Liste des points

4 points de « Quand le Christ passe » sont liés à la thématique Jésus-Christ → miracles.

Nous avons lu pendant la sainte messe un texte de l’Évangile selon saint Jean : le récit de la guérison miraculeuse de l’aveugle de naissance. Je pense que nous avons été émus, une fois de plus, en considérant la puissance et la miséricorde de Dieu, de ce Dieu qui n’est pas indifférent à la misère humaine. Mais c’est à autre chose que je voudrais m’arrêter maintenant. Nous remarquons en effet que, quand il est pénétré de l’amour de Dieu, le chrétien n’est pas, lui non plus, indifférent au sort des autres hommes, et sait traiter tout le monde avec respect. Mais que vienne à disparaître cet amour, et ce même chrétien risque d’exercer une pression fanatique et acharnée sur la conscience des autres.

Jésus vit en passant, dit le saint Évangile, un homme aveugle de naissance. Jésus qui passe : j’ai souvent admiré cette façon toute simple de relater la clémence divine. Jésus passe et se rend tout de suite compte de la douleur. Mais comme les pensées des disciples étaient différentes ! Ils lui demandent : Maître, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ?

Les faux jugements

Nous ne devons pas nous étonner que beaucoup de gens, même parmi ceux qui se considèrent comme chrétiens, se comportent ainsi ; ils imaginent d’abord le mal. Ils soupçonnent sans aucune preuve. Ne se contentant pas de penser ainsi, ils font état en public de leurs jugements téméraires.

Le moins qu’on puisse dire est que l’attitude des disciples fut superficielle. Dans la société d’alors, comme dans celle d’aujourd’hui — en cela peu de choses ont changé —, il y avait d’autres hommes, les pharisiens, pour qui cette conduite était la règle. Rappelez-vous comment Jésus les réprimande : Jean est venu qui ne boit ni ne mange et ils disent : il est possédé du démon. Le Fils de l’Homme est venu et il boit et il mange et ils murmurent : voilà un homme vorace et buveur, ami des publicains et des pécheurs.

On attaque systématiquement la réputation d’autrui, on dénigre une conduite intègre. Jésus-Christ a subi cette critique mordante et blessante, et nombreux sont ceux qui réservent le même sort aux hommes qui désirent suivre le Maître, tout en étant conscients de leurs misères, normales et naturelles, et de leurs erreurs personnelles, petites et ajouterai-je inévitables, compte tenu de la faiblesse humaine. Cela ne nous permet pas de justifier de telles fautes — on les appelle commérages —contre la réputation d’autrui. Jésus annonce que s’ils ont appelé Belzeboul le père de famille, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils traitent mieux ceux de sa maison, mais il nous prévient aussi que celui qui maudit son frère, sera passible du feu de l’enfer.

D’où vient que l’on juge faussement les autres ? Il semble que certains portent continuellement des oeillères qui leur déforment la vue. Par principe ils ne croient pas à la droiture d’intention, ou du moins à la lutte constante pour l’atteindre. Cette déformation acquise leur fait tout voir à leur image, comme dit le vieil adage philosophique. Pour eux, même ce qui est le plus droit reflète, malgré tout, une attitude équivoque qui se revêt hypocritement d’une apparence de bonté. Quand ils découvrent clairement le bien, écrit saint Grégoire le Grand, ils cherchent avec soin s’il n’y a pas en plus quelque chose de caché.

Revenons à la scène de la guérison de l’aveugle. Jésus-Christ a répondu à ses disciples que ce malheur n’est pas la conséquence du péché, mais une occasion pour Dieu de manifester sa puissance. Et, avec une simplicité merveilleuse, il décide que l’aveugle voie.

C’est alors que commence pour cet homme, à la fois le bonheur et le tourment. On ne le laissera pas en paix. Ce sont d’abord les voisins et ceux qui l’avaientvu, avant, demander l’aumône. L’Évangile ne nous dit pas qu’ils se réjouissent, mais qu’ils n’arrivent pas à le croire, bien que l’aveugle insiste pour affirmer que c’est bien lui qui avant ne voyait pas et qui maintenant voit. Au lieu de le laisser jouir tranquillement de cette grâce, ils l’amènent aux pharisiens, qui lui demandent de nouveau comment cela s’est produit. Et il répond pour la seconde fois : Il a mis de la boue sur mes yeux, il m’a lavé et je vois.

Les pharisiens veulent alors démontrer que ce qui s’est passé, un si grand miracle, n’a pas eu lieu. Certains recourent à des raisonnements mesquins, hypocrites, injustes : il a guéri un jour de sabbat et, comme il est interdit de travailler ce jour-là, ils nient le prodige. D’autres commencent ce que l’on appellerait aujourd’hui une enquête. Ils s’adressent aux parents de l’aveugle : Est-ce là votre fils que vous dites être né aveugle ? Comment voit-il maintenant ? Ses parents, poussés par la crainte, prononcent une phrase qui réunit toutes les garanties de la méthode scientifique : Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle mais comment il voit maintenant, nous ne le savons pas ; qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas davantage. Interrogez-le : il est en âge de parler sur son compte.

Ceux qui mènent l’enquête ne peuvent pas croire parce qu’ils ne le veulent pas. L’ancien aveugle fut convoqué une deuxième fois et ils lui dirent :… “Nous savons, nous, que cet homme, Jésus-Christ, est un pécheur”.

En peu de mots, le récit de saint Jean donne ici l’exemple d’une attaque terrible contre ce droit fondamental que chacun possède par nature : être traité avec respect.

C’est toujours un problème actuel. Il ne serait pas difficile de trouver maintenant des exemples de cette curiosité agressive qui conduit à fouiller de façon morbide la vie privée d’autrui. Le moindre sens de la justice exige que, même lorsqu’on enquête sur un délit présumé, on procède avec prudence et modération, sans prendre pour certain ce qui n’est que possible. On comprend aisément ce qu’il y a de pervers dans cette curiosité malsaine qui cherche à mettre à nu des conduites non seulement irréprochables, mais même très honorables.

Face à ces soupçonneurs professionnels, qui semblent vouloir organiser une exploitation de l’intimité d’autrui, il faut défendre la dignité de chaque personne, ainsi que son droit au silence. Tous les hommes honnêtes, chrétiens ou non, se rejoignent sur ce point, parce qu’il s’agit de défendre une valeur commune à tous : le droit légitime d’être soi-même, de ne pas s’exhiber, de vivre avec pudeur ses joies, ses peines et ses douleurs intimes. Et surtout de faire le bien sans se donner en spectacle, d’aider par pur amour ceux qui en ont besoin sans être obligés de publier ce qu’on fait pour les autres ni, moins encore, d’étaler l’intimité de son âme sous les yeux indiscrets et malveillants de ceux qui n’entendent rien et ne désirent rien entendre de la vie intérieure, sinon pour s’en moquer de façon éhontée.

Mais qu’il est difficile d’être libéré de cette agressivité indiscrète ! Les moyens de ne pas laisser l’homme en paix se sont multipliés. Je parle non seulement des moyens techniques, mais aussi des systèmes d’argumentation qui ont cours, et auxquels il est difficile de s’opposer quand on désire défendre son honneur. C’est ainsi que parfois l’on part du principe que tout le monde se comporte mal. Ce postulat erroné conduit inévitablement au meaculpisme, à l’autocritique. Si quelqu’un ne se couvre pas d’un monceau de boue, on en conclut que cet individu est non seulement malhonnête, mais hypocrite et arrogant.

Mais il existe un autre procédé : celui qui calomnie par la parole ou par l’écrit est disposé à admettre que vous soyez un individu intègre, mais d’autres peut-être ne feront pas de même et publieront que vous êtes un voleur. Comment prouverez-vous alors que vous n’êtes pas un voleur ? Ou encore vous avez inlassablement affirmé que votre conduite est nette, digne et droite : voudriez-vous la considérer à nouveau pour vous assurer qu’elle n’est pas, au contraire, malhonnête, vile et fausse ?

Les passages de la Sainte Écriture qui nous parlent de Notre Dame, montrent justement comment la Mère de Jésus accompagne son Fils pas à pas en s’associant à sa mission rédemptrice, en se réjouissant et en souffrant avec lui, en aimant ceux qu’aime Jésus, en s’occupant avec une sollicitude maternelle de tous ceux qui sont à ses côtés.

Rappelons-nous, par exemple, le récit des noces de Cana. Dans la foule des invités d’une de ces bruyantes noces campagnardes où accourent des gens de tous les alentours, Marie s’aperçoit que le vin vient à manquer. Elle seule s’en aperçoit, et immédiatement. Comme ces scènes de la vie du Christ nous paraissent familières ! C’est que la grandeur de Dieu se mêle à la vie ordinaire, courante. Et c’est bien le propre d’une femme, d’une maîtresse de maison avisée, que de relever une négligence, d’être attentive aux petits détails qui rendent agréable l’existence humaine ; ainsi en est-il de Marie.

Remarquez aussi que c’est Jean qui raconte la scène de Cana. Il est le seul des évangélistes à avoir recueilli ce trait de sollicitude maternelle. Saint Jean veut nous rappeler que Marie a été présente aux débuts de la vie publique du Seigneur. C’est bien la preuve qu’il a su percevoir en profondeur l’importance de cette présence de Notre Dame. Jésus savait à qui il confiait sa Mère : à un disciple qui l’avait aimée, qui avait appris à la chérir comme sa propre mère et qui était capable de la comprendre.

Pensons maintenant à ces journées qui suivirent l’Ascension, dans l’attente de la Pentecôte. Les disciples remplis de foi par le triomphe du Christ ressuscité et d’un ardent désir de l’Esprit Saint, veulent se sentir unis, et nous les trouvons cum Maria Matre Iesu, avec Marie, la Mère de Jésus. La prière des disciples accompagne celle de Marie, car c’était la prière d’une famille unie.

Cette fois-ci, celui qui nous transmet ce renseignement est saint Luc, l’évangéliste qui s’est le plus étendu sur l’enfance de Jésus On dirait qu’il veut nous faire bien comprendre que Marie, tout comme elle a joué un rôle de premier plan dans l’Incarnation du Verbe, a également, d’une manière analogue, été présente à l’origine de l’Église, qui est le Corps du Christ.

Dès les premiers moments de la vie de l’Église, tous les chrétiens qui ont recherché l’amour de Dieu, cet amour qui se révèle à nos yeux et s’incarne en Jésus-Christ, ont trouvé la sainte Vierge sur leur chemin et ont fait de mille manières différentes l’expérience de sa maternelle sollicitude. La Très Sainte Vierge peut être appelée en toute vérité Mère de tous les chrétiens. Saint Augustin l’affirmait en une formule lumineuse : Sa charité fit en sorte que naquissent dans l’Église les fidèles, membres de cette tête dont elle est effectivement la mère selon le corps.

Il n’y a donc rien d’étrange à ce que l’un des témoignages les plus anciens de la dévotion à Marie soit justement une oraison pleine de confiance. Je fais allusion à cette antienne, composée il y a des siècles, que nous continuons à redire aujourd’hui encore : Nous nous réfugions sous votre protection, sainte Mère de Dieu ! Ne vous montrez pas indifférente à nos prières, dans la détresse ; mais délivrez-nous sans cesse de tous les dangers, Ô Vierge glorieuse et bénie !.

Fréquenter Marie

Mais notez bien que Dieu ne nous dit pas: au lieu de votre cœur, je vous donnerai la volonté d’un pur esprit. Non. Il nous donne un cœur, et un cœur de chair, comme celui du Christ.

Je n’ai pas un cœur pour aimer Dieu et un autre pour aimer autrui, en ce monde. C’est avec le même cœur qui m’a fait aimer mes parents et qui m’a fait aimer mes amis que j’aime le Christ, le Père, l’Esprit Saint et Sainte Marie. Je ne me lasserai jamais de le répéter: nous devons être très humains; sinon, nous ne pourrions pas non plus être divins.

L’amour humain, l’amour d’ici-bas, sur cette terre, nous aide, lorsqu’il est authentique, à savourer l’amour divin. Nous entrevoyons ainsi l’amour qui nous fera jouir de Dieu et celui qui nous unira là-haut, dans le ciel, lorsque le Seigneur sera tout en tous. Si nous commençons à comprendre ce qu’est l’amour divin, nous inclinerons à nous montrer en toutes occasions plus disposés à la compassion, à la générosité, au don de nous-mêmes.

Nous devons donner ce que nous avons reçu, apprendre aux autres ce que nous avons appris; les faire participer — sans vanité, avec simplicité — à cette connaissance de l’amour du Christ. En réalisant chacun votre travail, en exerçant votre profession dans la société, vous pouvez et vous devez transformer totalement vos occupations en occasions de servir. Ce travail soigneusement achevé, qui progresse en faisant progresser, qui tient compte des découvertes de la culture et de la technique, remplit une importante fonction, au profit de l’humanité tout entière, pour peu que nous soyons mûs par la générosité et non par l’égoïsme, par le désir du bien de tous et non par le profit personnel: c’est-à-dire s’il est imprégné d’un sens chrétien de l’existence.

Au sein de ce travail, dans la trame même des relations humaines, vous devez faire preuve de la charité du Christ et de ses fruits d’amitié, de compréhension, d’affection humaine, de paix. De même que le Christ est passé en faisant le bien sur tous les chemins de Palestine, vous devez vous aussi répandre avec générosité une semence de paix tout au long de ces chemins humains qui sont la famille, la société civile, les relations nées de votre travail quotidien, la culture, les loisirs. Ce sera la meilleure preuve de ce qu’en votre cœur s’est instauré le Royaume de Dieu: Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères écrit l’apôtre saint Jean.

Mais nul ne vit de cet amour s’il ne se forme à l’école du Cœur du Christ. Ce n’est qu’en fixant notre regard sur le Cœur du Christ, et en le contemplant, que nous arriverons à libérer le nôtre de la haine et de l’indifférence: ce n’est qu’ainsi que nous saurons réagir d’une manière chrétienne aux souffrances et à la douleur d’autrui.

Rappelez-vous la scène que nous décrit saint Luc, lorsque le Christ approchait de la ville de Naïm. Jésus observait ce cortège endeuillé qu’il croisait par hasard. Il aurait pu passer outre, ou bien attendre un appel, une requête. Pourtant il ne s’éloigna ni ne demeura dans l’attente. Il prit l’initiative, touché par l’affliction d’une veuve qui avait perdu le seul être qui lui restait, son fils.

L’évangéliste précise que Jésus fut touché de compassion: il a peut-être été envahi par une émotion sensible, à la mort de Lazare. Jésus n’était pas, Jésus n’est pas insensible à la douleur. Il ne l’est pas non plus à celle qui naît de l’amour, pas plus qu’il ne prend plaisir à séparer les enfants des parents: il exerce son pouvoir sur la mort pour donner la vie, afin que ceux qui s’aiment restent proches les uns des autres, en exigeant avant, et en même temps, la prééminence due à l’Amour divin qui doit marquer toute existence authentiquement chrétienne.

Le Christ sait bien qu’une multitude l’entoure qui, saisie par le miracle, proclamera l’événement dans toute la contrée. Mais le Seigneur n’agit pas par artifice, pour la beauté du geste: il se sent, tout simplement, affecté par la souffrance de cette femme, et il ne peut s’empêcher de la consoler. Il s’approcha d’elle en disant en effet: ne pleure pas. Cela revenait à lui dire: je ne veux pas te voir en pleurs, car je suis venu sur cette terre pour apporter la joie et la paix. Ensuite vient le miracle, cette manifestation du pouvoir du Christ-Dieu. Mais c’est bien avant que son âme a ressenti cette émotion, signe manifeste de la tendresse du Cœur du Christ-Homme.