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6 points de « Quand le Christ passe » sont liés à la thématique Jésus-Christ → l'œuvre de Jésus-Christ.

Nous avons parcouru quelques pages des saints Évangiles pour contempler Jésus dans ses relations avec les hommes et pour apprendre, étant nous-mêmes le Christ, à le porter à nos frères. Appliquons cette leçon à notre vie ordinaire, à la vie de chacun d’entre nous. Car la vie courante et ordinaire, celle que vit un homme parmi les autres citoyens, ses égaux, n’est pas une petite chose sans relief. C’est précisément à travers les circonstances de cette vie que le Seigneur veut que l’immense majorité de ses enfants se sanctifie.

Il importe de répéter sans cesse que Jésus ne s’est pas adressé à un groupe de privilégiés mais qu’il est venu nous révéler l’amour universel de Dieu. Tous les hommes sont aimés de Dieu et il attend de tous leur amour. De tous, quels que soient leurs conditions personnelles, leur position sociale, leur profession ou leur métier. La vie courante et ordinaire n’est pas chose de peu de valeur : tous les chemins de la terre peuvent être l’occasion d’une rencontre avec le Christ, et il nous invite à nous identifier à lui pour accomplir — à l’endroit où nous sommes — sa mission divine.

Dieu nous appelle à travers les incidents de la vie de chaque jour, à travers la souffrance et la joie des personnes avec lesquelles nous vivons, à travers les aspirations humaines de nos compagnons, à travers les petits riens de la vie familiale. Dieu nous appelle également à travers les grands problèmes, les conflits et les tâches qui marquent chaque époque historique et suscitent l’effort et l’espoir d’une grande partie de l’humanité.

On comprend fort bien l’impatience, l’angoisse, les désirs inquiets de ceux dont l’âme naturellement chrétienne ne peut se résigner à l’injustice personnelle et sociale dont le cœur humain est capable. Tant de siècles de coexistence entre les hommes et tant de haine encore, tant de destruction, tant de fanatisme, accumulés dans le regard de ceux qui ne veulent point voir et dans le cœur de ceux qui ne veulent point aimer.

Les biens de la terre répartis entre quelques-uns ; les biens de la culture enfermés dans les cénacles. Et au-dehors la faim de pain et de savoir, et les vies humaines, pourtant saintes, puisque venant de Dieu, traitées comme de simples choses, comme des éléments d’un calcul statistique. Je comprends et je partage cette impatience qui me fait lever les yeux vers le Christ, ce Christ qui nous invite sans cesse à mettre en pratique ce commandement nouveau de l’amour.

Toutes les situations auxquelles nous sommes confrontés au cours de notre vie sont autant de messages divins, qui nous demandent une réponse d’amour, un don de nous-mêmes aux autres. Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. Devant lui seront rassemblées toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche.

Alors le Roi dira à ceux de droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venu me voir.” Alors les justes lui répondront,— “Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t’accueillir, nu et de te vêtir, malade ou en prison et de venir à toi ?” Le Roi leur fera cette réponse : “En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”.

Il faut reconnaître dans nos frères les hommes le Christ, qui vient à notre rencontre. Nulle vie humaine ne peut être considérée isolément : elle s’entrelace aux autres vies. Nul n’est un vers détaché ; nous faisons tous partie d’un même poème divin que Dieu écrit avec le concours de notre liberté.

Lorsque nous considérons la dignité de la mission à laquelle Dieu nous appelle il se peut que l’âme humaine en conçoive de la présomption, de l’orgueil. Fausse vision de la vocation chrétienne que cette vision aveugle, qui nous fait oublier que nous sommes faits de boue, que nous sommes poussière et misère, que non seulement le mal est dans le monde, autour de nous, mais encore qu’il est en nous, qu’il loge dans notre cœur même et qu’il nous rend capables de vilénies et d’égoïsmes. Seule la grâce de Dieu est un rocher solide ; nous ne sommes que sable, que sable mouvant.

Si l’on parcourt l’histoire des hommes et si l’on analyse la situation actuelle du monde, on souffre de voir qu’après vingt siècles il y a si peu de gens à s’appeler chrétiens et que ceux qui se parent de ce nom sont si souvent infidèles à leur vocation. Voici quelques années, une personne qui ne manquait pas de cœur, mais qui n’avait pas la foi, me montrait une mappemonde et me disait : Vous avez là l’échec du Christ ! Depuis tant de siècles qu’il essaie de mettre sa doctrine dans l’âme des hommes, voyez les résultats : il n’y a pas de chrétiens.

Il y a encore de nos jours des gens pour penser ainsi. Mais le Christ n’a pas échoué : sa parole et sa vie fécondent constamment le monde. L’œuvre du Christ, la tâche que son Père lui a confiée, sont en train de se réaliser : sa force traverse l’histoire, y apportant la vraie vie, et quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous.

Dans cette tâche qu’il accomplit dans le monde, Dieu a voulu que nous soyons ses coopérateurs, il a voulu courir le risque résultant de notre liberté. Je suis touché jusqu’au fond de l’âme par la figure de Jésus, nouveau-né, à Bethléem : elle est celle d’un enfant faible et sans défense, incapable d’offrir la moindre résistance. Dieu se livre aux mains des hommes, s’approche et s’abaisse jusqu’à nous.

Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave. Dieu condescend à se mettre au niveau de notre liberté, de notre imperfection, de nos misères. Il consent à ce que les trésors divins soient portés dans des vases d’argile, à ce que nous Le fassions connaître en mêlant nos déficiences humaines à sa force divine.

Regardez : la Rédemption, consommée lors de la mort de Jésus dans la honte et dans la gloire de la Croix, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, se poursuivra par la volonté de Dieu jusqu’à ce que vienne l’heure du Seigneur. Il est impossible de vivre selon le cœur de Jésus sans se sentir envoyés comme lui, peccatores salvos facere, pour sauver tous les pécheurs, et convaincus de la nécessité de se confier chaque jour davantage à la miséricorde de Dieu. C’est pourquoi notre désir le plus ardent est de nous considérer comme corédempteurs avec le Christ, sauver avec lui toutes les âmes, parce que nous sommes, nous voulons être ipse Christus, Jésus-Christ lui-même, et lui s’est livré lui-même pour le rachat de tous.

Nous avons une grande tâche devant nous. Nous ne pouvons rester passifs, car le Seigneur nous a déclaré expressément : travaillez jusqu’à mon retour. Nous ne pouvons pas demeurer les bras croisés en attendant le retour du Seigneur, qui reviendra prendre pleine possession de son Royaume. Répandre le Royaume de Dieu n’est pas seulement la tâche officielle des membres de l’Église qui représentent le Christ parce qu’ils ont reçu de lui les pouvoirs sacrés. Vos autem estis corpus Christi, vous aussi vous êtes le corps du Christ, nous dit l’Apôtre, en nous donnant l’ordre formel de travailler jusqu’au bout.

Il reste tant à faire ! Est-ce qu’en vingt siècles on n’a rien fait ? En vingt siècles, on a beaucoup travaillé ; l’effort de certains pour rabaisser la tâche de ceux qui nous ont précédés ne me parait ni objectif ni honnête. En vingt siècles, on a beaucoup travaillé et souvent très bien. Certes, il y au eu aussi des erreurs, des reculs, de même qu’aujourd’hui on trouve des régressions, des peurs et des timidités, à côté de beaucoup de courage et de générosité Mais la famille humaine se renouvelle constamment. A chaque génération, il faut poursuivre l’effort, aider l’homme à découvrir la grandeur de sa vocation d’enfant de Dieu ; il faut inculquer le commandement de l’amour du Créateur et de notre prochain.

La tâche apostolique que le Christ a confiée à tous ses disciples a donc des répercussions sociales concrètes. Comment penser que, pour être chrétien, il faille tourner le dos au monde, et désespérer de la nature humaine ? Tout ce qui est honnête, quelle que soit son importance, recèle un sens humain et divin à la fois. Le Christ, homme parfait, n’est pas venu détruire ce qui est humain, mais l’anoblir, en assumant notre condition humaine, à l’exception du péché : Il est venu partager toutes les aspirations de l’homme, à l’exception de la triste aventure du mal.

Le chrétien doit être toujours disposé à sanctifier la société de l’intérieur, en étant totalement dans le monde, sans être du monde, dans la mesure où celui-ci —non par nature, mais par suite d’une imperfection volontaire, le péché — est négation de Dieu et opposition à son aimable volonté salvatrice.

Permettez-moi de vous raconter un fait que j’ai vécu il y a de nombreuses années. Un homme bon, mais sans foi, me dit un jour en me montrant une mappemonde : Regarde, du nord au sud et de l’est à l’ouest. Que veux-tu que je regarde ? lui demandai-je. Il me répondit : L’échec du Christ. Tant de siècles pour essayer de faire passer sa doctrine dans la vie des hommes, et vois le résultat. Cela me remplit tout d’abord de tristesse. Il est en effet très douloureux de constater que nombreux sont ceux qui ne connaissent pas encore le Seigneur et que, parmi ceux qui le connaissent, nombreux sont ceux qui vivent comme s’ils ne le connaissaient pas.

Mais cette impression ne dura qu’un instant, et fit place à l’amour et à la reconnaissance, parce que Jésus a voulu que chacun coopère librement à son œuvre rédemptrice. Il n’a pas échoué : sa doctrine et sa vie continuent de féconder le monde. La rédemption qu’il a réalisée est suffisante et surabondante.

Dieu ne veut pas d’esclaves. Il veut des fils et il respecte notre liberté. L’œuvre de salut continue et nous y participons. Le Christ veut, selon les dures paroles de saint Paul, que nous complétions en notre chair, en notre vie, ce qui manque à sa passion, pro corpore eius, quod est Ecclesia, pour son corps, qui est l’Église.

Cela vaut la peine de risquer sa vie, de se donner pleinement pour répondre à l’amour et à la confiance que Dieu met en nous. Cela vaut la peine, avant tout, de nous décider à prendre au sérieux notre foi chrétienne. Quand nous récitons le Credo, nous proclamons notre foi en Dieu le Père tout Puissant, en son Fils Jésus-Christ, qui est mort et ressuscité, en l’Esprit Saint, Seigneur et auteur de la vie. Nous confessons que l’Église, une, sainte, catholique et apostolique est le corps du Christ, animé par le Saint-Esprit. Nous nous réjouissons de la rémission des péchés et de l’espérance de la résurrection à venir. Mais ces vérités pénètrent-elles jusqu’au fond de notre cœur, ou bien restent-elles sur nos lèvres ? Le message divin de victoire, de joie et de paix de la Pentecôte, doit être le fondement inébranlable de la façon de penser, de réagir et de vivre de tout chrétien.

Force de Dieu et faiblesse humaine