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12 points de « Entretiens » sont liés à la thématique Opus Dei  → caractère surnaturel .

À diverses reprises, en parlant des débuts de l’Opus Dei, vous avez dit que vous ne possédiez alors que « la jeunesse, la grâce de Dieu et la bonne humeur ». Vers les années 20, en outre, la doctrine du laïcat n’avait pas encore atteint le développement qu’on lui voit aujourd’hui. Néanmoins, l’Opus Dei est un phénomène tangible dans la vie de l’Église. Pourriez-vous nous expliquer comment il se fait que, jeune prêtre, vous ayez eu la compréhension qui vous a permis de réaliser votre aspiration ?

Je n’ai eu, et je n’ai d’autre aspiration que celle d’accomplir la volonté de Dieu. Permettez-moi de ne pas entrer dans le détail des commencements de l’Œuvre que l’Amour de Dieu me faisait pressentir dès 1917, car ces débuts sont intimement liés à l’histoire de mon âme et appartiennent à ma vie intérieure. La seule chose que je puisse vous dire est que j’ai agi, à tout moment, avec l’agrément et la bénédiction affectueuse du très cher évêque de Madrid, ce Madrid où est né l’Opus Dei, le 2 octobre 1928. Plus tard, toujours aussi avec l’approbation et l’encouragement du Saint-Siège et, dans chaque cas, de l’Ordinaire du diocèse où nous opérions.

Bien entendu, vous n’ignorez pas que, dans certains secteurs de l’opinion publique, l’Opus Dei a la réputation d’être, dans une certaine mesure, discuté. Pouvez-vous me donner votre avis sur la raison pour laquelle il en est ainsi, et me dire notamment comment il est répondu à l’accusation concernant « le secret de conspiration » et « la conspiration secrète » qu’on relève souvent contre l’Opus Dei ?

Tout ce qui ressemble à l’éloge de soi me gêne profondément. Mais puisque vous me posez cette question, force m’est de vous dire que l’Opus Dei est, me semble-t-il, une des organisations catholiques qui comptent le plus d’amis dans le monde entier. Des millions de personnes, parmi lesquelles nombre de non-catholiques et de non-chrétiens, lui sont attachés et lui viennent en aide.

Par ailleurs, l’Opus Dei est une organisation spirituelle et apostolique. Si l’on oublie ce fait fondamental ou si l’on refuse de croire à la bonne foi des membres de l’Opus Dei qui l’affirment – il est impossible de comprendre l’Œuvre. Et devant cette impossibilité, on invente des versions compliquées et des secrets qui n’ont jamais existé.

Vous parlez d’une accusation de secret. C’est de l’histoire ancienne. Je pourrais vous exposer, point par point, l’origine de cette accusation calomnieuse. Durant de nombreuses années, une puissante organisation, que je préfère ne pas nommer –nous l’aimons et l’avons toujours aimée – s’est attachée à travestir ce qu’elle ignorait. On s’obstinait à nous tenir pour des religieux et l’on se demandait : pourquoi ne pensent-ils pas tous de la même manière ? pourquoi ne portent-ils pas un habit ou un signe distinctif ? Et on en tirait, illogiquement, la conclusion que nous constituions une société secrète.

Cela est aujourd’hui terminé, et toute personne moyennement informée sait qu’il n’y a aucun secret ; que nous ne portons pas de signe distinctif, parce que nous ne sommes pas des religieux, mais des chrétiens ordinaires ; que nous ne pensons pas tous de la même manière, parce que nous admettons le plus grand pluralisme dans tout ce qui est temporel et dans les questions théologiques où l’on est libre d’avoir une opinion. On a fini par mieux connaître la réalité et par surmonter une jalousie sans fondement, ce qui a mis fin à une triste situation doublée d’une opinion calomnieuse.

Il ne faut cependant pas s’étonner si, de temps à autre, les vieux mythes se réveillent, car nous essayons de travailler pour Dieu, en défendant la liberté personnelle de tous les hommes. Nous aurons donc toujours contre nous les sectaires – de tous bords – ennemis de cette liberté personnelle, d’autant plus agressifs s’il s’agit de personnes qui ne peuvent supporter la simple idée de religion, et plus encore s’ils s’inspirent d’une pensée religieuse empreinte de fanatisme.

Néanmoins, et par bonheur, la majorité des publications ne se contentent plus de répéter ces vieilles et fausses histoires ; la plupart d’entre elles ont clairement conscience qu’être impartial, ce n’est pas diffuser des choses qui sont à mi-chemin entre la réalité et la calomnie, mais s’efforcer de refléter la vérité objective. Personnellement je pense que dire la vérité, c’est aussi une nouvelle « qui passe », spécialement lorsqu’il s’agit de renseigner sur l’activité des membres de l’Opus Dei ou des personnes qui collaborent avec celui-ci et qui tentent, en dépit d’erreurs personnelles – j’en commets et je ne m’étonne nullement que les autres en fassent autant –, d’accomplir une tâche au service de tous les hommes. Il est toujours intéressant de détruire les faux mythes. Je considère que tout journaliste a le grave devoir de se documenter correctement et de tenir son information à jour, dût-il parfois modifier des jugements antérieurs. Est-il donc si difficile d’admettre qu’une chose est propre, noble et bonne, sans y mêler de vieilles absurdités, tombées dans le discrédit ?

Il est pourtant bien simple de s’informer sur l’Opus Dei. Partout, il travaille en plein jour et jouit de la reconnaissance juridique des autorités civiles et ecclésiastiques. Le nom de ses dirigeants et celui de ses fondations apostoliques sont parfaitement connus. Quiconque désire des renseignements sur notre Œuvre peut les obtenir sans difficulté : il suffit de prendre contact avec ses dirigeants ou de s’adresser à l’une de nos œuvres collectives. Vous-mêmes, vous êtes témoin que jamais aucun des dirigeants de l’Opus Dei, ou de ceux qui sont chargés de recevoir les journalistes, n’a manqué de faciliter la tâche des informateurs, de répondre à leurs questions ou de leur fournir la documentation voulue.

Aucun des membres de l’Opus Dei ni moi-même ne prétendons que tout le monde nous comprenne ou partage notre idéal spirituel. J’aime la liberté et que chacun suive sa voie. Mais il est évident que nous avons le droit élémentaire d’être respectés.

Voudriez-vous m’expliquer comment et pourquoi vous avez fondé l’Opus Dei et quels sont les événements que vous considérez comme les jalons principaux de son développement ?

Pourquoi ? Les œuvres qui naissent de la volonté de Dieu n’ont d’autre « pourquoi » que le désir divin de les utiliser comme expression de Sa volonté de salut universel. Dès le premier instant, l’Œuvre était universelle, catholique. Elle ne naissait pas pour résoudre les problèmes concrets de l’Europe des années vingt, mais pour dire à des hommes et à des femmes de tous pays, de toutes conditions, races et langues, de tous milieux et de tous états – célibataires, gens mariés, veufs, prêtres –, qu’ils pouvaient aimer et servir Dieu sans cesser d’accomplir leur travail ordinaire, sans cesser de vivre au sein de leur famille, parmi leurs relations sociales, multiples et normales.

Comment l’Opus Dei a-t-il été fondé ? Sans aucun moyen humain. J’avais vingt-six ans, de la bonne humeur et la grâce de Dieu m’accompagnait. L’Œuvre était certes modeste ; ce n’était que l’aspiration d’un jeune prêtre, qui s’efforçait de faire ce que Dieu réclamait de lui.

Vous me demandez quels en furent les jalons principaux. Pour moi, chaque moment est fondamental dans l’Œuvre, chaque instant où, grâce à l’Opus Dei, une âme s’approche de Dieu et où un homme devient ainsi plus frère de ses frères les hommes.

Peut-être aimeriez-vous que je cite les heures cruciales. Bien que ce ne soient pas les plus importantes, je vous donnerai de mémoire quelques dates, plus ou moins approximatives. Dès les premiers mois de 1935, tout était prêt pour notre installation en France, à Paris exactement. Mais il y eut la guerre civile espagnole, suivie de la seconde guerre mondiale, et il fallut différer cette expansion. Comme il importait absolument de se développer, le délai ne fut pas long. Dès 1940, l’Œuvre s’implantait au Portugal. Coïncidant, ou presque, avec la fin des hostilités, bien que certains voyages aient eu lieu au cours des années antérieures, le travail commençait en Angleterre, en France, en Italie, aux États-Unis, au Mexique. Après quoi l’expansion suit un rythme progressif. À partir de 1949 et 1950, nous commençons en Allemagne, en Hollande, en Suisse, en Argentine, au Canada, au Venezuela et dans d’autres pays européens et américains. En même temps, l’Œuvre s’étend à d’autres continents : Afrique du Nord, Japon, Kenya et autres pays de l’Est africain, Australie, Philippines, Nigéria, etc.

J’aime aussi évoquer plus spécialement, comme dates capitales, les multiples occasions où l’affection des souverains pontifes s’est manifestée d’une manière tangible à l’égard de notre Œuvre. J’habite Rome en permanence depuis 1946, et j’ai eu ainsi l’occasion de rencontrer Pie XII, Jean XXIII et Paul VI. Tous trois m’ont toujours réservé un accueil empreint d’affection paternelle.

Seriez-vous d’accord pour dire, comme on le fait parfois, que l’ambiance particulière de l’Espagne, au cours des trente dernières années, a favorisé la croissance de l’Œuvre dans ce pays ?

Il y a peu d’endroits où nous ayons eu moins de facilités qu’en Espagne. C’est le pays – je regrette de devoir le dire, parce que j’aime profondément ma patrie – où il en a coûté le plus, en travail et en peine, pour que l’Œuvre prît racine. Elle était à peine née, qu’elle trouvait sur son chemin l’obstacle dressé par les ennemis de la liberté individuelle et par des gens si férus d’idées traditionnelles qu’ils ne parvenaient pas à comprendre la vie que menaient les membres de l’Opus Dei : citoyens ordinaires, s’efforçant de vivre pleinement leur vocation chrétienne sans quitter le monde.

Les œuvres collectives d’apostolat n’ont pas davantage rencontré, en Espagne, de facilités particulières. Des gouvernements de pays dont les citoyens ne sont pas en majorité catholiques ont aidé, beaucoup plus généreusement que ne l’a fait l’État espagnol, les centres d’enseignement et de bienfaisance fondés par les membres de l’Opus Dei. L’aide que ces gouvernements accordent ou peuvent accorder aux œuvres collectives de l’Opus Dei, comme ils l’accordent d’ordinaire à d’autres institutions du même ordre, ne constitue pas un privilège. C’est simplement la reconnaissance de l’utilité sociale qu’elles présentent et qui a pour effet de ménager les deniers publics.

L’expansion internationale de l’Opus Dei et de son esprit a trouvé un écho immédiat et un accueil favorable dans tous les pays. Si elle s’est heurtée à des difficultés, c’est en raison de faussetés qui émanaient précisément d’Espagne et qui étaient inventées par des Espagnols – par certains secteurs très précis de la société espagnole. D’abord, l’organisation internationale dont je vous parlais ; mais il semble bien que ce soit là du passé et je ne garde rancune à personne. Puis, certaines gens qui ne comprennent pas le pluralisme, qui adoptent une attitude de groupe, quand ce n’est pas une mentalité bornée ou totalitaire, et qui se servent de leur qualité de catholiques pour faire de la politique. Certains, je ne m’explique pas pourquoi – pour des raisons faussement humaines, peut-être – semblent éprouver un malin plaisir à s’en prendre à l’Opus Dei et, comme ils disposent de grands moyens financiers – l’argent des contribuables espagnols –, leurs attaques peuvent être diffusées par une certaine presse.

Vous attendez je m’en rends parfaitement compte, que je vous cite des noms de personnes et d’institutions. Je n’en ferai rien pourtant et j’espère que vous en comprendrez le motif. Notre mission, celle de l’Œuvre et la mienne, n’est pas politique : mon métier est de prier. Et je m’en voudrais de rien dire que l’on pût même interpréter comme une ingérence dans la politique. Je dirai mieux : il m’en coûte beaucoup de parler de ces choses. Je me suis tu pendant près de quarante années et si je romps le silence aujourd’hui, c’est parce que je me vois forcé de dénoncer comme dénuées de tout fondement les interprétations tortueuses que certains essaient de donner d’une Œuvre qui est exclusivement spirituelle. C’est pourquoi, et bien que j’aie gardé le silence jusqu’à présent, je suis décidé à parler désormais, et s’il le faut de plus en plus clairement.

Pour en revenir au nœud de la question, si nombre de personnes de toutes les classes sociales, en Espagne comme ailleurs, se sont efforcées de suivre le Christ avec l’aide de l’Œuvre et suivant son esprit, l’explication n’en saurait être trouvée ni dans le milieu ni dans d’autres motifs extrinsèques. La preuve en est que ceux qui prétendent le contraire avec tant de légèreté, voient fondre leurs propres groupes, et les circonstances extérieures sont les mêmes pour tous. C’est peut-être aussi, humainement parlant, parce qu’ils forment des groupes et que nous, nous n’ôtons à personne la liberté individuelle.

Si l’Opus Dei est bien implanté en Espagne – comme au reste dans quelques autres nations – on peut en voir une cause secondaire dans le fait que notre travail spirituel a débuté, là-bas, il y a quarante ans et que comme je l’expliquais tout à l’heure, la guerre civile espagnole, puis la guerre mondiale, nous ont forcés de différer nos débuts dans d’autres pays. J’entends préciser néanmoins que, depuis des années, les Espagnols ne sont plus qu’une minorité dans l’Œuvre.

N’allez pas croire, j’insiste, que je n’aime pas mon pays ou que je ne me réjouisse pas profondément du travail que l’Œuvre y poursuit, mais il est désolant que des erreurs soient propagées sur l’Opus Dei et l’Espagne.

Ne croyez-vous pas qu’en Espagne, et en raison du particularisme inhérent à la race ibérique, un certain secteur de l’Œuvre pourrait être tenté d’utiliser sa puissance afin de satisfaire des intérêts particuliers ?

Vous formulez là une hypothèse dont je me risque à garantir qu’elle ne se présentera jamais dans notre Œuvre. Non seulement nous nous associons exclusivement pour des fins surnaturelles, mais encore, s’il arrivait qu’un membre de l’Opus Dei voulût imposer, directement ou indirectement, un critère temporel aux autres, ou se servir d’eux à des fins humaines, il serait expulsé sans ménagements, car les autres membres se révolteraient légitimement, saintement.

L’Opus Dei se flatte de toucher toutes les couches de la population en Espagne. Cette affirmation vaut-elle pour le reste du monde ou bien faut-il admettre que dans les autres pays les membres de l’Opus Dei se recrutent plutôt dans les milieux avertis, tels que les états-majors industriels, administratifs, politiques et les professions libérales ?

Parmi les membres de l’Opus Dei l’on trouve partout, en Espagne comme ailleurs, des gens de toutes conditions sociales : des hommes et des femmes, des vieux et des jeunes, des ouvriers, des industriels, des employés, des paysans, des membres des professions libérales, etc. C’est Dieu qui donne la vocation, et pour Lui il n’y a pas d’acception de personne.

Mais l’Opus Dei ne se flatte pas de quoi que ce soit : ce n’est pas à des forces humaines que les œuvres d’apostolat doivent leur croissance, mais au souffle du Saint-Esprit. Dans une association à fins temporelles, il serait logique de publier des statistiques ostentatoires sur le nombre, la condition et les qualités des membres, comme ont coutume de le faire les organisations qui recherchent un prestige humain ; mais cette manière d’agir, quand on recherche la sanctification des âmes, ne fait que favoriser l’orgueil collectif : or, le Christ veut l’humilité pour tous et chacun des chrétiens.

Pourquoi, selon vous, de nombreux ordres religieux, tels que la Compagnie de Jésus, prennent-ils ombrage de l’Opus Dei ?

Nombre de religieux, que je connais, savent que nous ne sommes pas des religieux ; ils nous rendent l’affection que nous avons pour eux, ils adressent des prières et des sacrifices à Dieu en faveur des apostolats de l’Opus Dei. Quant à la Compagnie de Jésus, je connais et je fréquente son général, le P. Arrupe. Et je puis vous assurer que nos rapports sont faits d’estime et d’affection réciproques.

Peut-être vous est-il arrivé de rencontrer quelque religieux qui ne comprenait pas notre Œuvre ; s’il en est ainsi, ce religieux était sans doute victime d’une erreur ou d’un défaut de connaissance sur la nature de notre travail, qui est spécifiquement laïc et séculier et n’empiète en rien sur le terrain propre aux religieux. Quant à nous, nous n’avons que vénération et affection pour tous les religieux sans exception, et nous prions le Seigneur de faire en sorte que soient chaque jour plus féconds les services qu’ils rendent à l’Église et à l’humanité tout entière. Il ne saurait y avoir de querelle entre l’Opus Dei et un religieux, étant donné que, pour se quereller, il faut être deux et que nous ne voulons nous mesurer avec personne.

Certains ont fait, parfois, de l’Opus Dei une organisation d’aristocratie intellectuelle, qui désire pénétrer dans les milieux politiques, économiques et culturels les plus éminents, en vue de les contrôler du dedans, fût-ce avec de bonnes intentions. Est-ce vrai ?

Presque toutes les institutions qui ont apporté un message nouveau, ou qui se sont efforcées de servir sérieusement l’humanité en vivant pleinement le christianisme, ont souffert de l’incompréhension, surtout à leurs débuts. C’est ce qui explique que, de prime abord, certains n’aient pas compris l’apostolat des laïcs dont l’Opus Dei pratiquait et proclamait la doctrine.

Je dois dire également – encore que je n’aime guère parler de ces choses – que, dans notre cas, il y eut même une campagne de calomnies organisée et persistante. D’aucuns ont prétendu que nous travaillions en secret – c’est peut-être ce qu’ils faisaient eux-mêmes –, que nous aspirions à occuper des postes élevés, etc. Je peux vous dire, très précisément, qui a déclenché cette campagne, il y a environ trente ans : c’est un religieux espagnol qui, par la suite, a quitté son ordre et l’Église, a contracté un mariage civil et est maintenant pasteur protestant.

La calomnie, une fois lancée, poursuit sa course, en raison de la force acquise, pendant un certain temps ; parce qu’il y a des gens qui écrivent sans s’informer et parce que tout le monde n’est pas semblable aux journalistes compétents qui ne se croient pas infaillibles, et qui ont la noblesse de rectifier quand ils découvrent la vérité. Et c’est ce qui s’est passé. Ces calomnies – déjà à première vue invraisemblables – ont été démenties par une réalité que tout le monde a pu vérifier. Il suffit de dire que les racontars auxquels vous faites allusion ne concernent que l’Espagne ; et penser qu’une institution internationale comme l’Opus Dei gravite autour des problèmes d’un seul pays serait simplement faire preuve d’étroitesse de vue et de provincialisme.

Par ailleurs, la plupart des membres de l’Opus Dei – en Espagne et dans tous les pays – sont des ouvriers, des ménagères, des petits commerçants, des employés, des paysans, etc. ; des gens dont la tâche n’a aucun poids politique ou social particulier. Qu’il y ait, parmi les membres de l’Opus Dei, un grand nombre d’ouvriers, voilà qui ne retient pas l’attention ; mais qu’il s’y trouve tel ou tel homme politique, alors oui ! En réalité, pour moi la vocation d’un porteur de bagages est aussi importante que celle d’un directeur d’entreprise. La vocation, c’est Dieu qui l’accorde, et, dans les œuvres de Dieu, il n y a pas lieu à discriminations, et moins encore si elles sont démagogiques.

Ceux qui ne songent, en voyant travailler les membres de l’Opus Dei dans les domaines les plus divers de l’activité humaine, qu’à des prétendus contrôles ou influences, ceux-là prouvent qu’ils ont une piètre conception de la vie chrétienne. L’Opus Dei ne contrôle et ne prétend contrôler aucune activité temporelle : il veut simplement diffuser le message évangélique, suivant lequel Dieu demande à tous les hommes qui vivent dans le monde de L’aimer et de Le servir en se fondant précisément sur leurs activités terrestres. En conséquence, les membres de l’Œuvre, qui sont des chrétiens ordinaires, travaillent là où il leur semble bon et de la façon qui leur paraît la meilleure ; l’Œuvre ne s’occupe que de les aider spirituellement afin qu’ils agissent toujours selon la conscience chrétienne.

Mais parlons plus précisément du cas de l’Espagne. Les quelques membres de l’Opus Dei qui occupent, dans ce pays, des postes socialement importants ou qui interviennent dans la vie publique, le font – comme dans toute autre nation – librement et sous leur propre responsabilité, chacun agissant selon sa conscience personnelle. Cela explique que, dans l’ordre pratique, ils aient adopté des attitudes fort diverses, voire opposées, en de nombreuses occasions.

Je tiens à souligner, en outre, que signaler la présence de membres de l’Opus Dei dans la sphère politique espagnole, comme s’il s’agissait d’un phénomène particulier, est une déformation de la réalité qui débouche sur la calomnie. Les membres de l’Opus Dei qui participent à la vie publique espagnole ne sont qu’une minorité en comparaison avec l’ensemble des catholiques qui interviennent activement dans ce secteur. La population espagnole étant presque entièrement catholique, il est statistiquement logique que ceux qui participent à la vie politique soient catholiques. De plus, à tous les échelons de l’administration publique espagnole – depuis les ministres jusqu’aux maires – les catholiques abondent, qui sortent des associations les plus diverses : certaines branches de l’Action catholique, l’Association catholique nationale de propagandistes, dont le premier président fut l’actuel cardinal Herrera, les congrégations mariales, etc.

Je ne veux pas m’étendre davantage sur ce sujet, mais je saisis l’occasion qui m’est offerte pour déclarer, une fois de plus, que l’Opus Dei n’est lié à aucun pays, à aucun régime, à aucune tendance politique, à aucune idéologie. Et que ses membres agissent toujours, dans les questions temporelles, en toute liberté, qu’ils connaissent leurs responsabilités et qu’ils repoussent sans l’ombre d’une hésitation toute tentative de se servir de la religion au bénéfice de positions politiques et d’intérêts de parti.

Les choses simples sont parfois difficiles à expliquer. C’est pourquoi j’ai répondu assez longuement à votre question. Notez bien, de toute manière, que les racontars dont nous parlons sont maintenant de l’histoire ancienne. Ces calomnies sont depuis longtemps discréditées, plus personne n’y croit. Dès le premier instant, nous avons agi en pleine lumière – il n’y avait aucun motif de faire autrement – et défini clairement la nature et les buts de notre apostolat, et tous ceux qui l’ont voulu ont pu connaître la réalité. En fait, très nombreux sont ceux – catholiques et non-catholiques, chrétiens et non-chrétiens – qui regardent notre travail avec estime et affection et y collaborent.

D’autre part, l’histoire de l’Église progresse et a permis de dépasser un certain cléricalisme, qui tend à défigurer tout ce qui concerne les laïcs et à leur attribuer des arrière-pensées. Il est devenu plus facile, aujourd’hui, de comprendre que l’Opus Dei pratiquait et proclamait, ni plus ni moins, la vocation divine du chrétien ordinaire, animé d’une volonté surnaturelle bien précise.

J’espère qu’un jour viendra où la formule : les catholiques pénètrent dans les milieux sociaux, cessera d’avoir cours et que tout le monde s’apercevra que c’est là une expression cléricale. En tout cas, elle ne s’applique en rien à l’apostolat de l’Opus Dei. Les membres de l’Œuvre n’ont nul besoin de pénétrer dans les structures temporelles, pour la simple raison qu’ils y sont déjà, étant des citoyens ordinaires et pareils aux autres.

Si Dieu appelle à l’Opus Dei quelqu’un qui travaille dans une usine ou dans un hôpital, ou au Parlement, cela veut dire que, désormais, ce quelqu’un sera décidé à employer les moyens qu’il faut pour sanctifier, avec la grâce de Dieu, cette profession. Ce n’est là que la prise de conscience des exigences foncières du message évangélique, conformément à la vocation spécifique reçue.

Penser qu’une telle prise de conscience signifie l’abandon de la vie normale n’est une idée légitime que si l’on reçoit de Dieu la vocation religieuse, avec son contemptus mundi, avec le mépris ou le dédain des choses de ce monde ; mais vouloir faire de cet abandon du monde l’essence ou le sommet du christianisme, c’est de toute évidence une énormité.

Ce n’est donc pas l’Opus Dei qui introduit ses membres dans certains milieux ; ils s’y trouvaient déjà, je le répète, et ils n’ont aucune raison d’en sortir. En outre, les vocations à l’Opus Dei – qui naissent de la grâce de Dieu et de cet apostolat de l’amitié et de la confidence, dont je parlais tout à l’heure – apparaissent dans tous les milieux.

Peut-être la simplicité même de l’Opus Dei, de sa nature et de la façon dont il agit, est-elle une difficulté pour ceux qui sont pleins de complications et qui semblent incapables de comprendre ce qui est authentique et droit.

Naturellement, il y aura toujours des gens qui n’entendront rien à l’essence de l’Opus Dei, et cela ne saurait nous étonner, puisque le Seigneur a déjà prévenu les siens de cette difficulté, en leur expliquant que non est discipulus super Magistrum (Mt 10, 24), le disciple n’est pas au-dessus du maître. Nul ne peut prétendre à ce que tout le monde l’apprécie, encore que chacun ait le droit d’être respecté par tous en tant que personne et fils de Dieu. Par malheur, il y a des fanatiques qui veulent imposer leurs idées sur un mode totalitaire, et ceux-là ne saisiront jamais l’amour que les membres de l’Opus Dei ont de la liberté personnelle des autres, puis de leur propre liberté, toujours sous leur propre responsabilité.

Je me rappelle une anecdote très significative. Dans une ville, dont il serait indélicat de citer le nom, le conseil municipal délibérait sur le point de savoir s’il convenait d’accorder une subvention à telle œuvre éducative que dirigeaient des membres de l’Opus Dei et qui, comme toutes les œuvres collectives que l’Opus Dei réalise, remplissait nettement une fonction d’utilité sociale. La plupart des conseillers étaient en faveur de la subvention. Et, pour expliquer son attitude, l’un deux, socialiste, déclarait qu’il avait personnellement observé le travail qu’on faisait dans ce centre : « Ce qui en caractérise l’activité, dit-il, c’est que ceux qui la dirigent sont très respectueux de la liberté personnelle. Il y a, dans cette résidence, des étudiants de toutes les religions et de toutes les idéologies. » Les conseillers communistes votèrent contre. Et l’un d’eux, pour justifier son vote négatif, dit aux socialistes : « J’ai voté contre parce que, si les choses sont comme vous le dites, cette résidence constitue une propagande efficace pour le catholicisme. »

Celui qui ne respecte pas la liberté des autres, ou désire s’opposer à l’Église, ne saurait apprécier un travail apostolique. Mais même dans ce cas, moi, en tant qu’homme, je suis tenu de le respecter et de m’efforcer de le mettre sur la voie de la vérité ; et en tant que chrétien, obligé de l’aimer et de prier pour lui.

Ce point éclairci, je voudrais vous demander quelles sont, dans la formation spirituelle des membres, les caractéristiques grâce auxquelles toute espèce d’intérêt temporel est exclue du fait d’appartenir à l’Opus Dei ?

Tout intérêt qui n’est pas purement spirituel est radicalement exclu, parce que l’Œuvre exige beaucoup – détachement, sacrifice, abnégation, travail sans repos au service des âmes – et ne donne rien. Je veux dire qu’elle ne donne rien dans l’ordre des intérêts temporels ; car, au plan de la vie spirituelle, elle donne beaucoup : elle donne les moyens de lutter et de vaincre dans le combat ascétique, elle conduit dans les voies de la prière, elle enseigne à traiter Jésus comme un frère, à voir Dieu dans toutes les circonstances de la vie, à se sentir fils de Dieu et donc fils engagé à répandre sa doctrine.

Si l’on ne progresse pas dans le chemin de la vie intérieure, au point de comprendre qu’il vaut la peine de se donner entièrement, de mettre sa propre vie au service du Seigneur, on ne saurait persévérer dans l’Opus Dei, car la sainteté n’est pas une étiquette, c’est une profonde exigence.

D’autre part, il n’y a aucune activité de l’Opus Dei qui ait des buts politiques, économiques ou idéologiques : nulle action temporelle. Ses seules activités sont la formation surnaturelle de ses membres et les œuvres d’apostolat, c’est-à-dire une attention spirituelle continuellement portée sur chacun de ses membres et les œuvres collectives apostoliques, d’assistance, de bienfaisance, d’éducation, etc.

Les membres de l’Opus Dei se sont unis dans le seul but de suivre un chemin de sainteté bien défini, et de collaborer à certaines œuvres d’apostolat. Ces engagements réciproques excluent toute espèce d’intérêts terrestres, pour la simple raison que dans ce domaine tous les membres de l’Opus Dei sont libres, de sorte que chacun suit sa propre voie, à des fins et pour des intérêts différents, voire opposés.

L’Œuvre ayant un objectif exclusivement divin, son esprit est un esprit de liberté, d’amour pour la liberté personnelle de tous les hommes. Et comme cet amour de la liberté est sincère et n’est pas un simple énoncé théorique, nous aimons la conséquence nécessaire de cette liberté : c’est-à-dire le pluralisme. Dans l’Opus Dei le pluralisme est voulu et aimé, non pas simplement toléré et en aucune façon entravé. Quand j’observe, parmi les membres de l’Œuvre, tant d’idées diverses, tant d’attitudes divergentes – concernant les questions politiques, économiques, sociales ou artistiques, etc. – je m’en réjouis, car c’est le signe que tout fonctionne à la face de Dieu comme il se doit.

Unité spirituelle et diversité dans les choses temporelles sont compatibles, quand ne règnent ni le fanatisme ni l’intolérance et, surtout, quand on vit de foi et que l’on sait que les hommes sont unis non par de simples liens de sympathie ou d’intérêt, mais par l’action d’un même Esprit qui nous rend frères du Christ et nous conduit vers Dieu le Père.

Un véritable chrétien ne pense jamais que l’unité dans la foi, la fidélité au magistère et à la Tradition de l’Église, et le souci de faire parvenir aux autres la parole salvatrice du Christ, s’opposent à la diversité d’attitudes dans les choses que Dieu a laissées, comme on a coutume de dire, à la libre discussion des hommes. Mieux encore, il est pleinement conscient que cette variété fait partie du plan divin, est voulue par Dieu qui répartit ses dons et ses lumières comme Il l’entend. Le chrétien doit aimer les autres, et, par conséquent, respecter les opinions contraires aux siennes et vivre en toute fraternité avec ceux qui pensent autrement.

C’est précisément parce que les membres de l’Œuvre ont été formés dans cet esprit que nul ne songe – c’est impossible – à tirer parti de son appartenance à l’Opus Dei pour obtenir des avantages personnels, ou pour tâcher d’imposer aux autres des options politiques ou culturelles. Les autres ne le toléreraient pas et ils pousseraient l’indélicat à changer d’attitude ou à quitter l’Œuvre. C’est là un point sur lequel personne, dans l’Opus Dei, ne pourra jamais permettre le moindre écart, car chacun doit défendre non seulement sa propre liberté, mais encore la nature surnaturelle du travail auquel il s’est donné. Voilà pourquoi je pense que la liberté et la responsabilité personnelle sont les meilleures garanties de la finalité surnaturelle de l’Œuvre de Dieu.

On peut penser, sans doute, que, jusqu’à présent, l’Opus Dei a été favorisé par l’enthousiasme des premiers membres, même s’ils sont déjà plusieurs milliers. Existe-t-il quelque mesure qui assure la continuité de l’Œuvre contre le risque, naturel à toute institution, d’un éventuel refroidissement de la ferveur et de l’impulsion initiales ?

L’Œuvre ne se fonde pas sur l’enthousiasme, mais sur la foi. Les années du début – de longues années – furent très dures et l’on n’y voyait que difficultés. L’Opus Dei est allé de l’avant par la grâce divine, ainsi que par la prière et le sacrifice des premiers membres, en l’absence de tout recours humain. Il n’y avait que jeunesse, bonne humeur et désir d’accomplir la volonté de Dieu.

Dès le début, l’arme de l’Opus Dei a été la prière, la vie offerte, le renoncement silencieux à tout égoïsme, pour le service des âmes. Comme je le disais tout à l’heure, on vient à l’Opus Dei recevoir un esprit qui induit précisément à tout donner, sans cesser de travailler professionnellement par amour pour Dieu et, à travers Lui, pour ses créatures.

La garantie qu’un refroidissement ne se produira pas et que mes fils ne perdront jamais cet esprit ? Je sais que les œuvres humaines s’usent avec le temps ; mais cela ne se produit pas pour les œuvres divines, à moins que les hommes ne les avilissent. C’est lorsqu’on perd l’impulsion divine qu’apparaissent la corruption, la décadence, et alors seulement. Dans notre cas, l’intervention de la Providence est clairement visible, qui a fait en si peu de temps, – quarante années – que cette vocation divine spécifique soit reçue et exercée, parmi les citoyens ordinaires, pareils aux autres, dans des nations si diverses.

L’Opus Dei a pour fin, je le répète une fois de plus, la sainteté de chacun de ses membres, hommes et femmes, au lieu même qu’ils occupaient dans la société. Si l’on ne vient pas à l’Opus Dei pour devenir saint, en dépit de ses faiblesses – c’est-à-dire en dépit de ses propres misères, de ses erreurs personnelles –, on en sortira aussitôt. Je pense que la sainteté appelle la sainteté, et je demande à Dieu que cette conviction profonde, cette vie de foi ne fassent jamais défaut dans l’Opus Dei. Comme vous le voyez, nous ne nous fions pas exclusivement à des garanties humaines ou juridiques. Les œuvres que Dieu inspire évoluent au rythme de la grâce. La seule recette que j’aie, la voici : être saints, vouloir être saints, d’une sainteté personnelle.