taches d’ombre qui, dans notre âme, font ressortir davantage, par contraste, la grâce de Dieu et notre volonté de répondre à la faveur divine. C’est ce clair-obscur qui fait de nous des hommes humbles, compréhensifs, généreux.

Ne nous y trompons pas. Si notre vie comporte des actions d’éclat et des succès, elle a aussi ses chutes et ses déroutes. Il en a toujours été ainsi du pèlerinage sur terre des chrétiens, y compris de ceux que nous vénérons sur les autels. Vous souvenez-vous de Pierre, d’Augustin, de François ? Jamais je n’ai aimé ces biographies de saints dans lesquelles, autant par naïveté que par ignorance, on nous chante les exploits de ces hommes, comme s’ils s’étaient vu confirmés dans la grâce dès le sein de leur mère. Non. Les biographies authentiques des héros chrétiens ressemblent à nos vies : ils luttaient et gagnaient, puis luttaient et perdaient. Et alors, pleins de repentir, ils repartaient pour le combat.

Il ne faut pas nous étonner si nous sommes vaincus assez fréquemment : ce sera, habituellement — si ce n’est pas toujours — en des matières de peu d’importance, qui nous agacent comme si elles en avaient beaucoup. S’il y a amour de Dieu, s’il y a humilité, s’il y a persévérance et ténacité dans notre combat, ces échecs ne prendront que peu d’importance. Parce que viendra ensuite la victoire, qui sera gloire aux yeux de Dieu. Il n’y a pas d’échec quand on agit en toute droiture d’intention en ayant le désir d’accomplir la volonté de Dieu et en tenant toujours compte de sa grâce, comme de notre néant.

Mais un ennemi très puissant, qui s’oppose à notre désir d’incarner pleinement la doctrine du Christ, nous guette : l’orgueil, qui nous empêche de chercher à découvrir, derrière les échecs et les défaites, la main bienfaisante et miséricordieuse du Seigneur. C’est alors que l’âme s’assombrit tristement et se croit perdue. Notre imagination crée des obstacles qui n’existent pas et qui disparaissent si nous les considérons avec tant soit peu d’humilité. L’âme se laisse parfois entraîner par cet orgueil et cette imagination dans un tortueux calvaire ; mais là n’est pas le Christ, car là ou il se trouve, règnent la paix et la joie, même si l’âme est torturée et entourée de ténèbres.

Un autre ennemi subtil de notre sanctification consiste à penser que nous devons mener cette bataille intérieure contre des obstacles extraordinaires, contre des dragons crachant le feu. C’est une autre manifestation d’orgueil. Nous voulons bien lutter, mais de façon solennelle, accompagnés de la sonnerie des trompettes et du roulement des tambours.

Nous devons nous persuader que le plus grand ennemi du rocher n’est ni la pioche, ni la hache, ni quelque autre instrument, quelle que soit sa force de pénétration : c’est le filet d’eau qui s’infiltre goutte à goutte entre les fissures de la roche, jusqu’à en ruiner les structures. Le plus grand danger, pour un chrétien, c’est de négliger la lutte dans ces petites escarmouches qui entament peu à peu l’âme, jusqu’à la laisser en ruine, brisée, indifférente et insensible aux appels divins.

Écoutons le Seigneur qui nous dit : celui qui est fidèle dans les petites choses l’est aussi dans les grandes, et celui qui manque à la justice dans les petites choses y manque aussi dans les grandes. C’est comme s’il nous rappelait ceci : lutte à chaque instant dans ces détails qui peuvent te sembler insignifiants mais qui sont grands à mes yeux ; accomplis ponctuellement ton devoir ; souris à celui qui en a besoin, même si tu souffres ; consacre sans remords le temps nécessaire à la prière ; viens en aide à celui qui te cherche ; pratique la justice, en la dépassant avec la grâce de la charité.

Nous ressentirons à l’intérieur de nous-mêmes ces invitations et beaucoup d’autres semblables. C’est un conseil silencieux qui nous pousse à poursuivre notre entraînement dans cette lutte surnaturelle contre nous-mêmes. Que la lumière de Dieu nous illumine, pour que nous percevions ses avertissements. Qu’il nous aide à lutter, qu’il soit à nos côtés dans la victoire ; qu’il ne nous abandonne pas à l’heure de la chute, pour que nous soyons toujours en état de nous relever et de poursuivre le combat.

Nous ne pouvons nous arrêter. Le Seigneur nous demande de mener un combat toujours plus vif, toujours plus profond, toujours plus étendu. Nous sommes obligés de nous dépasser, parce que, dans cette compétition, notre seul but est de parvenir à la gloire du ciel. Et si nous n’y arrivons pas, nous aurons perdu notre peine.

Les sacrements de la grâce de Dieu

Quand on veut vraiment lutter, on met en œuvre les moyens appropriés. Et les moyens n’ont pas changé en vingt siècles de christianisme : prière, mortification, et fréquentation des sacrements. Comme la mortification est aussi une prière — la prière des sens —, nous pouvons définir ces moyens en deux mots : prière et sacrements.

J’aimerais considérer avec vous maintenant les sacrements. C’est pour nous la source de la grâce divine et la merveilleuse manifestation de la miséricorde de Dieu à notre égard. Méditons lentement la définition que nous donne le Catéchisme de saint Pie V : Certains signes sensibles qui produisent la grâce, en même temps qu’ils la représentent et la mettent sous nos yeux. Dieu Notre Seigneur est infini ; son amour est inépuisable, sa clémence et sa pitié à notre égard n’ont pas de limites. Il nous concède sa grâce de bien d’autres manières, et pourtant il a institué, expressément et librement — lui seul pouvait le faire —, ces sept signes efficaces pour que, d’une manière permanente, simple et à la portée de tous, nous puissions participer aux mérites de la Rédemption.

Si l’on abandonne les sacrements, la vraie vie chrétienne disparaît et pourtant il est assez évident que certains, particulièrement de nos jours, semblent oublier, et même mépriser, ce courant rédempteur de la grâce du Christ. Il est douloureux d’évoquer cette plaie de la société qui se dit chrétienne, mais c’est nécessaire pour que s’affirme dans nos âmes le désir d’user avec davantage d’amour et de gratitude de ces sources de sanctification.

Sans le moindre scrupule, on décide de retarder le baptême des nouveaux-nés. C’est là une grande atteinte à la justice et à la charité, car on les prive ainsi de la grâce de la foi, du trésor inestimable de l’inhabitation de la Sainte Trinité dans l’âme, qui vient au monde entachée du péché originel. On prétend aussi dénaturer le sacrement de la Confirmation, dans lequel la Tradition unanime a toujours vu un affermissement de la vie spirituelle, une effusion silencieuse et féconde de l’Esprit Saint pour que, surnaturellement fortifiée, l’âme puisse lutter — miles Christi, tel un soldat du Christ — dans la bataille intérieure contre l’égoïsme et la concupiscence.

Si l’on a perdu le sens des choses de Dieu, il est difficile de comprendre le sacrement de la Pénitence. La confession sacramentelle n’est pas un dialogue humain, mais un colloque divin ; c’est un tribunal de justice, sûr et divin, et surtout un tribunal de miséricorde où siège un juge très aimant qui ne désire pas la mort du pécheur mais veut qu’il se convertisse et vive.

La tendresse de Notre Seigneur est vraiment infinie. Regardez avec quelle délicatesse il traite ses enfants. Il a fait du mariage un lien sacré, image de l’union du Christ et de son Église, un grand sacrement sur lequel se fonde la famille chrétienne, qui doit constituer, avec la grâce de Dieu, un milieu plein de paix, de concorde, une école de sainteté. Les parents sont les collaborateurs de Dieu. D’où l’aimable devoir qu’ont les enfants de vénérer leurs parents. Le quatrième commandement mérite bien d’être appelé, comme je l’ai écrit il y a longtemps, le plus doux précepte du décalogue. Si l’on vit le mariage saintement, comme Dieu le veut, le foyer sera un refuge de paix, lumineux et joyeux.

Dieu notre Père a permis, avec l’Ordre Sacerdotal, que quelques fidèles, par une nouvelle et ineffable infusion de l’Esprit Saint, reçoivent dans leur âme un caractère indélébile, qui les rend semblables au Christ-Prêtre, pour agir au nom de Jésus-Christ, Tête du Corps Mystique. Avec ce sacerdoce ministériel, qui diffère du sacerdoce commun de tous les fidèles par essence et non par différence de degré, les ministres sacrés peuvent consacrer le Corps et le Sang du Christ, offrir à Dieu le Saint Sacrifice, pardonner les péchés dans la confession sacramentelle, et exercer le ministère de l’enseignement de la doctrine au peuple, in is quæ sunt ad Deum, en tout ce qui se réfère à Dieu, et en cela seulement.

C’est pourquoi le prêtre doit être exclusivement un homme de Dieu, renonçant à briller dans des domaines où les autres chrétiens n’ont nul besoin de lui. Le prêtre n’est pas un psychologue, ni un sociologue, ni un anthropologue : c’est un autre Christ, le Christ lui-même, destiné à soutenir les âmes de ses frères. Il serait triste que le prêtre, en se fondant sur une science humaine, — s’il se consacre à sa tâche sacerdotale, il ne pourra cultiver cette science qu’en qualité de dilettante ou d’apprenti —, se croie tout bonnement investi du droit de pontifier en matière de théologie dogmatique ou morale. La seule chose qu’il aboutirait à démontrer serait sa double ignorance — en science humaine et en science théologique —, même si son aspect extérieur de savant pouvait emporter l’adhésion de quelques lecteurs ou auditeurs sans défense.

Tout le monde le sait : quelques ecclésiastiques semblent aujourd’hui prêts à fabriquer, en trahissant le Christ, une nouvelle Église, en changeant, une à une, ses fins surnaturelles — le salut de toutes les âmes en fins temporelles. S’ils ne résistent pas à cette tentation, ils cesseront d’accomplir leur ministère sacré, perdront la confiance et le respect du peuple, et provoqueront une effroyable destruction à l’intérieur de l’Église, en intervenant indûment dans la liberté politique des chrétiens et des autres hommes, et en produisant ainsi la confusion — ce sont des gens dangereux — dans la vie de la communauté sociale. L’Ordre est le sacrement du service surnaturel des hommes dans la foi ; certains semblent vouloir le transformer en l’instrument terrestre d’un nouveau despotisme.

Mais continuons à méditer cette merveille que sont les sacrements. Dans l’Onction des Malades, comme on nomme maintenant l’Extrême Onction, nous assistons à une préparation pleine d’affection au voyage qui aura son terme dans la maison du Père. Enfin, avec la Sainte Eucharistie, sacrement, si l’on peut dire, de la générosité divine, il nous concède sa grâce et c’est Dieu lui-même qui se donne à nous : Jésus-Christ qui est réellement et toujours présent — et non seulement durant la sainte messe — avec son Corps, avec son Âme, avec son Sang et sa Divinité.

Je pense fréquemment à la responsabilité, qui incombe aux prêtres, de donner accès à tous les chrétiens à cette source divine des sacrements. La grâce de Dieu vient au secours de chaque âme ; chaque créature requiert une assistance concrète, personnelle. On ne peut pas traiter les âmes en bloc ! Il n’est pas licite d’offenser la dignité humaine ni la dignité des enfants de Dieu, sans s’occuper personnellement de chacun avec l’humilité de celui qui sait être un instrument, pour devenir le véhicule de l’amour du Christ : car chaque âme est un merveilleux trésor ; chaque homme est unique, irremplaçable. Chacun d’eux vaut tout le Sang du Christ.

Nous parlions de lutte, tout à l’heure. Mais la lutte exige de l’entraînement, une alimentation adéquate, une médecine urgente en cas de maladies, de contusions, de blessures. Les sacrements, médecine principale de l’Église, ne sont pas superflus : quand on les abandonne volontairement, on ne peut plus suivre le chemin du Christ. Nous en avons besoin comme de la respiration, comme de la circulation du sang, comme de la lumière, pour bien évaluer à tout moment ce que le Seigneur veut de nous.

Pour mener une vie ascétique, le chrétien a besoin de force ; et cette force, il la trouve dans son Créateur. Nous sommes l’obscurité, et lui est la plus brillante des lumières ; nous sommes la maladie, et lui est la santé robuste ; nous sommes la pauvreté, et lui est l’infinie richesse ; nous sommes la faiblesse, et lui est le soutien, quia tu es, Deus, fortitudo mea, parce que tu es toujours, ô mon Dieu, notre force. Rien sur terre ne peut s’opposer à l’ardent désir du Christ de répandre son sang rédempteur. Mais notre petitesse humaine peut nous voiler les yeux au point de ne plus apercevoir la grandeur divine. D’où la responsabilité de tous les fidèles, et spécialement de ceux qui ont la charge de diriger — de servir — spirituellement le Peuple de Dieu, de ne pas obturer les sources de la grâce, de ne pas avoir honte de la Croix du Christ.

Responsabilité des pasteurs

Dans l’Église de Dieu, la préoccupation constante d’être toujours loyaux envers la doctrine du Christ est une obligation pour tous. Personne n’en est exempt. Si les pasteurs ne luttaient pas pour acquérir la délicatesse de conscience, le respect fidèle envers le dogme et la morale, qui constituent le dépôt de la foi et le patrimoine commun, ils accompliraient réellement les paroles prophétiques d’Ezéchiel : Fils d’homme, prophétise contre les pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître le troupeau ? Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine… Vous n’avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, panse celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez gouvernées avec violence et dureté.

Ces reproches sont graves, mais plus importante est l’offense que l’on fait à Dieu quand, ayant reçu la charge de veiller au bien spirituel de tous, on maltraite les âmes en les privant de l’eau limpide du baptême, qui régénère l’âme ; de l’huile balsamique de la confirmation, qui la renforce ; du tribunal qui pardonne et de l’aliment qui donne la vie éternelle.

Quand cela peut-il arriver ? Quand on abandonne cette lutte de paix dont j’ai parlé. Celui qui ne lutte pas s’expose à l’un ou l’autre de ces esclavages qui savent enchaîner nos pauvres cœurs : l’esclavage d’une vision des choses purement humaine, l’esclavage du désir ardent de pouvoir ou de prestige temporel, l’esclavage de la vanité, l’esclavage de l’argent, la servitude de la sensualité…

Si quelquefois, parce que Dieu permet cette épreuve, vous vous heurtez à des pasteurs indignes de ce nom, ne vous scandalisez pas. Le Christ a promis une assistance infaillible et indéfectible à son Église, mais il n’a pas garanti la fidélité des hommes qui la composent. A ceux-là, la grâce – abondante et généreuse – ne leur fera pas défaut s’ils font le peu que Dieu leur demande : une grande vigilance pour écarter avec obstination la grâce de Dieu aidant, les obstacles qui se dressent sur le chemin de la sainteté. Même celui qui semble haut placé peut être très bas aux yeux de Dieu s’il ne lutte pas. Je connais tes œuvres, ta conduite ; tu passes pour vivant, mais tu es mort. Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante ! Non, je n’ai pas trouvé ta vie bien pleine aux yeux de mon Dieu. Allons ! Rappelle-toi de quel cœur tu accueillis la parole ; garde-la et repens-toi.

Ces exhortations de l’apôtre saint Jean — au premier siècle donc — s’adressent aux responsables de l’Église de Sarde. Parce que ce n’est pas d’aujourd’hui que quelques pasteurs risquent de perdre le sens de leurs responsabilités ; ce phénomène s’est produit également au temps des apôtres, dans le siècle même où Notre Seigneur Jésus-Christ a vécu sur terre. C’est que personne ne peut se sauver seul. Tous, dans l’Église nous avons besoin de ces moyens concrets qui nous fortifient : de l’humilité, qui nous dispose à accepter aide et conseil ; des mortifications, qui domptent notre cœur, pour qu’y règne le Christ ; de l’étude de la doctrine sûre et permanente, qui nous conduit à conserver en nous la foi et à la propager.

Hier et aujourd’hui

La liturgie du Dimanche des Rameaux met dans la bouche des chrétiens ce cantique : Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles, qu’il entre, le roi de gloire. Celui qui demeure reclus dans la citadelle de son égoïsme ne descendra pas sur le champ de bataille. Cependant, s’il soulève les portes de force et laisse entrer le Roi de paix, il sortira avec lui pour combattre la misère qui obscurcit nos yeux et insensibilise notre conscience.

Levez-vous portes éternelles. Cette exigence de la lutte n’est pas nouvelle dans le christianisme. C’est la vérité éternelle. Sans lutte, on ne remporte pas la victoire ; sans victoire, on n’obtient pas la paix. Sans paix, la joie humaine n’est qu’une joie apparente, fausse et stérile ; elle ne se manifeste ni par une aide apportée aux hommes, ni par la pratique de la charité et de la justice, du pardon et de la miséricorde, ni par le service de Dieu.

Maintenant, en dedans et en dehors de l’Église, en haut comme en bas de l’échelle, il semble que beaucoup aient renoncé à la lutte — à cette guerre personnelle contre leurs propres faiblesses —, pour se livrer, avec armes et bagages, à des servitudes qui avilissent l’âme. Tous les chrétiens seront toujours menacés de ce danger.

C’est pourquoi il nous faut recourir avec insistance à la Très Sainte Trinité, pour qu’elle ait compassion de tous. En parlant de cela, je tremble à l’idée de la justice de Dieu. Je fais appel à sa miséricorde, à sa compassion, pour qu’il ne regarde pas nos péchés, mais les mérites du Christ et ceux de sa sainte Mère, qui est aussi notre Mère, ceux du Patriarche saint Joseph qui lui tient lieu de Père, ceux des saints.

Le chrétien peut vivre avec l’assurance que, s’il désire lutter, Dieu le saisira de sa main droite, comme on peut le lire à la messe d’aujourd’hui. Jésus, qui entre à Jérusalem en chevauchant un pauvre âne, est le Roi de paix qui nous dit : le royaume des cieux est emporté de force, et ce sont les violents qui le conquièrent.

Cette force ne doit pas se traduire par la violence envers les autres : c’est la force qui s’exerce à combattre nos propres faiblesses et nos misères ; c’est la vaillance qui nous empêche de déguiser nos infidélités personnelles ; c’est l’audace qui nous fait confesser la foi, même quand l’ambiance lui est contraire.

Aujourd’hui comme hier, c’est l’héroïsme que l’on attend d’un chrétien. Héroïsme dans les grandes luttes, s’il le faut. Héroïsme — et c’est cela qui est normal — dans les petites batailles de chaque jour. Quand on lutte continuellement, avec Amour, de cette façon qui paraît insignifiante, le Seigneur est toujours aux cotés de ses enfants, comme un pasteur plein d’amour : Moi-même, je paîtrai mes brebis ; moi, je les ferai reposer. Je chercherai celle qui était perdue, je ramènerai celle qui était égarée ; je panserai celle qui est blessée, et je rendrai force à celle qui est infirme… ils seront en sécurité sur leur terre, et ils sauront que je suis Yahwé, quand je briserai les barres de leur joug, et que je les délivrerai de ceux qui les asservissent.

Références à la Sainte Écriture
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