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5 points de « Quand le Christ passe » sont liés à la thématique Apostolat → moyens surnaturels .

C’est dans ce climat de miséricorde de Dieu que se déroule l’existence du chrétien. C’est dans ce cadre que se situent ses efforts pour se comporter en fils du Père. Et quels sont les principaux moyens qui permettent à la vocation de s’affermir ? Je t’en signalerai aujourd’hui deux, qui sont comme les axes vivants de la conduite chrétienne : vie intérieure et formation doctrinale — connaissance profonde de notre foi.

Vie intérieure, tout d’abord : bien peu comprennent encore ce mot. Quand on entend parler de vie intérieure, on pense à l’obscurité du temple, quand ce n’est pas à l’atmosphère raréfiée de certaines sacristies. Depuis plus d’un quart de siècle, je dis que ce n’est pas cela. Je parle de la vie intérieure des chrétiens courants, que l’on rencontre habituellement en pleine rue, à l’air libre, et qui, dans la rue, à leur travail, dans leur famille, dans leurs moments de loisir demeurent, tout au long du jour, attentifs à Jésus-Christ. Qu’est-ce que cela, sinon une continuelle vie de prière ? N’as-tu pas compris qu’il te fallait être une âme de prière, grâce à un dialogue avec Dieu qui finit par t’assimiler à lui ? Voilà la foi chrétienne telle que les âmes de prière l’ont toujours comprise : devient Dieu celui qui veut les mêmes choses que Dieu.

Au début, cela te coûtera : il faut faire un effort pour se tourner vers le Seigneur, pour Le remercier de sa tendresse paternelle de chaque instant, envers nous. Mais, peu à peu, l’amour de Dieu devient sensible bien que ce ne soit pas une question de sentiment comme une empreinte dans notre âme. C’est le Christ qui nous poursuit amoureusement : voici que je suis à ta porte, et que je t’appelle. Comment va ta vie de prière ? N’éprouves-tu pas le besoin, pendant la journée de parler plus calmement avec lui ? Ne lui dis-tu pas : tout à l’heure je Te raconterai, tout à l’heure je parlerai de cela avec Toi ?

Dans les moments que nous consacrons spécialement à ce dialogue avec le Seigneur, notre cœur s’élargit, notre volonté s’affermit, notre intelligence, aidée par la grâce, imprègne de réalités surnaturelles les réalités humaines. Tu en tireras toujours des résolutions claires, pratiques, pour améliorer ta conduite et faire preuve envers tous les hommes d’une délicatesse pleine de charité, et te consacrer à fond, avec la ténacité des bons sportifs, à cette lutte chrétienne faite d’amour et de paix.

La prière devient constante, comme le battement du cœur, ou celui du pouls. Il n’y a pas de vie contemplative sans cette présence de Dieu et, sans vie contemplative, il ne sert pas à grand-chose de travailler pour le Christ, car les efforts de ceux qui construisent sont vains si Dieu ne soutient la maison.

Le sel de la mortification

Nous lui offrons de l’encens : nos désirs, qui s’élèvent vers le Seigneur, de mener une vie noble, d’où se dégage le bonus odor Christi, le parfum du Christ. Imprégner nos paroles et nos actions de ce bonus odor, c’est semer la compréhension, l’amitié. Que notre vie accompagne la vie des autres hommes, pour que personne ne se trouve ou ne se sente seul. Notre charité doit aussi être faite d’affection, de chaleur humaine.

Jésus-Christ nous l’enseigne. L’humanité attendait depuis des siècles la venue du Sauveur ; les prophètes l’avaient annoncée de mille manières ; et, jusqu’aux dernières extrémités de la terre — même si, à cause du péché et de l’ignorance, une grande partie de la Révélation de Dieu aux hommes se trouvait perdue — se conservaient le désir de Dieu et l’espérance du rachat.

La plénitude des temps arrive et, pour remplir cette mission, ce n’est pas un génie philosophe, comme Platon ou Socrate, qui apparaît ; ce n’est pas un conquérant puissant, comme Alexandre, qui s’installe sur la terre. C’est un enfant qui naît à Bethléem. Il est le Rédempteur du monde ; mais, avant même de parler, il montre son amour par des actes. Il n’apporte aucune formule magique parce qu’il sait que le salut qu’il offre doit passer par le cœur de l’homme. Ses premières actions sont des sourires, des pleurs d’enfant, le sommeil sans défense d’un Dieu incarné : et ceci pour nous inspirer de l’amour, pour que nous sachions l’accueillir dans nos bras.

Nous nous rendons compte maintenant, une fois de plus, de ce qu’est le christianisme. Si le chrétien n’aime pas avec des œuvres, il a échoué en tant que chrétien, et donc en tant que personne. Tu n’as pas le droit de penser aux autres comme s’ils étaient des numéros ou des marchepieds, tout juste bons à te permettre de monter ; ou une masse à exalter ou à humilier, à adorer ou à mépriser, suivant les cas. Pense aux autres — et avant tout, à ceux qui sont près de toi —, comme à ce qu’ils sont : des enfants de Dieu, avec toute la dignité qui s’attache à ce titre merveilleux.

Nous devons nous comporter comme des enfants de Dieu avec les enfants de Dieu : notre amour doit être un amour qui se sacrifie, un amour quotidien, fait de mille détails de compréhension, de sacrifice silencieux, de don discret de soi. Voilà le bonus odor Christi, qui faisait dire aux compagnons de nos premiers frères dans la foi : voyez comme ils s’aiment !

Il ne s’agit pas là d’un idéal lointain. Le chrétien n’est pas un Tartarin de Tarascon, obstiné à chasser le lion là où il ne peut le trouver, dans les couloirs de sa maison. Je préfère toujours parler de la vie quotidienne dans ce qu’elle a de concret, de la sanctification du travail, des relations familiales et de l’amitié. Si nous ne sommes pas chrétiens là, où le serons-nous ? La bonne odeur de l’encens provient d’une braise qui brûle sans ostentation une multitude de grains ; ce qui signale chez les hommes le bonus odor Christi ce n’est pas la flamme d’un feu de paille, mais l’efficacité d’un brasier de vertus qui se nomment justice, loyauté, fidélité, compréhension, joie…

Avec le merveilleux naturel de ce qui vient de Dieu, l’âme contemplative déborde du désir de faire l’apostolat : mon cœur brûlait en moi, à force d’y songer le feu flamba. De quel feu s’agit-il, si ce n’est de celui dont parle le Christ : je suis venu apporter le feu sur la terre et comme je voudrais qu’il brûle !.

Feu d’apostolat qui se fortifie dans la prière : il n’y a pas de meilleur moyen pour développer, d’un bout à l’autre du monde, cette bataille de paix à laquelle chaque chrétien est appelé à participer : compléter ce qui manque aux souffrances du Christ.

Jésus est monté au ciel, disions-nous. Mais le chrétien peut le fréquenter dans la prière et l’Eucharistie, comme le firent les douze premiers apôtres, s’enflammer de zèle apostolique pour accomplir avec lui ce service de corédemption qui consiste à semer la paix et la joie. Servir, donc ; l’apostolat n’est rien d’autre. Si nous comptons seulement sur nos propres forces, nous n’arriverons à rien dans le domaine surnaturel ; si nous sommes instruments de Dieu, nous parviendrons à tout : je peux tout en celui qui me rend fort. Dieu, en son infinie bonté, a voulu se servir de ces instruments maladroits. C’est ainsi que l’apôtre n’a pas d’autres fins que de laisser faire le Seigneur, de se montrer entièrement disponible, pour que Dieu réalise son œuvre de salut à travers ses créatures et à travers l’âme qu’il a choisie.

Est apôtre le chrétien qui se sent greffé sur le Christ, identifié au Christ par le baptême ; habilité à lutter pour lui par la confirmation ; appelé à servir Dieu en travaillant dans le monde par le sacerdoce commun des fidèles, qui confère une certaine participation au sacerdoce du Christ ; cette participation, tout en étant essentiellement distincte de celle qui constitue le sacerdoce ministériel, donne la capacité de prendre part au culte de l’Église, et d’aider les hommes dans leur route vers Dieu, par le témoignage de la parole et de l’exemple, par la prière et par l’expiation.

Chacun de nous doit être ipse Christus. C’est lui, l’unique médiateur entre Dieu et les hommes : et nous, nous nous unissons à lui pour offrir, avec lui, toutes choses au Père. Notre vocation d’enfants de Dieu, au milieu du monde, exige de nous que nous ne cherchions pas seulement notre sainteté personnelle, mais que nous allions par les chemins de la terre pour en faire des voies qui, malgré les obstacles, mèneront les âmes au Seigneur ; que nous prenions part, en tant que citoyens ordinaires, à toutes les activités temporelles, pour être le levain qui doit faire monter toute la pâte.

Le Christ est monté au ciel, mais il a conféré à tout ce qui est honnête et humain la possibilité concrète d’être racheté. Saint Grégoire le Grand reprend en termes frappants cette grande idée du christianisme : ainsi Jésus s’en retournait vers le lieu d’où il était venu, et revenait du lieu dans lequel il continuait à demeurer. En effet, au moment où il montait au ciel, il unissait par sa divinité le Ciel et la Terre. En cette fête d’aujourd’hui, il faut solennellement célébrer la suppression du décret qui nous condamnait, du jugement qui nous assujettissait à la corruption. La nature à laquelle s’adressaient les paroles : tu es poussière et tu redeviendras poussière (Gn 3, 19), cette même nature est aujourd’hui au ciel avec le Christ.

C’est pourquoi je ne me lasserai pas de répéter que le monde est sanctifiable et que cette tâche nous revient spécialement, à nous autres chrétiens. Nous devons le purifier des occasions de péché par lesquelles nous l’enlaidissons, et l’offrir au Seigneur comme une hostie spirituelle présentée et rendue digne par la grâce de Dieu et par notre effort. On ne peut plus vraiment dire qu’il y ait des réalités nobles qui soient exclusivement profanes après que le Verbe a daigné assumer intégralement une nature humaine et consacrer la terre par sa présence et le travail de ses mains. La grande mission que nous recevons, avec le baptême, est celle de la corédemption. La Charité du Christ nous presse de prendre sur nos épaules une partie de cette tâche divine qu’est le rachat des âmes.

Le Christ nous a appris, une fois pour toutes, le chemin de l’amour de Dieu : l’apostolat, c’est l’amour de Dieu, qui déborde, en se donnant aux autres. La vie intérieure suppose une union croissante avec le Christ, par le Pain et la Parole. Et le désir d’apostolat est la manifestation exacte, appropriée et nécessaire, de la vie intérieure. Quand on savoure l’amour de Dieu, on sent le poids des âmes. Il n’est pas possible de séparer la vie intérieure et l’apostolat, comme il n’est pas possible de séparer chez le Christ son être de Dieu fait homme et sa fonction de Rédempteur. Le Verbe a voulu s’incarner pour sauver les hommes, pour qu’ils ne fassent qu’un avec lui. Voilà la raison de sa venue. Nous le récitons dans le Credo. Il est descendu du ciel pour nous et pour notre salut.

L’apostolat fait partie de la nature même du chrétien : ce n’est pas quelque chose de surajouté, de superposé, d’extérieur à son activité quotidienne, à ses occupations professionnelles. Je n’ai cessé de le répéter depuis que le Seigneur a voulu faire naître l’Opus Dei : il s’agit de sanctifier le travail ordinaire, de se sanctifier dans cette tâche et de sanctifier les autres dans l’exercice de sa profession, chacun dans son état.

L’apostolat est comme la respiration du chrétien : un enfant de Dieu ne peut vivre sans ce frémissement de l’âme. La fête d’aujourd’hui nous rappelle que le zèle pour les âmes est un commandement amoureux du Seigneur qui, en montant dans sa gloire, nous envoie répandre son témoignage dans le monde entier. Notre responsabilité est grande : car être témoin du Christ suppose, avant tout, d’essayer de vivre selon sa doctrine, de lutter pour que notre conduite rappelle Jésus, évoque sa figure très aimable. Nous devons nous conduire de telle manière que les autres puissent dire en nous voyant : celui-ci est chrétien, parce qu’il n’a pas de haine, parce qu’il sait comprendre, parce qu’il n’est pas fanatique, parce qu’il domine ses instincts, parce qu’il se sacrifie, parce qu’il manifeste des sentiments de paix, et parce qu’il aime.

Le blé et l’ivraie

La meilleure manière de ne jamais perdre notre audace apostolique, cette soif authentique de servir tous les hommes, n’est autre que la plénitude de la vie de foi, d’espérance et d’amour ; en un mot, la sainteté. Je ne vois pas d’autre recette que celle-là : la sainteté personnelle.

Aujourd’hui, en union avec toute l’Église, nous célébrons le triomphe de la Mère, de la Fille et de l’Épouse de Dieu. Et, tout comme nous nous réjouissons, au moment de la Résurrection du Seigneur, trois jours après sa mort, nous nous réjouissons maintenant parce que Marie, après avoir accompagné Jésus de Bethléem à la Croix, est à côté de lui, avec son corps et avec son âme, et jouit de la gloire pour toute l’éternité. Telle est la mystérieuse économie divine : Notre Dame, en raison de sa participation complète à l’œuvre de notre salut, devait suivre de près les pas de son Fils : la pauvreté de Bethléem, la vie cachée de travail ordinaire à Nazareth, la manifestation de la divinité à Cana de Galilée, les outrages de la Passion, le divin Sacrifice de la Croix et l’éternelle béatitude du Paradis.

Tout cela nous concerne directement, car ce chemin surnaturel doit être aussi le nôtre. Marie nous montre que cette voie est praticable et qu’elle est sûre. Elle nous a précédé sur le chemin de l’imitation du Christ, et la glorification de Notre Mère représente pour nous la ferme espérance de notre salut. C’est pourquoi nous l’appelons spes nostra et causa nostræ lætitiæ, notre espérance et la cause de notre joie.

Nous ne pourrons jamais perdre l’assurance d’arriver à être saints, de répondre aux appels de Dieu, et de persévérer jusqu’au bout. Dieu, qui a commencé en nous l’oeuvre de notre sanctification, la mènera à son terme. Car si le Seigneur est pour nous, qui peut être contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous, comment ne nous fera-t-il pas don de tout avec lui ?

En cette fête, tout nous invite à la joie. La ferme espérance de notre sainteté personnelle est un don de Dieu. Mais l’homme ne peut demeurer passif. Rappelez-vous ces mots du Christ : Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renonce lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Vous voyez ? La croix, chaque jour. Nulla dies sine cruce ! pas un jour sans la Croix : pas une seule journée sans nous charger de la croix du Seigneur, sans prendre sur nous son joug. C’est pourquoi je n’ai pas voulu omettre non plus de vous rappeler que la joie de la Résurrection est la conséquence de la douleur de la Croix.

N’ayez crainte, cependant, car le Seigneur lui-même nous a dit : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau : c’est moi qui vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école :je suis doux et humble de cœur ; et vous trouverez du soulagement pour votre être, car mon joug est agréable et mon fardeau léger. Venez — commente saint Jean Chrysostome —, non pas pour rendre compte mais pour être délivrés de vos péchés venez, car je n’ai pas besoin de votre gloire, celle que vous pouvez m’apporter : j’ai besoin de votre salut. n’ayez pas peur, en entendant parler de joug, car il est doux ; n’ayez pas peur si je parle de fardeau, car il est léger.

Le chemin de notre sanctification personnelle passe, chaque jour, par la Croix : ce n’est pas un chemin morose, car c’est le Christ lui-même qui nous aide : et avec lui il n’y a pas de place pour la tristesse. In lætitia, nulla dies sine cruce ! me plaît-il de répéter ; avec l’âme débordante de joie, pas un jour sans la Croix.

La joie chrétienne