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3 points de « Quand le Christ passe » sont liés au thème "Dimanche des Rameaux".

Comme toute fête chrétienne, celle que nous célébrons aujourd’hui est, avant tout, une fête de paix. Les Rameaux évoquent, par un symbolisme très ancien, une scène de la Genèse. Noë attendit encore sept jours, puis lâcha encore une fois la colombe ; celle-ci revint le soir, tenant dans son bec un rameau d’olivier. Ainsi Noë sut que les eaux ne recouvraient plus toute la terre. Nous commémorons, aujourd’hui, la confirmation et l’établissement dans le Christ de l’alliance entre Dieu et son peuple, parce qu’Il est notre paix.

Dans cette merveilleuse unité du “nouveau”, perpétuant le souvenir de “l’ancien”, qui caractérise la liturgie de notre sainte Église catholique, nous lisons, aujourd’hui, ces paroles de joie profonde : les enfants des Juifs, portant des rameaux d’olivier, allèrent à la rencontre du Seigneur en proclamant : gloire au plus haut des cieux.

L’acclamation adressée à Jésus s’unit, dans notre âme, à celle qui avait salué sa naissance à Bethléem. Sur le passage de Jésus, raconte saint Luc, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin ; déjà il s’approchait du Mont des Oliviers, et les disciples, transportés de joie, se mirent à louer Dieu d’une voix forte pour tous les miracles qu’ils avaient vus. Ils disaient : béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur, paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux.

Paix sur la terre

Paix dans le Ciel : pax in cœlo. Mais regardons aussi le monde : Pourquoi n’y a-t-il pas de paix sur la terre ? Non, il n’y a pas de paix ; il n’y a que des apparences de paix, un équilibre de la peur, des engagements fragiles. Il n’y a pas, non plus, de paix dans l’Église, traversée de tensions qui déchirent la blanche tunique de l’Épouse du Christ. Il n’y a pas de paix dans de nombreux cœurs, qui cherchent en vain à combler l’inquiétude de leur âme par un continuel affairement, par la mesquine satisfaction de posséder des biens qui ne rassasient pas, parce qu’ils laissent toujours un arrière-goût de tristesse.

Les feuilles de palmes, écrit saint Augustin, représentent une victoire. Le Seigneur s’apprête à vaincre en mourant sur la Croix. Il s’avance sous le signe de la Croix vers le triomphe remporté sur le diable, prince de la Mort. Le Christ est notre Paix, parce qu’il a vaincu, et il a vaincu parce qu’il a lutté, dans une rude bataille menée contre l’accumulation de méchanceté du cœur humain.

Le Christ, qui est notre Paix, est aussi le chemin. Si nous voulons posséder la paix, nous devons lui emboîter le pas. La paix est la conséquence de la guerre, de la lutte, de cette lutte ascétique, intime, que chaque chrétien doit soutenir contre tout ce qui, dans sa vie, ne vient pas de Dieu : contre l’orgueil, la sensualité, l’égoïsme, la superficialité, l’étroitesse de cœur. Il est inutile de réclamer à grands cris la tranquillité extérieure, si le calme fait défaut dans les consciences, au fond de l’âme, parce que c’est du cœur que procèdent mauvaises pensées, meurtres, adultères, débauches, faux témoignages, blasphèmes.

La lutte : un engagement d’amour et de justice

Supporte les difficultés comme un bon soldat de Jésus-Christ, nous dit saint Paul. La vie du chrétien est un service, c’est une guerre. C’est une merveilleuse guerre pacifique, qui n’a rien à voir avec les entreprises belliqueuses des hommes, inspirées par la division et souvent par la haine ; alors que la guerre des enfants de Dieu contre leur propre égoïsme est fondée sur l’amour et l’unité. Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. Ce sont les escarmouches sans trêve contre l’orgueil, contre la prédisposition au mal, contre la suffisance dans les jugements.

En ce dimanche des Rameaux, Notre Seigneur entame une semaine décisive pour notre salut. Laissons donc de côté les considérations superficielles, et allons à l’essentiel, à ce qui est réellement important. Veillez-y bien : le but de nos efforts doit être d’aller au ciel. Autrement, nous perdons notre peine. Pour aller au ciel il est indispensable d’être fidèle à la doctrine du Christ. Pour être fidèle il est indispensable de poursuivre, avec confiance et ténacité, notre lutte contre les obstacles qui se dressent devant notre bonheur éternel.

Je sais bien que, dès que nous parlons de combat, nous pensons à notre faiblesse et nous prévoyons des chutes, des erreurs. Mais Dieu en tient compte. Il est inévitable que, en cheminant, nous soulevions de la poussière. Nous sommes des êtres créés, donc pleins de défauts. J’irai jusqu’à dire qu’il faut toujours en avoir : ce sont les taches d’ombre qui, dans notre âme, font ressortir davantage, par contraste, la grâce de Dieu et notre volonté de répondre à la faveur divine. C’est ce clair-obscur qui fait de nous des hommes humbles, compréhensifs, généreux.

Ne nous y trompons pas. Si notre vie comporte des actions d’éclat et des succès, elle a aussi ses chutes et ses déroutes. Il en a toujours été ainsi du pèlerinage sur terre des chrétiens, y compris de ceux que nous vénérons sur les autels. Vous souvenez-vous de Pierre, d’Augustin, de François ? Jamais je n’ai aimé ces biographies de saints dans lesquelles, autant par naïveté que par ignorance, on nous chante les exploits de ces hommes, comme s’ils s’étaient vu confirmés dans la grâce dès le sein de leur mère. Non. Les biographies authentiques des héros chrétiens ressemblent à nos vies : ils luttaient et gagnaient, puis luttaient et perdaient. Et alors, pleins de repentir, ils repartaient pour le combat.

Il ne faut pas nous étonner si nous sommes vaincus assez fréquemment : ce sera, habituellement — si ce n’est pas toujours — en des matières de peu d’importance, qui nous agacent comme si elles en avaient beaucoup. S’il y a amour de Dieu, s’il y a humilité, s’il y a persévérance et ténacité dans notre combat, ces échecs ne prendront que peu d’importance. Parce que viendra ensuite la victoire, qui sera gloire aux yeux de Dieu. Il n’y a pas d’échec quand on agit en toute droiture d’intention en ayant le désir d’accomplir la volonté de Dieu et en tenant toujours compte de sa grâce, comme de notre néant.

La liturgie du Dimanche des Rameaux met dans la bouche des chrétiens ce cantique : Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles, qu’il entre, le roi de gloire. Celui qui demeure reclus dans la citadelle de son égoïsme ne descendra pas sur le champ de bataille. Cependant, s’il soulève les portes de force et laisse entrer le Roi de paix, il sortira avec lui pour combattre la misère qui obscurcit nos yeux et insensibilise notre conscience.

Levez-vous portes éternelles. Cette exigence de la lutte n’est pas nouvelle dans le christianisme. C’est la vérité éternelle. Sans lutte, on ne remporte pas la victoire ; sans victoire, on n’obtient pas la paix. Sans paix, la joie humaine n’est qu’une joie apparente, fausse et stérile ; elle ne se manifeste ni par une aide apportée aux hommes, ni par la pratique de la charité et de la justice, du pardon et de la miséricorde, ni par le service de Dieu.

Maintenant, en dedans et en dehors de l’Église, en haut comme en bas de l’échelle, il semble que beaucoup aient renoncé à la lutte — à cette guerre personnelle contre leurs propres faiblesses —, pour se livrer, avec armes et bagages, à des servitudes qui avilissent l’âme. Tous les chrétiens seront toujours menacés de ce danger.

C’est pourquoi il nous faut recourir avec insistance à la Très Sainte Trinité, pour qu’elle ait compassion de tous. En parlant de cela, je tremble à l’idée de la justice de Dieu. Je fais appel à sa miséricorde, à sa compassion, pour qu’il ne regarde pas nos péchés, mais les mérites du Christ et ceux de sa sainte Mère, qui est aussi notre Mère, ceux du Patriarche saint Joseph qui lui tient lieu de Père, ceux des saints.

Le chrétien peut vivre avec l’assurance que, s’il désire lutter, Dieu le saisira de sa main droite, comme on peut le lire à la messe d’aujourd’hui. Jésus, qui entre à Jérusalem en chevauchant un pauvre âne, est le Roi de paix qui nous dit : le royaume des cieux est emporté de force, et ce sont les violents qui le conquièrent.

Cette force ne doit pas se traduire par la violence envers les autres : c’est la force qui s’exerce à combattre nos propres faiblesses et nos misères ; c’est la vaillance qui nous empêche de déguiser nos infidélités personnelles ; c’est l’audace qui nous fait confesser la foi, même quand l’ambiance lui est contraire.

Aujourd’hui comme hier, c’est l’héroïsme que l’on attend d’un chrétien. Héroïsme dans les grandes luttes, s’il le faut. Héroïsme — et c’est cela qui est normal — dans les petites batailles de chaque jour. Quand on lutte continuellement, avec Amour, de cette façon qui paraît insignifiante, le Seigneur est toujours aux cotés de ses enfants, comme un pasteur plein d’amour : Moi-même, je paîtrai mes brebis ; moi, je les ferai reposer. Je chercherai celle qui était perdue, je ramènerai celle qui était égarée ; je panserai celle qui est blessée, et je rendrai force à celle qui est infirme… ils seront en sécurité sur leur terre, et ils sauront que je suis Yahwé, quand je briserai les barres de leur joug, et que je les délivrerai de ceux qui les asservissent.