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5 points de « Quand le Christ passe » sont liés au thème "Coeur".

Nous ne pouvons pas nous cacher qu’il reste beaucoup à faire. Un jour, contemplant peut-être la douce ondulation des épis déjà mûrs, Jésus dit à ses disciples : la moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux ; priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. Maintenant comme alors, on continue de manquer d’ouvriers qui acceptent de supporter le poids du jour et de la chaleur. Et si nous, qui travaillons, nous ne sommes pas fidèles, il arrivera ce qu’écrit le prophète Joël : La campagne est ravagée, les glèbes sont en deuil. Car les blés sont ravagés, le moût fait défaut, l’huile fraîche tarit. Soyez consternés, laboureurs, lamentez-vous, vignerons, sur le froment et sur l’orge, car elle est perdue la moisson des champs.

Il n’y a pas de récolte si l’on n’est pas disposé à accepter généreusement un travail constant qui peut devenir long et fatigant : labourer la terre, semer la semence, prendre soin des champs, faire la moisson et le battage… C’est dans l’histoire, c’est dans le temps que se construit le Royaume de Dieu. Le Seigneur nous a confié cette tâche à tous, et aucun de nous ne peut s’en sentir exempté. En adorant et en regardant aujourd’hui le Christ dans l’Eucharistie, pensons que l’heure du repos n’est pas encore venue, que la journée continue.

Il est dit dans le livre des Proverbes que qui cultive sa terre sera rassasié de pain. Essayons de nous appliquer le sens spirituel de ce passage : celui qui ne laboure pas le champ de Dieu, celui qui n’est pas fidèle à la mission divine de se donner aux autres, en les aidant à connaître le Christ, pourra difficilement comprendre ce qu’est le Pain Eucharistique. Personne n’attache de prix à ce qui ne lui a pas coûté d’effort. Pour apprécier et aimer la Sainte Eucharistie, il est nécessaire de parcourir le chemin du Christ : être blé, mourir à nous-mêmes, renaître pleins de vie et donner du fruit en abondance : cent pour un !

Ce chemin se résume en un seul mot : aimer. Aimer, c’est avoir le cœur grand, ressentir les préoccupations de ceux qui nous entourent, savoir pardonner et comprendre : se sacrifier, avec Jésus-Christ, pour toutes les âmes. Si nous aimons avec le cœur du Christ, nous apprendrons à servir et nous défendrons la vérité avec clarté et amour. Pour aimer de la sorte, il faut que chacun de vous extirpe de sa vie personnelle tout ce qui gêne la vie du Christ en lui : le goût du confort, la tentation de l’égoïsme, la tendance à briller. Ce n’est qu’en reproduisant en nous cette vie du Christ que nous pourrons la transmettre aux autres ; ce n’est qu’en faisant l’expérience de la mort du grain de blé que nous pourrons travailler dans les entrailles de la terre, la transformer de l’intérieur, la rendre féconde.

L’optimisme chrétien

Je ne peux résister au désir de vous confier quelque chose qui est pour moi à la fois une peine et un stimulant: la pensée qu’il y a encore tant d’hommes qui ne connaissent pas le Christ, qui n’ont même pas l’avant-goût de ce bonheur intime qui nous attend au ciel, et qui cheminent sur terre comme des aveugles à la recherche d’une joie dont ils ignorent le vrai nom, ou bien égarés sur des voies qui les éloignent de plus en plus du vrai bonheur. Comme l’on comprend ce qu’a dû ressentir l’apôtre Paul, dans cette nuit qu’il passa à Troade, lorsque, parmi ses rêves, surgit cette vision: un Macédonien était là, debout, qui lui adressait cette prière: “Passe en Macédoine, viens à notre secours!” Aussitôt après cette vision, ils cherchèrent — Paul et Timothée — à partir pour la Macédoine, persuadés que Dieu les appelait à l’évangéliser.

Ne sentez-vous pas, vous aussi, que Dieu nous appelle, qu’il nous pousse — à travers tout ce qui se passe autour de nous — à proclamer la Bonne Nouvelle de la venue de Jésus ? Mais nous, les chrétiens, nous enlevons bien souvent à notre vocation de sa grandeur, nous sombrons dans la superficialité, nous perdons notre temps en polémiques et en rancœurs. Quand il ne s’agit pas, ce qui est pire encore, du scandale hypocrite de certains, devant d’autres manières que la leur de vivre tel ou tel aspect de la foi, telle ou telle dévotion. Alors, au lieu d’ouvrir eux-mêmes un chemin, et de s’efforcer de vivre selon ce qui leur semble être bon, ils se consacrent à critiquer et à détruire. Il peut bien sûr apparaître, et il apparaît en fait, des déficiences dans la vie des chrétiens. Mais l’important, ce n’est pas nous, ni nos misères: la seule réalité qui compte, c’est Jésus. C’est du Christ que nous devons parler, non de nous-mêmes.

Ce sont certains commentaires relatifs à une prétendue crise de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, qui m’ont inspiré les réflexions que je viens de faire. Cette crise n’existe pas; la vraie dévotion fut et reste toujours une attitude vivante, pleine de sens humain et de sens surnaturel. Ses fruits ont été et sont toujours savoureux: la conversion, le don de soi, l’accomplissement de la volonté de Dieu, la pénétration, à la lumière de l’amour, des mystères de la Rédemption.

Je n’en dirai pas autant, par contre, des manifestations de sentimentalisme inefficace, à force de carence de doctrine et d’excès de piétisme. Elles ne me plaisent pas non plus, ces images maniérées, ces représentations du Sacré-Cœur incapables de suggérer une dévotion sincère à des personnes douées de bon sens surnaturel chrétien. Mais il n’est pas très logique de faire de certains usages abusifs, qui finissent par disparaître d’eux-mêmes, un problème doctrinal et théologique.

Si l’on peut parler de crise, c’est du cœur des hommes qu’elle naît, car ils n’arrivent pas — par myopie, par égoïsme, par étroitesse de vue — à entrevoir l’insondable amour de Notre Seigneur Jésus-Christ. Dès l’institution de la fête d’aujourd’hui, la liturgie de la sainte Église a su offrir un aliment à la véritable piété, en choisissant pour la lecture de la messe, un passage des épîtres de saint Paul qui nous propose tout un programme de vie contemplative — connaissance et amour, prière et vie — à partir de cette dévotion au Cœur de Jésus. C’est Dieu lui-même qui, par la bouche de son Apôtre, nous invite à nous avancer sur ce chemin: Que le Christ habite en vos cœurs par la foi, et que vous soyez enracinés, fondés dans l’amour. Ainsi vous recevrez la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, vous connaîtrez l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, et vous entrerez par votre plénitude dans toute la Plénitude de Dieu.

Cette plénitude de Dieu nous est révélée et conférée dans le Christ, dans l’Amour du Christ, dans le Cœur du Christ. Car c’est le Cœur de Celui en qui habite, corporellement, toute la Plénitude de la Divinité. Voilà pourquoi, si nous perdions de vue ce grand dessein de Dieu — ce courant d’amour instauré dans le monde par l’Incarnation, la Rédemption et la Pentecôte — nous ne comprendrions plus les délicatesses du Cœur du Seigneur.

La vraie dévotion au Cœur du Christ

Conservons présente à l’esprit la richesse que renferment ces mots: Cœur Sacré de Jésus. Lorsque nous parlons du cœur humain, nous ne faisons pas seulement allusion aux sentiments, nous pensons à la personne tout entière qui fréquente, qui aime, qui chérit les autres. Et dans la bouche des hommes qui ont recueilli l’Écriture Sainte pour que nous puissions mieux comprendre les mystères divins, le cœur est considéré comme le résumé, la source, l’expression, le fond ultime des pensées, des paroles et des actes. Un homme vaut ce que vaut son cœur, disons-nous encore aujourd’hui.

C’est du cœur que viennent la joie: Que mon cœur exulte, admis en ton salut; le repentir: Mon cœur est pareil à la cire, il fond au milieu de mes viscères; la louange de Dieu: Mon cœur a frémi de paroles belles; la décision d’écouter le Seigneur: Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt; la veille, entretenue par l’amour: Je dors, mais mon cœur veille. Et tout autant le doute, la crainte: Que votre cœur cesse de se troubler, croyez en Dieu, croyez en moi.

Le cœur ne ressent pas seulement les choses: il sait, il comprend. La loi de Dieu est déposée en lui, c’est en lui qu’elle demeure inscrite. L’Écriture ajoute encore: C’est du trop-plein du cœur que la bouche parle Le Seigneur jette à la face de certains scribes: Pourquoi ces mauvais sentiments dans vos cœurs ? Et pour condenser tous les péchés que l’homme peut commettre, il affirme: Du cœur, en effet, procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations.

Quand la Sainte Écriture parle du cœur, il ne s’agit pas d’un sentiment passager, provoquant l’émotion ou les larmes. On parle du cœur pour désigner la personne tout entière orientée — corps et âme — comme le Christ Jésus lui-même l’a montré, vers ce qu’elle considère comme son bien: Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur.

C’est pourquoi, en parlant maintenant du Cœur de Jésus, nous donnons tout son poids à cette certitude de l’amour de Dieu et à la vérité de son don à notre égard. Recommander la dévotion à ce Cœur Sacré, c’est nous recommander de nous diriger nous-mêmes avec absolument tout ce que nous sommes: âme, sentiments, pensées, paroles, actions, peines et joies, vers Jésus tout entier.

La vraie dévotion au Cœur de Jésus consiste à connaître Dieu, à nous connaître nous-mêmes, à fixer notre regard sur Jésus, à recourir à celui qui nous encourage, nous enseigne et nous guide. Cette dévotion n’est superficielle que pour l’homme qui, faute de n’être pas parvenu à être vraiment humain, n’arrive pas à pénétrer la réalité du Dieu incarné.

Si nous ne l’apprenons pas de Jésus, jamais nous n’aimerons. Si nous pensions, comme certains, que garder un cœur pur et digne de Dieu, consiste à le préserver, à ne pas le contaminer au contact de sentiments intensément humains, il en résulterait logiquement que nous serions insensibles à la douleur des autres. Nous ne serions plus capables que d’une charité officielle, sèche, sans âme, et non de la véritable charité de Jésus-Christ, qui est tendresse et chaleur humaine. Et je ne veux pas par là donner créance à des fausses théories qui sont en fait de tristes excuses pour dévier les cœurs — en les écartant de Dieu — et les conduire au danger et à la perdition.

En cette fête d’aujourd’hui, nous devons demander au Seigneur qu’il nous accorde un cœur bon, capable de sentir s’éveiller en lui la compassion à l’égard des peines des créatures, capable de comprendre que, pour porter remède aux tourments qui assaillent, et bien souvent angoissent, les âmes en ce monde, le véritable baume est l’amour, la charité: toutes les autres consolations servent à peine à distraire un moment pour ne laisser, plus tard, qu’amertume et désespoir.

Si nous voulons aider les autres, nous devons les aimer — j’insiste — d’un amour fait de compréhension, de don de soi, d’affection et d’humilité volontaire. Alors nous comprendrons pourquoi le Seigneur a choisi de résumer toute la Loi en ce double commandement qui n’en fait, en réalité, qu’un seul et unique: l’amour de Dieu et l’amour du prochain, de tout notre cœur.

Vous allez peut-être penser, maintenant, que souvent, nous, les chrétiens — non pas les autres, mais toi et moi —, nous oublions les applications les plus élémentaires de ce devoir. Vous pensez peut-être à tant d’injustices auxquelles on ne porte nul remède, à ces abus qui restent impunis, à ces situations injustes qui se transmettent d’une génération à l’autre sans que l’on songe à leur apporter une solution radicale.

Je ne peux vous proposer une manière concrète de résoudre ces problèmes — et d’ailleurs je n’ai pas à le faire. Mais, en tant que prêtre du Christ, il est de mon devoir de vous rappeler ce que dit la Sainte Écriture. Méditez, dans la scène du jugement que Jésus lui-même a décrite, ce: Allez, loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été prépare par le Diable et ses anges. Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger, j’ai eu soif et vous ne m’avez pas donné à boire, j’étais un étranger et vous ne m’avez pas accueilli, nu et vous ne m’avez pas vêtu, malade et prisonnier, et vous ne m’avez pas visité.

Un homme ou une société qui demeurent passifs devant les tribulations ou les injustices, qui ne s’efforcent pas de les soulager, n’est pas à la mesure de l’amour du Cœur du Christ. Les chrétiens — tout en conservant leur liberté d’étudier et de mettre en œuvre différentes solutions, en fonction d’un pluralisme légitime —, doivent avoir en commun ce même désir de servir l’humanité. Sinon, leur christianisme ne sera pas la Parole et la Vie de Jésus: ce sera un déguisement, une mascarade devant Dieu et devant les hommes.

La paix du Christ

Comme tu es grand, ô notre Seigneur et notre Dieu ! C’est toi qui donnes à notre vie un sens surnaturel et une efficacité divine. C’est grâce à toi que l’amour pour ton Fils nous fait répéter avec toute la force de notre être, avec notre âme et avec notre corps : opportet illum regnare ! alors même que retentit la complainte de notre faiblesse. Car, comme tu le sais, nous sommes des créatures (et quelles créatures !) dont non seulement les pieds, mais le cœur et la tête sont faits de glaise. Elevés au plan divin, nous vibrerons exclusivement pour toi.

Le Christ doit avant tout régner en notre âme. Mais que pourrions-nous lui répondre s’il nous demandait : et toi, comment me laisses-tu régner en toi ? Je lui répondrais que pour qu’il règne en moi, j’ai besoin de sa grâce en abondance. C’est le seul moyen pour que tout, le moindre battement de cœur, le moindre souffle, le moindre regard, le mot le plus anodin, la sensation la plus élémentaire se transforme en un hosanna à mon Christ Roi.

Si nous voulons que le Christ règne, nous devons agir en conséquence et commencer par lui faire don de notre cœur. Si nous n’agissions pas ainsi, parler de la royauté du Christ ne serait que clameur dépourvue de sens chrétien, que manifestation extérieure d’une foi qui n’existerait pas, qu’utilisation frauduleuse du nom de Dieu pour des transactions humaines.

Si la condition, pour que Jésus règne en ton âme et en la mienne, était qu’il trouve en nous une demeure digne, nous aurions de quoi nous désespérer. Mais sois sans crainte, fille de Sion : voici venir ton roi, monté sur le petit d’une ânesse. Voyez de quel pauvre animal Jésus se contente pour trône. Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais personnellement cela ne m’humilie pas de me reconnaître âne aux yeux du Seigneur : j’étais une brute devant toi. Et moi, qui restais devant toi, tu m’as saisi par ma main droite, tu me conduis par le licol.

Rappelez-vous les traits caractéristiques de l’âne, non de ceux du vieil âne, têtu et rancunier qui se venge d’une ruade traîtresse, mais de ceux de l’âne jeune, aux oreilles dressées comme des antennes, austère dans sa nourriture, obstiné dans le travail, au trot allègre et décidé. Certes, il existe des centaines d’animaux plus beaux, plus habiles et plus cruels, mais c’est lui qu’a choisi le Christ pour se présenter en roi au peuple qui l’acclamait. Car Jésus n’a que faire de l’astuce calculatrice, de la cruauté des cœurs froids, de la beauté qui brille mais qui n’est qu’apparence. Notre Seigneur aime la joie d’un cœur jeune, la démarche simple, la voix bien posée, le regard limpide, l’oreille attentive à sa parole affectueuse. C’est ainsi qu’il règne dans l’âme.

Régner en servant