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7 points de « Amis de Dieu » sont liés à la thématique Rédemption → charité.

Sous le nom de prochain, dit saint Léon le Grand, nous ne devons pas seulement voir ceux qui nous sont unis par les liens de l’amitié ou de la parenté, mais tous les hommes qui participent avec nous d’une même nature… Un est le Créateur qui nous a faits, un aussi le Créateur qui nous a donné l’âme. Nous jouissons tous d’un même ciel et d’un même air, des mêmes jours et des mêmes nuits et, bien que les uns soient bons et les autres méchants, les uns justes et les autres injustes, Dieu cependant est généreux et bon envers tous.

Les fils de Dieu que nous sommes se forgeront dans la pratique de ce commandement nouveau ; nous apprenons dans l’Église à servir et non à être servis, et nous nous sentons la force d’aimer l’humanité d’une façon nouvelle, dans laquelle tous verront le fruit de la grâce du Christ. L’amour dont nous parlons n’a rien à voir avec une attitude sentimentale ni avec la simple camaraderie, ou avec l’intention quelque peu ambiguë d’aider les autres pour nous prouver à nous-mêmes que nous leur sommes supérieurs. Il consiste à vivre avec notre prochain, à vénérer, j’insiste, l’image de Dieu qui se trouve en chaque homme, l’aidant à la contempler lui-même, pour qu’à son tour il sache s’adresser au Christ.

L’universalité de la charité signifie donc l’universalité de l’apostolat : nous avons à traduire en œuvres et en vérité le grand dessein de Dieu, qui veut que tous les hommes se sauvent et parviennent à la connaissance de la vérité.

Si nous devons aimer aussi nos ennemis — je veux dire ceux qui nous placent parmi leurs ennemis, car je ne me sens l’ennemi de rien ni de personne — à plus forte raison devons-nous aimer ceux qui ne sont qu’éloignés, ceux qui nous sont moins sympathiques, ceux qui, par leur langue, leur culture ou leur éducation, semblent être à l’opposé de nous-mêmes.

De quel amour s’agit-il ? La Sainte Écriture parle de dilectio, afin que l’on comprenne bien qu’il ne s’agit pas seulement d’affection sensible. Ce mot exprime plutôt une ferme détermination de la volonté. Dilectio vient de electio, d’élire. J’ajouterai qu’aimer en chrétien signifie vouloir aimer, se décider dans le Christ à chercher le bien des âmes, sans discrimination d’aucun genre, en leur voulant, par-dessus tout, le plus grand bien : qu’elles connaissent le Christ et s’en éprennent.

Le Seigneur nous presse : Soyez bons pour ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. Nous pouvons ne pas nous sentir humainement attirés par des personnes qui nous rejetteraient si nous nous approchions d’elles. Mais Jésus nous demande de ne pas leur rendre le mal pour le mal, de ne pas laisser échapper les occasions de les servir de tout notre cœur, quoiqu’il nous en coûte ; de les avoir toujours présentes dans nos prières.

Cette dilectio, cette charité, revêt des nuances plus intimes quand il s’agit de nos frères dans la foi, tout particulièrement de ceux qui se trouvent plus près de nous, parce que Dieu l’a établi ainsi : parents, mari ou femme, enfants, frères et sœurs, amis, collègues et voisins. Sans cette affection, qui est un amour humain noble et pur, ordonné vers Dieu et fondé en lui, la charité n’existerait pas.

Des manifestations de l’amour

L’une des premières manifestations de la charité consiste concrètement à engager l’âme sur la voie de l’humilité. Lorsqu’en toute sincérité nous nous prenons pour moins que rien et que nous comprenons que la plus faible et la plus insignifiante des créatures serait meilleure que nous, si nous n’avions le secours divin ; quand nous nous sentons capables de toutes les erreurs et de toutes les horreurs, quand nous nous savons pécheurs, malgré notre lutte acharnée pour éviter tant d’infidélités, comment allons-nous penser du mal des autres ? Comment saurions-nous nourrir dans notre cœur le fanatisme, l’intolérance, l’arrogance ?

L’humilité nous conduit comme par la main vers cette façon d’aborder notre prochain, qui est la meilleure : comprendre tous les hommes, vivre en bonne entente avec tous, pardonner à tous, ne créer ni divisions ni barrières, nous comporter, toujours, comme des instruments d’unité. Ce n’est pas en vain qu’il existe au fond de notre âme une forte aspiration à la paix, à l’union avec nos semblables, au respect mutuel des droits de la personne, de sorte que tous ces égards se transforment en fraternité. C’est le reflet de ce qu’il y a de plus précieux dans notre condition humaine ; si nous sommes tous enfants de Dieu, la fraternité ne se réduit pas à un lieu commun ; elle n’est pas non plus un idéal illusoire. Elle apparaît comme un but difficile mais réel.

Face à tous les cyniques, aux sceptiques, aux désabusés, à ceux qui se sont fait une mentalité de leur propre lâcheté, nous les chrétiens, nous devons prouver que cette affection est possible. Il existe peut-être beaucoup de difficultés pour agir de la sorte, car l’homme a été créé libre et il est en son pouvoir de tenir tête inutilement, amèrement, à Dieu ; mais cet amour est possible et réel, car cette conduite découle nécessairement de l’amour de Dieu et de l’amour pour Dieu. Si toi et moi nous aimons, Jésus-Christ aime aussi. Alors nous comprendrons dans toute leur profondeur et dans toute leur fécondité la douleur, le sacrifice et le dévouement désintéressé dans la vie de tous les jours.

L’exercice de la charité

Il pécherait par ingénuité celui qui s’imaginerait arriver facilement à bout des exigences de la charité chrétienne ! Notre expérience des rapports entre les hommes, et, malheureusement, au sein de l’Église est bien différente. Si l’amour ne nous obligeait pas à nous taire, chacun de nous pourrait parler longuement de divisions, attaques, injustices, médisances, intrigues. Il faut tout bonnement l’admettre pour essayer d’y remédier personnellement, en nous efforçant de ne blesser personne, de ne malmener personne, de ne pas accabler celui que nous corrigeons.

Ce n’est pas une affaire nouvelle. Peu d’années après l’Ascension de Jésus-Christ, alors que presque tous les apôtres se rendaient encore d’un endroit à un autre et qu’une ferveur formidable dans la foi et l’espérance était générale, beaucoup cependant commençaient à se fourvoyer, à ne pas vivre la charité du Maître.

Du moment où il y a parmi vous jalousie et discorde, n’est-il pas évident que vous êtes charnels et votre conduite n’est-elle pas toute humaine ? Lorsque vous dites, l’un : « moi je suis pour Paul » et l’autre : « moi pour Apollos », n’est-ce pas là bien humain ? n’est-ce pas là une conduite d’hommes qui ne comprennent pas que le Christ est venu abolir toutes ces divisions ? Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi, et chacun d’eux pour la part que le Seigneur lui a donnée. L’Apôtre ne rejette pas la diversité : Chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Mais ces différences doivent être canalisées pour le bien de l’Église. Je me sens poussé maintenant à demander au Seigneur, unissez-vous à ma prière si vous le voulez bien, de ne pas permettre que le manque d’amour soit comme de l’ivraie semée dans le champ de son Église. La charité est le sel dans l’apostolat des chrétiens ; s’il perd sa saveur, comment pourrions-nous affronter le monde et dire la tête haute : ici se trouve le Christ ?

C’est pourquoi je vous répète avec saint Paul : Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis pas plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

Face à ces propos de l’Apôtre des Gentils, il y a, bien sûr, ceux qui s’identifient à ces disciples du Christ qui, à l’annonce par notre Seigneur du sacrement de sa Chair et de son Sang, firent le commentaire suivant : Cette doctrine est trop dure. Qui peut l’écouter ? Oui, elle est dure cette doctrine. Car la charité que l’Apôtre nous décrit ne se limite pas à la philanthropie, à l’humanitarisme ou à la compassion, bien naturelle, devant la souffrance d’autrui : elle exige de pratiquer la vertu théologale de l’amour de Dieu et de l’amour des autres pour Dieu. C’est pourquoi la charité ne passe jamais. Les prophéties ? Elles se tairont. La science ? Elle disparaîtra. Car imparfaite est notre science, imparfaite aussi notre prophétie… Bref, la foi, l’espérance et la charité demeurent toutes les trois, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité.

Le seul chemin

Nous sommes maintenant convaincus que la charité n’a rien à voir avec cette caricature que parfois d’aucuns ont prétendu esquisser de cette vertu centrale dans la vie du chrétien. Alors pourquoi sommes-nous tenus de la prêcher continuellement ? S’agirait-il d’un thème en quelque sorte obligatoire, mais ayant peu de chances de se manifester dans des faits concrets ?

Si nous nous regardions autour de nous, il se pourrait que nous trouvions des raisons de croire que la charité est une vertu illusoire. Mais si toi et moi, nous envisageons les choses avec un esprit surnaturel, nous découvrirons aussi la racine de cette stérilité : l’absence de relations intenses et continuelles, en tête à tête, avec notre Seigneur Jésus Christ, et la méconnaissance de l’œuvre de l’Esprit Saint dans l’âme, dont le premier fruit est précisément la charité.

Reprenant quelques conseils de l’Apôtre, portez le fardeau les uns des autres et accomplissez ainsi la loi du Christ, un Père de l’Église ajoute : En aimant le Christ nous supporterons facilement les faiblesses des autres, même de celui que nous n’aimons pas encore parce que ses œuvres ne sont pas bonnes.

C’est dans cette direction que s’élève le chemin qui nous fait grandir dans la charité. Si nous pensons que nous devons d’abord exercer des activités humanitaires, des tâches d’assistance, en excluant l’amour du Seigneur, nous nous trompons. Nous ne devons pas délaisser le Christ parce que nous nous occupons de notre prochain malade, étant donné que nous devons aimer celui-ci à cause du Christ.

Voyez l’exemple de Jésus. Sans cesser d’être Dieu, il s’humilia, prenant la condition d’esclave pour pouvoir nous servir. Voilà la seule voie, le seul effort qui en vaille la peine. L’amour cherche l’union, l’identification avec la personne aimée. En nous unissant au Christ, nous serons pris du désir de le seconder dans cette vie de renoncement, d’aimer sans mesure et de nous sacrifier jusqu’à la mort. Le Christ nous place devant une alternative fondamentale : dépenser notre existence personnelle égoïstement et en solitaires, ou nous consacrer de toutes nos forces à une tâche de service.

Nous allons maintenant demander au Seigneur, pour finir ce moment de conversation avec lui, de nous accorder de pouvoir redire avec saint Paul : Nous triomphons par Celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai l’assurance, ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur.

L’Écriture chante aussi cet amour avec des mots enflammés : Les grandes eaux ne pourront éteindre l’Amour, ni les fleuves le submerger. C’est cet amour qui a toujours empli le Cœur de Marie, au point de lui donner des entrailles de Mère pour l’humanité entière. Chez la Sainte Vierge, l’amour de Dieu se confond aussi avec la sollicitude envers tous ses enfants. Son Cœur très doux, attentif aux moindres détails — ils ont besoin de vin — a du beaucoup souffrir en voyant cette cruauté collective et cet acharnement des bourreaux que furent la Passion et la Mort de Jésus. Mais Marie ne dit rien. Comme son Fils, elle aime, elle se tait et elle pardonne. Voilà la force de l’Amour.