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5 points de « Quand le Christ passe » sont liés à la thématique Apostolat → sanctifier le monde.

Rien ne peut être étranger au zèle du Christ. Si nous cherchons la profondeur théologique, c’est-à-dire si nous ne nous limitons pas à un classement fonctionnel mais raisonnons avec rigueur, nous ne pourrons pas dire qu’il y ait des réalités — bonnes, nobles, voire indifférentes — exclusivement profanes, dès lors que le Verbe de Dieu a fixé sa demeure parmi les enfants des hommes, dès lors qu’il a eu faim et soif, qu’il a travaillé de ses mains, qu’il a connu l’amitié et l’obéissance, qu’il a éprouvé la douleur et subi la mort. Car chez le Christ, Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix.

Nous devons aimer le monde, le travail, les réalités humaines, car le monde est bon ; c’est le péché d’Adam qui a brisé la divine harmonie de la création. Mais Dieu le Père a envoyé son Fils unique pour rétablir la paix, afin que nous, devenus ses enfants d’adoption, nous puissions libérer la création du désordre et réconcilier toutes choses avec Dieu.

Aucune situation humaine ne saurait se répéter ; chacune est le fruit d’une vocation unique qui doit être vécue avec intensité et dans laquelle l’esprit du Christ doit être réalisé. Ainsi, en vivant chrétiennement parmi nos égaux une vie ordinaire, mais conforme à notre foi, nous serons le Christ présent parmi les hommes.

Permettez-moi de vous raconter un fait que j’ai vécu il y a de nombreuses années. Un homme bon, mais sans foi, me dit un jour en me montrant une mappemonde : Regarde, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Que veux-tu que je regarde ? lui demandai-je. Il me répondit : L’échec du Christ. Tant de siècles pour essayer de faire passer sa doctrine dans la vie des hommes, et vois le résultat. Cela me remplit tout d’abord de tristesse. Il est en effet très douloureux de constater que nombreux sont ceux qui ne connaissent pas encore le Seigneur et que, parmi ceux qui le connaissent, nombreux sont ceux qui vivent comme s’ils ne le connaissaient pas.

Mais cette impression ne dura qu’un instant, et fit place à l’amour et à la reconnaissance, parce que Jésus a voulu que chacun coopère librement à son œuvre rédemptrice. Il n’a pas échoué : sa doctrine et sa vie continuent de féconder le monde. La rédemption qu’il a réalisée est suffisante et surabondante.

Dieu ne veut pas d’esclaves. Il veut des fils et il respecte notre liberté. L’œuvre de salut continue et nous y participons. Le Christ veut, selon les dures paroles de saint Paul, que nous complétions en notre chair, en notre vie, ce qui manque à sa passion, pro corpore eius, quod est Ecclesia, pour son corps, qui est l’Église.

Cela vaut la peine de risquer sa vie, de se donner pleinement pour répondre à l’amour et à la confiance que Dieu met en nous. Cela vaut la peine, avant tout, de nous décider à prendre au sérieux notre foi chrétienne. Quand nous récitons le Credo, nous proclamons notre foi en Dieu le Père tout Puissant, en son Fils Jésus-Christ, qui est mort et ressuscité, en l’Esprit Saint, Seigneur et auteur de la vie. Nous confessons que l’Église, une, sainte, catholique et apostolique est le corps du Christ, animé par le Saint-Esprit. Nous nous réjouissons de la rémission des péchés et de l’espérance de la résurrection à venir. Mais ces vérités pénètrent-elles jusqu’au fond de notre cœur, ou bien restent-elles sur nos lèvres ? Le message divin de victoire, de joie et de paix de la Pentecôte, doit être le fondement inébranlable de la façon de penser, de réagir et de vivre de tout chrétien.

Force de Dieu et faiblesse humaine

En ce jour de la Fête-Dieu, nous allons méditer ensemble sur la profondeur de l’amour du Seigneur, qui l’a amené à demeurer caché sous les espèces sacramentelles. Il nous semble entendre de nos propres oreilles cette prédication qu’il adressait à la foule : Voici que le semeur est sorti pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus pour les manger. D’autres sont tombés sur les endroits pierreux où ils n’avaient pas beaucoup de terre, et aussitôt ils ont levé, parce qu’ils n’avaient pas de profondeur de terre, mais une fois le soleil levé, ils ont été brûlés et, faute de racine, se sont desséchés. D’autres sont tombés parmi les épines et les épines crûrent et les étouffèrent. D’autres sont tombés dans la bonne terre et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente.

La scène est d’actualité. Aujourd’hui le semeur divin sème encore sa semence à la volée. L’œuvre de salut continue de se réaliser, et le Seigneur veut se servir de nous ; il désire que nous, les chrétiens, nous ouvrions à son amour tous les chemins de la terre ; il nous invite à propager son message divin, par la doctrine et par l’exemple, jusqu’aux confins du monde. Il nous demande, à nous, citoyens de la société qu’est l’Église, et citoyens de la société civile, d’être chacun un autre Christ dans l’accomplissement fidèle de nos devoirs, en sanctifiant notre travail professionnel et les obligations de notre état.

Si nous considérons ce monde qui nous entoure, et que nous aimons parce qu’il est l’œuvre de Dieu, nous y verrons se réaliser la parabole : la parole de Jésus est féconde, elle suscite en de nombreuses âmes la soif de se donner et d’être fidèles. La vie et le comportement de ceux qui servent Dieu ont modifié l’histoire, et même beaucoup de ceux qui ne connaissent pas le Seigneur sont mûs, peut-être sans le savoir, par des idéaux dont l’origine se trouve dans le christianisme.

Nous voyons aussi qu’une partie de la semence tombe dans la terre stérile, ou parmi les épines et les broussailles ; qu’il y a des cœurs qui se ferment à la lumière de la foi. Si les idéaux de paix, de réconciliation, de fraternité sont acceptés et proclamés, ils sont trop souvent démentis par les faits. Quelques-uns s’acharnent en vain à bâillonner la voix de Dieu, en ayant recours, pour empêcher sa diffusion, soit à la force brutale, soit à une arme moins bruyante mais peut-être plus cruelle parce qu’elle insensibilise l’esprit : l’indifférence.

Le Pain de la vie éternelle

Jésus, vous disais-je au début, est le semeur. Et c’est avec les chrétiens qu’il poursuit ses semailles divines. Le Christ presse le blé dans ses mains blessées, il l’imbibe de son sang, le lave, le purifie et le lance dans le sillon qu’est le monde. Il jette les grains un à un pour que chaque chrétien, dans son milieu, témoigne de la fécondité de la Mort et de la Résurrection du Seigneur.

Si nous sommes dans les mains du Christ, nous devons nous imprégner de son sang rédempteur, le laisser nous lancer à la volée, accepter notre vie telle que Dieu la veut. Et nous convaincre que, pour donner du fruit, la semence doit être enterrée et mourir. La tige s’élève ensuite et l’épi apparaît. De l’épi viendra le pain, que Dieu transformera en Corps du Christ. Nous nous unissons ainsi de nouveau à Jésus, qui a été notre semeur. Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, à nous tous nous ne formons qu’un corps, car tous nous avons part à ce pain unique.

Ne perdons jamais de vue qu’il ne saurait y avoir de fruit si auparavant il n’y a pas eu de semailles. Il est donc nécessaire de répandre généreusement la Parole de Dieu, de faire en sorte que les hommes connaissent le Christ et que le connaissant, ils aient faim de lui. Cette Fête-Dieu — fête du Corps du Christ, Pain de vie — est une bonne occasion pour méditer sur les différentes sortes de faim que l’on rencontre chez les gens : faim de vérité, de justice, d’unité et de paix. A ceux qui ont faim de paix nous répétons avec saint Paul : le Christ est notre paix, pax nostra. Ceux qui cherchent la vérité doivent nous faire rappeler que Jésus est le chemin, la vérité et la Vie. Quant à ceux qui aspirent à l’unité, nous les mettrons en présence du Christ qui prie pour que nous soyons consummati in unum, consommés dans l’unité. La faim de justice doit nous conduire à la source première de la concorde entre les hommes : être et se savoir enfants du Père, frères.

Paix, vérité, unité, justice. Comme il semble difficile parfois de surmonter les barrières qui s’opposent à la bonne entente entre les hommes. Et pourtant nous, les chrétiens, nous sommes appelés à réaliser ce grand miracle de la fraternité : obtenir, avec la grâce de Dieu, que les hommes se traitent chrétiennement, en portant les uns les fardeaux des autres, en vivant le commandement de l’Amour, qui est le lien de la perfection et le résumé de la loi.

Peut-être pouvons-nous parfois être tentés de penser que tout cela est aussi beau qu’un rêve irréalisable. Je vous ai parlé de renouveler votre foi et votre espérance ; demeurez fermes, pleinement assurés que nos désirs seront comblés par les merveilles de Dieu. Mais il est indispensable que nous nous amarrions réellement à la vertu chrétienne de l’espérance.

Ne nous habituons pas aux miracles qui se réalisent devant nous : ce prodige admirable du Seigneur qui descend chaque jour dans les mains du prêtre. Jésus veut que nous soyons en éveil pour que nous nous convainquions de la grandeur de sa puissance, et pour que nous entendions de nouveau sa promesse : Venite post me, et faciam vos fieri piscatores hominum, si vous me suivez, je vous ferai pêcheurs d’hommes, vous serez efficaces et vous attirerez les âmes à Dieu. Nous devons donc avoir confiance en ces paroles du Seigneur, monter dans la barque, saisir les rames, hisser les voiles et nous lancer dans cette mer du monde que le Christ nous remet en héritage. Duc in altum et laxate retia vestra in capturam ! : naviguez vers le large, et jetez vos filets pour pêcher.

Ce zèle apostolique que le Christ a mis dans notre cœur ne doit pas s’épuiser — s’éteindre — sous l’effet d’une fausse humilité. S’il est vrai que nous traînons nos misères personnelles, il n’est pas moins vrai que le Seigneur tient compte de nos erreurs. Le fait que les hommes soient des créatures, avec des limites, des faiblesses, des imperfections et l’inclination au péché, n’échappe pas à son regard miséricordieux. Mais il nous ordonne de lutter, de reconnaître nos défauts ; non pour nous en effrayer, mais pour nous repentir et susciter en nous le désir d’être meilleurs.

Nous devons en outre nous rappeler toujours que nous ne sommes que des instruments. Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi, et chacun d’eux pour la part que le Seigneur lui a donnée. Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. La doctrine, le message que nous devons répandre, a en lui-même une fécondité infinie, qui ne vient pas de nous, mais du Christ. C’est Dieu lui-même qui s’est engagé à réaliser l’œuvre du salut, à racheter le monde.