Liste des points

8 points de « Amis de Dieu » sont liés à la thématique Sainteté → croître en charité.

Mêlé à la multitude, un de ces experts qui n’arrivaient plus à discerner quels étaient les enseignements révélés à Moïse, tant ils les avaient eux-mêmes embrouillés dans une casuistique stérile, vient de poser une question au Seigneur. Le Seigneur ouvre ses lèvres divines pour répondre posément à ce docteur de la Loi, avec la ferme assurance de celui qui en a bien l’expérience : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit. Voilà le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est à ces deux commandements que se rattachent toute la Loi et les Prophètes.

Voyez maintenant le Maître, réuni avec ses disciples dans l’intimité du Cénacle. À l’approche de sa Passion, le cœur du Christ, entouré de ceux qu’iI aime, brûle d’un feu ineffable : Je vous donne un commandement nouveau, leur dit-iI, aimez-vous les uns les autres ; oui comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples. À cet amour que vous aurez les uns pour les autres.

Pour approcher le Seigneur à travers les pages du saint Évangile, je vous recommande toujours de faire l’effort d’entrer dans la scène, d’y participer comme un personnage de plus. Je connais nombre d’âmes, normales et courantes qui le font. Ainsi, vous serez absorbés comme Marie, suspendue aux lèvres de Jésus ou, comme Marthe, vous oserez lui faire part sincèrement de vos soucis, même les plus insignifiants.

Seigneur, pourquoi dis tu que ce commandement est nouveau ? Comme nous venons de l’entendre, l’amour envers le prochain était déjà prescrit dans l’Ancien Testament. Et vous vous souvenez aussi que, juste au début de sa vie publique, Jésus élargit cette exigence, dans sa générosité divine : Vous avez entendu dire « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. » Eh bien, moi je vous dis : aimez vos ennemis, faites le bien à ceux qui vous détestent et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient.

Seigneur, permets-nous d’insister : pourquoi continues-tu d’appeler nouveau ce précepte ? Cette nuit-là, quelques heures avant de t’immoler sur la Croix, au cours d’une conversation intime avec ceux qui, malgré leurs faiblesses et leurs misères personnelles, semblables aux nôtres, t’ont accompagné jusqu’à Jérusalem, tu nous as révélé la mesure insoupçonnée de la charité : comme je vous ai aimés. Comment les apôtres ne t’auraient-ils pas compris, eux, les témoins de ton amour insondable !

Le message et l’exemple du Maître sont nets, précis. Il a étayé sa doctrine de ses œuvres. Pourtant j’ai souvent pensé que, même à vingt siècles de distance, ce précepte continue d’être tout nouveau, car il en est très peu qui se soient préoccupés de le mettre en pratique. Les autres, la majorité, ont préféré, et préfèrent toujours faire la sourde oreille. Mus par un égoïsme exacerbé, ils concluent : à quoi bon tant de complications ? Mes propres soucis me suffisent amplement.

Une telle attitude n’est pas concevable parmi les chrétiens. Si nous professons cette même foi, si nous avons vraiment le désir de mettre nos pas dans les traces nettes que Jésus a laissées sur la terre, nous ne devons pas nous contenter d’éviter à nos proches le mal que nous ne voulons pas pour nous-mêmes. C’est déjà beaucoup, mais c’est très peu si nous avons compris que la mesure de notre amour doit être dictée par le comportement de Jésus. En outre, il ne nous propose pas cette norme de conduite comme un but lointain, comme le couronnement d’une vie entière de lutte. C’est, ce doit être, et j’insiste, pour que tu prennes des résolutions concrètes, un point de départ. En effet, le Seigneur en fait un signe préalable : En ceci, ils vous reconnaîtront pour mes disciples.

Jésus-Christ, notre Seigneur, s’est incarné. Il a pris notre nature pour se manifester à l’humanité comme modèle de toutes les vertus. Apprenez de moi qui suis doux et humble de cœur, nous propose-t-il.

Plus tard, quand il explique aux apôtres le signe par lequel on les reconnaîtra comme chrétiens, il ne dit pas : parce que vous êtes humbles. Lui, la pureté la plus sublime, l’Agneau immaculé, rien ne pouvait souiller sa sainteté parfaite, sans tache, n’indique pas non plus : ils sauront que vous êtes mes disciples à ce que vous êtes chastes et purs.

Il est passé sur cette terre dans le détachement le plus complet des biens de ce monde. Alors qu’il était le Créateur et le Seigneur de tout l’Univers, il n’a même pas eu où reposer sa tête. Cependant il ne dit pas : ils sauront que vous êtes des miens parce que vous ne vous êtes point attachés aux richesses. Il reste dans le désert quarante jours et quarante nuits en observant le jeûne le plus rigoureux, avant de se consacrer à la prédication de l’Évangile. Et il n’assure pas non plus aux siens : ils verront que vous servez Dieu parce que vous n’êtes ni des goinfres, ni des buveurs.

Le trait qui distinguera les apôtres et les chrétiens authentiques de tous les temps, nous l’avons déjà entendu : À ceci, précisément à ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres.

Il me paraît parfaitement logique que les enfants de Dieu aient toujours été bouleversés, comme nous le sommes toi et moi en ce moment, par cette insistance du Maître. Le Seigneur n’établit pas que les prodiges, les miracles extraordinaires seront la preuve de la fidélité de ces disciples, bien que, dans l’Esprit Saint, il leur en ait conféré le pouvoir. Que leur annonce-t-il donc ? On reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres.

Pédagogie divine

J’aime reprendre des paroles que l’Esprit Saint nous communique par la bouche du prophète Isaïe : discite benefacere. Apprenez à faire le bien. J’ai l’habitude d’appliquer ce conseil aux différents aspects de notre lutte intérieure, étant donné qu’il ne faut jamais penser que la vie chrétienne est achevée, car le progrès dans les vertus découle d’un effort personnel, quotidien et effectif.

Pour l’apprentissage de n’importe quelle tâche au sein de la société, comment nous y prenons-nous ? Nous considérons d’abord le but recherché et les moyens pour l’atteindre. Puis nous les employons, de façon répétée, jusqu’à créer une habitude fermement enracinée en nous. Dès que nous apprenons quelque chose, nous en découvrons d’autres que nous ignorions et qui constituent une motivation pour poursuivre la tâche sans jamais dire assez !

La charité envers le prochain est une manifestation de l’amour de Dieu. C’est pourquoi, quand nous nous efforçons de progresser dans cette vertu, nous ne pouvons pas nous fixer de limite. Avec le Seigneur, la seule mesure est d’aimer sans mesure. D’une part, parce que nous n’arriverons jamais à le remercier assez pour tout ce qu’il a fait pour nous ; d’autre part, parce que l’amour de Dieu envers ses créatures se présente ainsi : surabondant, sans calcul, sans frontières.

À nous tous qui sommes disposés à l’écouter de toute notre âme, Jésus-Christ nous enseigne, dans le sermon sur la montagne, le commandement divin de la charité. Et à la fin, en guise de résumé, il explique : Aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. Soyez donc miséricordieux comme votre Père céleste est miséricordieux.

La miséricorde n’en reste pas à une froide attitude de compassion : la miséricorde s’identifie avec la surabondance de la charité, qui amène avec elle la surabondance de la justice. Être miséricordieux c’est garder le cœur sensible, c’est entretenir la blessure humaine et divine d’un amour ferme, sacrifié, généreux. C’est bien ainsi que saint Paul, dans son hymne à cette vertu, résume la charité : La charité est longanime, la charité est serviable ; elle n’est pas envieuse, la charité ne fanfaronne pas, ne se rengorge pas, elle ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal, elle ne se réjouit pas de l’injustice, mais elle met sa joie dans la vérité. Elle excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout.

L’une des premières manifestations de la charité consiste concrètement à engager l’âme sur la voie de l’humilité. Lorsqu’en toute sincérité nous nous prenons pour moins que rien et que nous comprenons que la plus faible et la plus insignifiante des créatures serait meilleure que nous, si nous n’avions le secours divin ; quand nous nous sentons capables de toutes les erreurs et de toutes les horreurs, quand nous nous savons pécheurs, malgré notre lutte acharnée pour éviter tant d’infidélités, comment allons-nous penser du mal des autres ? Comment saurions-nous nourrir dans notre cœur le fanatisme, l’intolérance, l’arrogance ?

L’humilité nous conduit comme par la main vers cette façon d’aborder notre prochain, qui est la meilleure : comprendre tous les hommes, vivre en bonne entente avec tous, pardonner à tous, ne créer ni divisions ni barrières, nous comporter, toujours, comme des instruments d’unité. Ce n’est pas en vain qu’il existe au fond de notre âme une forte aspiration à la paix, à l’union avec nos semblables, au respect mutuel des droits de la personne, de sorte que tous ces égards se transforment en fraternité. C’est le reflet de ce qu’il y a de plus précieux dans notre condition humaine ; si nous sommes tous enfants de Dieu, la fraternité ne se réduit pas à un lieu commun ; elle n’est pas non plus un idéal illusoire. Elle apparaît comme un but difficile mais réel.

Face à tous les cyniques, aux sceptiques, aux désabusés, à ceux qui se sont fait une mentalité de leur propre lâcheté, nous les chrétiens, nous devons prouver que cette affection est possible. Il existe peut-être beaucoup de difficultés pour agir de la sorte, car l’homme a été créé libre et il est en son pouvoir de tenir tête inutilement, amèrement, à Dieu ; mais cet amour est possible et réel, car cette conduite découle nécessairement de l’amour de Dieu et de l’amour pour Dieu. Si toi et moi nous aimons, Jésus-Christ aime aussi. Alors nous comprendrons dans toute leur profondeur et dans toute leur fécondité la douleur, le sacrifice et le dévouement désintéressé dans la vie de tous les jours.

L’exercice de la charité

C’est pourquoi je vous répète avec saint Paul : Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis pas plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien.

Face à ces propos de l’Apôtre des Gentils, il y a, bien sûr, ceux qui s’identifient à ces disciples du Christ qui, à l’annonce par notre Seigneur du sacrement de sa Chair et de son Sang, firent le commentaire suivant : Cette doctrine est trop dure. Qui peut l’écouter ? Oui, elle est dure cette doctrine. Car la charité que l’Apôtre nous décrit ne se limite pas à la philanthropie, à l’humanitarisme ou à la compassion, bien naturelle, devant la souffrance d’autrui : elle exige de pratiquer la vertu théologale de l’amour de Dieu et de l’amour des autres pour Dieu. C’est pourquoi la charité ne passe jamais. Les prophéties ? Elles se tairont. La science ? Elle disparaîtra. Car imparfaite est notre science, imparfaite aussi notre prophétie… Bref, la foi, l’espérance et la charité demeurent toutes les trois, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité.

Le seul chemin

Nous sommes maintenant convaincus que la charité n’a rien à voir avec cette caricature que parfois d’aucuns ont prétendu esquisser de cette vertu centrale dans la vie du chrétien. Alors pourquoi sommes-nous tenus de la prêcher continuellement ? S’agirait-il d’un thème en quelque sorte obligatoire, mais ayant peu de chances de se manifester dans des faits concrets ?

Si nous nous regardions autour de nous, il se pourrait que nous trouvions des raisons de croire que la charité est une vertu illusoire. Mais si toi et moi, nous envisageons les choses avec un esprit surnaturel, nous découvrirons aussi la racine de cette stérilité : l’absence de relations intenses et continuelles, en tête à tête, avec notre Seigneur Jésus Christ, et la méconnaissance de l’œuvre de l’Esprit Saint dans l’âme, dont le premier fruit est précisément la charité.

Reprenant quelques conseils de l’Apôtre, portez le fardeau les uns des autres et accomplissez ainsi la loi du Christ, un Père de l’Église ajoute : En aimant le Christ nous supporterons facilement les faiblesses des autres, même de celui que nous n’aimons pas encore parce que ses œuvres ne sont pas bonnes.

C’est dans cette direction que s’élève le chemin qui nous fait grandir dans la charité. Si nous pensons que nous devons d’abord exercer des activités humanitaires, des tâches d’assistance, en excluant l’amour du Seigneur, nous nous trompons. Nous ne devons pas délaisser le Christ parce que nous nous occupons de notre prochain malade, étant donné que nous devons aimer celui-ci à cause du Christ.

Voyez l’exemple de Jésus. Sans cesser d’être Dieu, il s’humilia, prenant la condition d’esclave pour pouvoir nous servir. Voilà la seule voie, le seul effort qui en vaille la peine. L’amour cherche l’union, l’identification avec la personne aimée. En nous unissant au Christ, nous serons pris du désir de le seconder dans cette vie de renoncement, d’aimer sans mesure et de nous sacrifier jusqu’à la mort. Le Christ nous place devant une alternative fondamentale : dépenser notre existence personnelle égoïstement et en solitaires, ou nous consacrer de toutes nos forces à une tâche de service.

Nous allons maintenant demander au Seigneur, pour finir ce moment de conversation avec lui, de nous accorder de pouvoir redire avec saint Paul : Nous triomphons par Celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai l’assurance, ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur.

L’Écriture chante aussi cet amour avec des mots enflammés : Les grandes eaux ne pourront éteindre l’Amour, ni les fleuves le submerger. C’est cet amour qui a toujours empli le Cœur de Marie, au point de lui donner des entrailles de Mère pour l’humanité entière. Chez la Sainte Vierge, l’amour de Dieu se confond aussi avec la sollicitude envers tous ses enfants. Son Cœur très doux, attentif aux moindres détails — ils ont besoin de vin — a du beaucoup souffrir en voyant cette cruauté collective et cet acharnement des bourreaux que furent la Passion et la Mort de Jésus. Mais Marie ne dit rien. Comme son Fils, elle aime, elle se tait et elle pardonne. Voilà la force de l’Amour.